Ce n'est pas le maire Gérald Tremblay qui dirigeait Montréal, mais bien Frank Zampino, a dit l'ingénieur Rosaire Sauriol. Le vice-président de Dessau a affirmé que le président du comité exécutif était «l'homme le plus puissant de Montréal».

Rosaire Sauriol a indiqué devant la commission Charbonneau que le maire jouait davantage un rôle de figuration à l'hôtel de ville, apparaissant aux activités de financement. Celui-ci est catégorique, les décisions étaient prises par son bras droit, Frank Zampino. «M. Tremblay n'était pas dans les projets. Il aimait pas ça. Il avait pris le volet diplomatique», a expliqué le témoin.

L'entourage de Zampino avait peu de respect pour le maire, estimant que celui-ci ne voyait rien de ce qui se tramait à la Ville de Montréal. Des conversations électroniques interceptées par la police ont d'ailleurs surpris Bernard Trépanier, organisateur de l'ancien président du comité exécutif, à ridiculiser M. Tremblay. «Il n'était pas très respectueux», a d'ailleurs confirmé Sauriol devant la commission Charbonneau.

Selon l'ingénieur, le maire ne devait même pas être au courant de la collusion qui sévissait. «Je serais très étonné que M. Tremblay ait connu le début du commencement de cette histoire de collusion.»

Sauriol confronté

L'après-midi s'annonce difficile pour l'ingénieur Rosaire Sauriol devant la commission Charbonneau. Le procureur Denis Gallant entend démontrer que le vice-président de Dessau était un joueur important dans la collusion et la corruption à l'hôtel de ville de Montréal.

Si Rosaire Sauriol a admis sa participation à la collusion à Montréal, Me Gallant tente de faire admettre au témoin qu'il a corrompu des élus et des fonctionnaires. Avant la pause du dîner, le procureur a lancé un sérieux avertissement à l'ingénieur : «Vous m'avez vu aller, vous savez que j'ai beaucoup dans mes cartons. Avant de tomber dans mes cartons, je veux des réponses franches et sincères. Vous êtes plus haut que les autres, plus haut que [Bernard] Trépanier. À l'hôtel de ville, vous en menez large», a lancé le procureur.

Me Gallant dit avoir la preuve que Rosaire Sauriol a reçu copie d'un important discours du maire avant qu'il ne soit prononcé. C'est la secrétaire de Frank Zampino, bras droit de Gérald Tremblay à l'époque, qui le lui avait transmis.

L'avocat a prévenu le témoin qu'il comptait présenter plusieurs autres éléments de preuve cet après-midi, notamment en faisant entendre des conversations vraisemblablement enregistrées par la police à l'insu de Sauriol.

«Ok, on part», a dit Me Gallant devant le refus de Sauriol d'admettre la corruption.

Plus tôt, le procureur avait souligné que Rosaire Sauriol avait une relation plus importante que les autres ingénieurs avec les entrepreneurs en construction et élus à l'hôtel de ville. «Votre différence avec plusieurs de vos collègues, c'est votre proximité avec des gens, vos liens d'amitié, autant en politique, Frank Zampino, Bernard Trépanier, qu'avec les entrepreneurs, Antonio Accurso, Paolo Catania.»

Rosaire Sauriol a assuré que ses fréquentations se limitaient à des «relations d'affaires», une explication qui a vite fâché Me Gallant.

«Est-ce qu'un réseau d'affaires implique des voyages avec les conjointes, des soupers, des cadeaux? Des fois vous ne payez pas, notamment vos deux voyages dans les îles Vierges sur le bateau d'Accurso. Aller avec le président de la SHDM [Martial Fillion] et la vice-présidente du comité exécutif à Las Vegas ?»

Me Gallant croit qu'en corrompant des élus et des fonctionnaires, Sauriol voulait obtenir une plus importante part du gâteau à la Ville de Montréal. «Vous payez déjà beaucoup, vous prenez des risques parce que c'est de l'argent sale. Pourquoi aller souper, aller sur le bateau, si ce n'est pour avoir un avantage ?», a demandé Me Gallant.



