La commission Charbonneau entendra cette semaine le témoignage de Bernard Trépanier, qui a été le grand argentier du parti Union Montréal. Affublé du surnom de Monsieur 3% sur la scène municipale, ce spécialiste du réseautage payant a toutefois démarré sa carrière dans les rangs du Parti conservateur, en laissant derrière lui une réputation de collecteur de fonds sans scrupules.

Aux élections fédérales de 1984, le Québec est submergé par une vague bleue qui hisse au pouvoir les conservateurs de Brian Mulroney. De nouveaux venus en politique canadienne font leur entrée sur la colline parlementaire à Ottawa; avec eux, des travailleurs d'élection promus dans les cabinets ministériels. Parmi eux se trouve Bernard Trépanier.

Après avoir fait partie de l'équipe du financement politique durant la campagne électorale, M. Trépanier se joint au personnel politique du ministre d'État aux Transports, Benoît Bouchard.

«Selon mes souvenirs, Bernard avait pour tâche mon agenda, et il s'occupait aussi de mes visites au Québec», a confirmé M. Bouchard.

Un lobbyiste de l'époque se rappelle, quant à lui, que le travail de M. Trépanier allait au-delà de son emploi officiel. Si le surnom de Monsieur 3% est récent, les méthodes, elles, «ne datent pas d'hier», se souvient cet homme.

Ce dernier a requis l'anonymat, car son travail de représentation de firmes de génie-conseil auprès du gouvernement conservateur de l'époque consistait à s'assurer que les entreprises obtiennent des contrats si - et seulement si - elles «avaient fait leur devoir». Selon lui, la contribution des entreprises à la caisse électorale permettait à celles-ci d'être dans la liste privilégiée des fournisseurs de services du gouvernement.

«Je faisais du lobbying partout où il y avait des contrats. Je représentais les gars qui avaient contribué au parti, et ça marchait bien. C'était un «thrill» de pouvoir», a expliqué à La Presse cet ancien lobbyiste, qui s'est également ouvert au sujet de ce qu'il qualifie de «système» à la commission Charbonneau ainsi qu'à l'escouade Marteau.

Lors d'un important projet de transport au Québec, le lobbyiste a croisé sur son chemin Bernard Trépanier, qu'il connaissait de longue date, puisque les deux hommes ont été engagés dans la course à la direction du Parti conservateur en 1976. Près de 10 ans plus tard, il l'a retrouvé dans un contexte délicat.

«Les gars que je représentais se sont plaints parce que Trépanier repassait dans les traces, là où il y avait eu des contrats octroyés, et collectait 3%», soutient-il, avant de préciser que d'autres situations semblables se sont présentées. «Je lui ai dit qu'il ne pouvait pas faire ça, parce que les ingénieurs avaient déjà payé pour avoir des contrats», ajoute-t-il.

Ainsi, les firmes de génie auraient été doublement sollicitées. Le lobbyiste ne sait pas si M. Trépanier était en service commandé ou s'il agissait de son propre chef. Mais chose certaine, selon lui, Bernard Trépanier était un «bagman» qui ne respectait pas «les règles» du financement occulte, basé sur la confiance des partenaires.

De son côté, Benoît Bouchard affirme que ce n'est pas venu à ses «oreilles que Bernard Trépanier aurait eu des commissions». Il se rappelle toutefois qu'à cette époque, les firmes de génie «participaient régulièrement aux cocktails de financement» des conservateurs; le financement des partis politiques par des entreprises était alors permis. «Quand vous regardez en arrière, avec ce qu'on sait aujourd'hui, est-ce possible, probable ou certain que des personnes puissent avoir fait de la sollicitation indue et se faisaient payer? Je présume qu'on ne m'a pas informé parce que j'étais ministre. On faisait ainsi avec tous les ministres», a indiqué M. Bouchard.

Lors des élections fédérales de 1988, Bernard Trépanier était encore une fois l'un des pions de l'organisation conservatrice au Québec, raconte une autre source impliquée dans la campagne de l'époque. «Il y avait une grande circulation de cash. [...] Je savais ce qui se passait, parce qu'il y avait beaucoup d'appels pour recommander un et l'autre. Trépanier était toujours là», explique cette personne, qui estime que Bernard Trépanier était un rouage du «pouvoir autour du pouvoir».

