Moins ça va bien, plus ça va mal. Ainsi va la vie depuis quelques semaines pour le gouvernement caquiste. Les mauvaises nouvelles en attirent d’autres.

Pour redresser la barre, François Legault devance ou précipite des décisions sans consultations adéquates. Parfois, son Conseil des ministres l’apprend en regardant la télé, comme pour la relance du nouveau lien routier entre Lévis et Québec, annoncée quelques heures après le choc de la défaite dans Jean-Talon. En une année, il a défendu trois positions sur le même sujet : pour, contre puis peut-être.

Cela accentue l’impression de désordre et la perte de crédibilité. C’est du moins ce que semble indiquer le nouveau sondage Léger⁠1, qui mesure une baisse de 8 points pour la Coalition avenir Québec (CAQ).

En décembre dernier, la CAQ dominait avec près de 40 % des intentions de vote. La baisse depuis a été lente, mais assez constante. À la mi-septembre, elle était rendue à 34 %. Et maintenant, elle est à 30 %.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

L’heure n’est pas encore à la panique, loin de là.

Les élections se dérouleront dans trois ans. Une éternité, en politique.

De plus, M. Legault n’est pas tout à fait surpris. Il voulait entreprendre des réformes difficiles en santé et en éducation en début de mandat, en sachant que cela lui ferait perdre des appuis. Mais il a gaspillé une partie de cette « réserve de courage » avec le rattrapage salarial des députés, aussi populaire dans son caucus que dénoncé dans la population.

Enfin, l’insatisfaction envers la CAQ découle en partie de la hausse du coût de la vie. Quand vous en arrachez pour payer le loyer et l’épicerie, vous ne débordez pas d’amour pour le gouvernement. Surtout quand vous n’avez pas l’impression qu’il agit sur les causes profondes de la crise.

Durant son premier mandat, le gouvernement Legault profitait des surplus libéraux pour distribuer l’argent. La pandémie l’a ensuite occupé à temps plein.

Mais depuis sa réélection, la réalité le rattrape. Face au contexte budgétaire qui se resserre, il doit faire des choix difficiles. Par exemple, les municipalités n’auront pas tout l’argent réclamé pour éponger leurs déficits en transport collectif. Les syndiqués ne recevront pas entièrement les hausses salariales réclamées. Et ainsi de suite.

Les caquistes se compliquent toutefois la vie en envoyant des messages contradictoires.

En septembre, le ministre des Finances Eric Girard annonçait qu’il n’enverrait plus de chèque pour aider contre l’inflation, mais M. Legault a laissé entendre le contraire le lendemain.

Le premier ministre a aussi assuré que la hausse des tarifs d’électricité ne dépasserait jamais 3 %, tandis que le ministre de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, rappelle que la loi plafonne la hausse seulement jusqu’à mars 2025. « Après, on verra », dit-il.

Pour faire bouger l’aiguille, le bureau du premier ministre dégaine rapidement. Durant la pandémie, cette réactivité et cette capacité à reconnaître ses erreurs faisaient la force de M. Legault. Mais aujourd’hui, cela inspire moins confiance.

En 2018, M. Legault devait une partie de son succès au contraste entre son style et celui de Philippe Couillard. Le chef libéral était un intellectuel qui pouvait donner l’impression de manquer de sensibilité face aux inquiétudes de la population. M. Legault était au contraire très terre à terre, émotif et direct.

Cette fois, Paul St-Pierre Plamondon profite du même phénomène.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, LA PRESSE CANADIENNE

Paul St-Pierre Plamondon, chef du Parti québécois

Cartésien, il reste fidèle à ses principes même quand ils sont impopulaires. Cela contribue à son ascension depuis la fin de 2022. Léger le place aujourd’hui à 26 %.

Cette popularité aidera le recrutement du Parti québécois (PQ). Mais elle pourrait compliquer son travail.

Le regain de popularité du PQ ne s’explique pas par une hausse marquée de la ferveur indépendantiste. Sur le sujet, les avis fluctuent peu.

Pour l’instant, peu de gens jugent plausible la tenue d’un nouveau référendum. Mais si jamais une victoire péquiste devait devenir le moindrement plausible, la question référendaire se posera. M. Legault courtisera les nationalistes mous et indépendantistes hésitants en jouant à la fois la carte du nationalisme et celle de la stabilité. Après avoir navigué en eaux tranquilles depuis son élection à la direction péquiste, M. St-Pierre Plamondon sera mis à l’épreuve.

Pour Québec solidaire (QS), l’euphorie de la victoire dans Saint-Henri–Sainte-Anne a été suivie par des lendemains difficiles. Son défi n’est pas tant de percer dans les régions – ses appuis dans le Grand Montréal et dans la Capitale-Nationale sont similaires à ceux dans le reste du Québec.

Le problème de QS est générationnel. Le parti de gauche domine chez les 18-34 ans (38 %). Mais chez les 55 ans et plus, c’est la catastrophe. À peine 3 % d’appuis, selon Léger. Les propositions fiscales promues dans la dernière campagne électorale, qui considéraient des retraités de la classe moyenne supérieure comme des ultra-riches, n’ont pas aidé.

À l’interne, QS parle aujourd’hui comme le PQ en 2014 et en 2018 : en blâmant les médias. En fait, c’est un simple retour du balancier.

QS a passé des années à vendre un programme qui n’était pas étudié d’aussi près que ceux de ses rivaux, car on savait que le parti ne prendrait pas le pouvoir. On prend les solidaires au sérieux, et ils s’en plaignent.

Quant au Parti libéral, son purgatoire se poursuit. Seul l’appui inconditionnel de la communauté anglophone, combiné aux distorsions du mode de scrutin, réussit à en faire l’opposition officielle.

Les libéraux et les solidaires stagnent. Le mouvement dans les intentions de vote ressemble à un bitube entre péquistes et caquistes. En 2018 et en 2022, le bleu foncé avait migré vers le bleu poudre. Le trafic se fait maintenant dans les deux sens.

Il structurera le débat à venir. D’ailleurs, M. Legault a annoncé que la politique d’immigration sera révisée dans deux ans, au lieu du cycle régulier de trois ans. Coïncidence, on en reparlera donc juste avant la prochaine campagne électorale.

1. Consultez le sondage Léger