«Machine» à financement


Jusqu'à présent, le témoin avait semblé collaborer avec la Commission. Ce matin, il a affirmé que l'ex-parti de Gérald Tremblay, Union Montréal, était une «machine» à financement. Le vice-président de Dessau évalue que sa firme a versé au moins 50 000 $ par an - le double lors d'années électorales - au parti qui multipliait les cocktails où tous les fournisseurs de la métropole étaient invités à contribuer.

Rosaire Sauriol affirme que le financement illégal a commencé à Montréal sous Pierre Bourque, en 1998. Dessau a alors contribué pour 10 000 $ en argent comptant à Vision Montréal.

Après les fusions, il y a «escalade». Les demandes se font de plus en plus importantes avec la création d'Union Montréal. Bernard Trépanier contacte Dessau et demande 50 000 $ pour la campagne de 2001. Rosaire Sauriol affirme avoir donné cette somme en argent comptant.

En fait, Dessau fournira chaque année au moins 50 000 $. Lors des années électorales, la firme de génie devait en plus fournir des sommes pour les campagnes dans certains arrondissements.

«C'était une machine énormément structurée pour organiser des activités de financement», a décrit Sauriol.

«On préférait payer pour ne pas se fermer l'accès à la Ville», a expliqué le témoin. Un changement de maire à Blainville illustre bien le risque de ne pas contribuer à la campagne du maire en poste. Dessau, qui soutenait l'ancien maire et obtenait beaucoup de contrats dans la municipalité de la couronne nord, a soudainement vu le robinet se fermer à l'élection de 2005, quand un opposant s'est fait élire.

À l'extérieur de Montréal, Rosaire Sauriol a confirmé avoir fait du financement illégal à Longueuil et Châteauguay. Dessau a ainsi offert 25 000 $ pour chacune des campagnes de 1998, 2001 et 2005 de Claude Gladu et Jacques Olivier, qui ont dirigé le Parti municipal de Longueuil. Sauriol dit avoir aussi contribué pour 10 000 $ à la campagne de Sergio Pavone, ex-maire de Châteauguay.

Des partis fédéraux ont aussi bénéficié des dons illégaux

Par ailleurs, des partis politiques fédéraux ont aussi bénéficié des dons illégaux de la firme de génie Dessau, admet l'ingénieur Rosaire Sauriol.

La Commission s'est ainsi permis une brève sortie à l'extérieur de son mandat qui se limite aux activités illégales au Québec. Le procureur Denis Gallant a demandé au témoin si sa firme avait contribué aux partis fédéraux grâce au stratagème des fausses factures. «Oui», a simplement répondu Rosaire Sauriol. L'ingénieur n'a pas été questionné sur les partis à Ottawa qui ont bénéficié de la générosité de Dessau.

Une compilation des dons faits par les employés de Dessau démontre que la firme a donné pour tout près de 1 million aux partis provinciaux. Le Parti libéral du Québec a reçu à lui seul 600 000 $, contre 395 000 $ pour le Parti québécois. La réalité est toutefois beaucoup plus importante puisqu'un ancien comptable de la firme, Jean Lajoie, avait trouvé un réseau de prête-noms sans lien avec Dessau pour faire des dons aux partis. Entre 2005 et 2006, les dons de la firme sont ainsi passés de 125 000 $ à 77 000 $. Sauriol attribue cette diminution au recours au réseau de prête-noms, puisque sa firme a continué à être très généreuse envers les partis provinciaux.

Le témoignage de Rosaire Sauriol devrait durer toute la journée, selon l'évaluation de la Commission. Au moins un autre témoin, non identifié, est prévu avant le passage de Bernard Trépanier, surnommé «Monsieur 3%». Les audiences publiques faisant relâche les vendredis, les chances que l'ex-responsable des finances d'Union Montréal soit entendu cette semaine sont donc très minces.