Un lobbyiste officieux

Toujours pendant le règne de Mulroney, Bernard Trépanier aurait vendu dans le secteur privé sa capacité d'influence sur certains dossiers auprès des élus. Ç'a notamment été le cas dans le dossier du prolongement de l'autoroute 13 jusqu'à Mirabel - un projet qui n'a toutefois jamais vu le jour. À cette époque, M. Trépanier aurait apporté son aide à Mario Taddeo, homme d'affaires et organisateur conservateur à Laval, pour faire valoir son point de vue auprès du gouvernement. M. Taddeo dirigeait la carrière de pierres de l'empire Accurso; il était le beau-frère du controversé entrepreneur Tony Accurso et vivait, à cette époque, avec l'ex-femme de ce dernier.

«Un des tracés pour le prolongement de l'autoroute 13 était plus favorable à Mario pour l'avenir de la carrière. Trépanier était dans le portrait et semblait avoir des contacts politiques. C'était un drôle de pistolet. C'était un genre de lobbyiste, mais pas officiel», affirme un proche de la famille, qui ne souhaite pas être identifié par crainte de représailles.

Le travail de Bernard Trépanier auprès de M. Taddeo a pris fin abruptement en décembre 1987. Mario Taddeo est tombé sous les balles d'un tireur à gages. Le meurtre n'a jamais été élucidé.

Par la suite, Bernard Trépanier a été de la plupart des élections municipales dans la grande région de Montréal: Laval, Montréal, Longueuil, Saint-Léonard, Terrebonne, Saint-Jérôme, Mascouche, Saint-Laurent. Il a travaillé main dans la main avec l'organisateur Claude Dumont, connu comme un «mercenaire d'élections»; il jouait un rôle loin des caméras, dans les coulisses du pouvoir.

C'est comme collecteur de fonds pour le parti Union Montréal qu'on lui a accolé le surnom de Monsieur 3%, en raison de ses présumées exigences d'une ristourne équivalant à 3% de la valeur des contrats attribués par la Ville. Benoit Labonté, ex-numéro deux de Vision Montréal, a été le premier à révéler au grand jour, en pleine campagne électorale de 2009, ce qu'on chuchotait à l'hôtel de ville de Montréal depuis déjà quelques années. Dans une entrevue à Radio-Canada, M. Labonté avait affirmé que la «cote» de 3% était partagée entre des élus et des fonctionnaires - qu'il n'avait toutefois pas identifiés. Il avait même soutenu en avoir informé le maire Gérald Tremblay dès 2007, alors qu'il était toujours membre d'Union Montréal et siégeait même au comité exécutif.

Devant la commission Charbonneau, M. Trépanier a été décrit comme un acteur-clé du système de collusion et de corruption à l'hôtel de ville de Montréal. C'est pour ce rôle présumé qu'il a reçu une citation à comparaître devant la Commission. «On ne fera pas de procédure pour ne pas témoigner. Il va faire son devoir», assure son avocat, Me Daniel Rock.

Les deux hommes se sont connus dans les rangs conservateurs; Me Rock y a assumé des fonctions officielles (secrétaire de la section québécoise) et a été candidat conservateur en 1980 dans Richelieu. «On a des liens d'amitié», confirme Me Rock. «Je vais le défendre, car il n'est pas question qu'il avale la pilule pour quelqu'un d'autre», affirme-t-il.

Bernard Trépanier, 74 ans, fait face à cinq chefs d'accusation dans le scandale du Faubourg Contrecoeur. Selon la police, il aurait prétendument empoché de l'argent destiné à «un parti politique». M. Trépanier a comparu brièvement la semaine dernière avec ses coaccusés, dont l'ex-président du comité exécutif de Montréal Frank Zampino et l'entrepreneur Paolo Catania. La date du procès sera fixée le 29 avril.

Trépanier cire des voitures

Installé en Floride six mois par année, Bernard Trépanier s'occupe des voitures de son ami Bernard Poulin, tête dirigeante de la firme de génie SM. L'homme au «drôle de vocabulaire» «aime cirer des voitures», a expliqué M. Poulin l'automne dernier lors du procès qu'il a intenté contre l'ancien journaliste de La Presse André Noël, actuellement enquêteur à la commission Charbonneau. Comme l'a rapporté Le Devoir, M. Poulin verse à son ami Trépanier des «montants minimes» depuis 2010 pour ses bons services.