«Je regrette amèrement tout ce qui s'est passé. Mes amis, mes parents, mes enfants, m'ont pardonné. Moi, je ne me pardonnerai jamais moi-même d'avoir fait ça.»

Penaud, se décrivant comme «très repentant» depuis six mois, l'ex-ingénieur de la Ville de Montréal Gilles Surprenant y est allé d'un acte de contrition sans détour ce matin devant la commission Charbonneau, pour sa dernière journée de témoignage. Il a décrit les 10 dernières années de sa carrière, au cours desquelles il a reçu plus de 700 000$ en pots-de-vin, comme «catastrophiques». «Je n'aurais jamais dû faire ça, ç'a été tellement l'enfer!»

Il a assuré que ces actes malhonnêtes ne se reproduiraient plus, dans aucun aspect de sa vie future.

Cet acte de contrition est survenu alors que l'ex-ingénieur était contre-interrogé par Michel Dorval, l'avocat d'Union Montréal, le parti du maire Gérald Tremblay. L'avocat a été rabroué à plusieurs occasions par la présidente France Charbonneau, qui estimait que ses questions sortaient de son mandat et relevaient plutôt de la Ville de Montréal.

Me Dorval a malgré tout pu rappeler que, le mois dernier, Gilles Surprenant a vendu sa maison, évaluée à 350 000$, à sa fille pour la somme de 1$. Il a suggéré que l'ex-ingénieur visait ainsi à se soustraire à ses éventuels créanciers, notamment la Ville de Montréal, qui étudie les possibilités de récupérer une partie des pots-de-vin qu'il a empochés. «Je ne l'ai pas vu comme ça. Quand la Commission m'a contacté, on m'a parlé d'immunité complète. Mais je n'étais pas certain, je ne suis pas avocat. J'ai vendu la maison à ma fille, ce sera mon héritage.»



Premier pot-de-vin en 1988


Aveu cocasse, il a par ailleurs déclaré qu'il ne sait pas «par coeur» le code d'éthique du l'Ordre des ingénieurs du Québec. Il a cependant tenu à défendre son professionnalisme. «Mon travail technique, mon travail d'ingénieur a été réalisé toujours selon les règles de l'art.»

Plus tôt en matinée, M. Surprenant a avoué qu'il avait reçu son premier pot-de-vin en septembre 1988, soit trois ans plus tôt que ce qu'il avait déclaré la semaine dernière. Il a reconnu le premier contrat qui lui avait valu une ristourne de 4000$. Il avait été accordé à l'entrepreneur Frank Catania pour la réfection d'infrastructures à Westmount.

La Commission a par ailleurs établi son propre calcul des pots-de-vin qu'a reçus le fonctionnaire à la retraite, soit 736 000$ «sans les billets de hockey, les voyages, les bouteilles de vin ni les repas», a précisé la présidente, France Charbonneau.

M. Surprenant a par la suite rappelé que la Ville de Montréal s'était débarrassée d'une partie importante de son personnel de surveillance au tournant des années 2000. De 11 ingénieurs, on est passé à «2 ou 3» qui faisaient la visite des chantiers. Conséquence: les «contingences», ces imprévus qui totalisaient en moyenne 10% des contrats, ont commencé à grimper.

Il a par ailleurs révélé n'avoir eu affaire qu'une seule fois, dans toute sa carrière, au vérificateur de la Ville. «Pendant 10 minutes, il m'a posé des questions. Je ne me rappelle plus pour quel contrat.»

Ses supérieurs se sont-ils posé des questions sur sa probité? a demandé le procureur de la Commission, Denis Gallant. «Je savais que mes supérieurs faisaient comme moi. Tout le monde profitait du système.»

En fin d'interrogatoire, l'ingénieur à la retraite a convenu que le fait d'avoir accepté des pots-de-vin «était une grosse erreur de jugement» de sa part. «On était pris là-dedans. Ça fonctionnait.»



Une liasse de 100$


En contre-interrogatoire tout l'après-midi, l'avocat de la Ville de Montréal, Martin Saint-Jean, a tenté de prouver que la corruption était limitée dans l'appareil municipal. «Toutes les soumissions à la Ville de Montréal ne sont pas truquées, a suggéré Me Saint-Jean. Ce sont celles qui portaient le nom de Gilles Surprenant qui l'étaient.»

M. Surprenant a répété que le phénomène était «un secret de polichinelle», même s'il a précisé ne s'être jamais confié à ses collègues à ce sujet. La corruption touchait vraisemblablement d'autres services, estime-t-il. «Je crois que ce type de chaîne-là n'existait pas seulement chez nous.»

À une occasion, un «beau vendredi après-midi», vers 2007, son collègue Yves Themens lui a montré une liasse de billets de 100$ d'une épaisseur de 2 cm. Il y en avait pour «3000 ou 4000$». L'ingénieur affirme avoir été surpris. «Il me semble que ça n'aurait pas dû être fait. Ce n'était pas correct de me montrer ça.»

En aucun temps, a précisé M. Surprenant, il n'a lui-même remis de l'argent à un collègue.

Il a par ailleurs avoué sa surprise, lors d'un voyage de golf offert par l'entrepreneur Tony Conte, vers 1997, de voir que le parrain de la mafia montréalaise, Vito Rizzuto, allait les accompagner. Avant le départ, à l'aéroport, «quand on a vu M. Rizzuto, on est restés pas mal surpris, a raconté l'ex-ingénieur. On s'est dit: "Qu'est-ce qu'on fait? Les billets d'avion sont pris, on est ici, à l'aéroport..." On est partis, c'est tout.»

Il n'a jamais parlé de ce voyage à ses supérieurs et n'a pas affiché de photos sur son bureau, a-t-il précisé à la demande de l'avocat. «Pensez-vous vraiment que j'allais afficher des photos avec M. Rizzuto sur mon bureau? Premièrement, je n'avais pas pris de photos.»

M. Surprenant a par ailleurs décrit l'usage qu'il a fait des billets de saison du Canadien qu'il a reçus en 2004. Pour les 46 matches à domicile, il a expliqué qu'il s'était fait accompagner de ses trois enfants et de sa conjointe de l'époque, «jamais» d'un collègue. Fait paradoxal, la Ligue nationale de hockey était en lock-out cette année-là; la saison a été annulée en février 2005. La Commission n'a pas relevé cette apparente contradiction.



Étincelles entre avocats

Le contre-interrogatoire corsé de Me Saint-Jean a poussé la commissaire  Charbonneau à voler à la rescousse de M. Surprenant. «On n'est pas en train de faire le procès du témoin. Monsieur a admis tous ses crimes. Je pense qu'on a vraiment fait le tour de la question. Il nous a expliqué ça dans tous les détails.»

Le procureur de la Commission, Denis Gallant, a également bondi quand l'avocat de la Ville a demandé si le témoin était prêt à faire des travaux communautaires en échange de l'immunité dont il profite. «C'est un catch 22, une question illégale», a plaidé Me Gallant.

M. Surprenant a tenu à clore son témoignage par une courte déclaration: «Je voudrais m'excuser auprès de la population, dire que je regrette sincèrement tout ce que j'ai fait.»

À l'ouverture des travaux, en matinée, la Commission avait accordé à la Ville de Laval le statut de participante, en restreignant son champ d'intervention à l'attribution des contrats publics sur son territoire.

Les travaux de la Commission reprendront lundi, avec un nouveau témoin dont l'identité n'a pas été révélée.