C’est lundi soir. Le soir où il ne se passe rien. Sauf ce soir. Ma blonde et moi, on fait la queue devant un magasin de tapis de l’avenue du Parc, parce qu’au-dessus, il y a le Club Soda. C’est la première des Lundis des Ha ! Ha ! Et dans quelques minutes aura lieu une énorme explosion. Aux retombées atomiques. L’explosion de l’humour québécois.

La musique de Peter Gunn retentit, le projecteur balaie la scène de lumière, Ding et Dong font leur entrée. Le ralenti Ding et l’accéléré Dong. Le rire vient de changer de vitesse. À jamais. Chaque parole prononcée par les deux maîtres de cérémonie déclenche l’hystérie. C’est physique. Les gens se tordent sur leurs chaises. Ça fait mal et tellement de bien.

Ding et Dong sont tellement mauvais, mais tellement heureux de l’être, qu’ils sont fantastiques. Tellement en retard qu’ils sont à l’heure. Tellement coupables d’être innocents. Ils sont la représentation de l’absurdité de nos vies. Une absurdité si bien assumée qu’elle vient nous libérer de tout ce qu’on a de noué en nous. Et on rit à gorge déployée. Avec Thériault, Meunier et leurs invités.

Cette soirée-là fut une révélation. Cette soirée-là fut une révolution. Tout le monde a réalisé le pouvoir de l’humour. Autant le public que le milieu.

Ce n’était plus l’affaire des monstres sacrés. Ça pouvait être l’affaire des petits monstres. L’humour venait d’atteindre un autre niveau. Le niveau Rock. Le niveau Pop.

Ding et Dong, l’incarnation de deux comiques ratés, sont devenus les rois du showbiz. Et dans la foulée de leur succès, plein de nouveaux prodiges sont nés : Lemire, Verville, Gagnon, Barrette, alouette. La vague de l’humour du début des années 1980 n’a pas provoqué qu’un tsunami, elle a créé un océan, sur lequel les humoristes d’aujourd’hui surfent encore.

Le grand débarquement des Lundis des Ha ! Ha ! se préparait depuis 10 ans. Depuis les premiers spectacles de Paul et Paul, trio comique formé de Claude Meunier, Serge Thériault et Jacques Grisé. Toute une génération d’adolescents et de jeunes adultes se reconnaissait déjà dans leur description de la réalité. Leur album Rémi AM/FM était mon Rocky Horror Picture Show. Mon chum Ronald et moi déclamions chacune des répliques, durant nos nombreuses écoutes nocturnes. Et nous étions toujours épatés par les tournures de phrase merveilleusement vides de sens. Tout le génie de Claude Meunier est là. Dans ce langage décalé.

Comme Michel Tremblay et Yvon Deschamps, Meunier a façonné la parole québécoise, comme le sculpteur façonne le marbre. Pour en sortir la fragilité.

Si la langue de Tremblay est celle du cœur (et des chœurs), si la langue de Deschamps est celle de la conscience, de l’humanisme, la langue de Meunier est celle des tripes, de l’ego trip. Ses personnages parlent avec leur rage. Avec leurs frustrations. Ils tentent désespérément d’aller vers les autres, en ramenant tout à eux. Ils sont malhabiles. Et c’est ce qui nous fait rire.

Après avoir conquis la scène, Ding et Dong allaient conquérir le petit écran. Leur sketch parodiant les téléromans, inventé au Club Soda, est devenu l’émission hebdomadaire la plus regardée de l’histoire de notre télé. Un lundi soir. Le soir où il ne se passe rien. C’est la magie de Meunier, changer le lundi, le quotidien, les vidanges et le pâté chinois en samedi, en évènement, en trésor et en festin.

PHOTO FOURNIE PAR RADIO-CANADA

Les personnages de La petite vie étaient déjà revenus sur nos écrans le temps de l’émission spéciale Noël Story, en 2009.

Ne serait-ce que pour la scène finale, Radio-Canada aurait dû diffuser les nouveaux épisodes de La petite vie sur sa chaîne principale. Sans la dévoiler avant. Pour que l’on soit tous conviés au même rendez-vous et que l’on déballe tous le même cadeau au même moment.

Imaginez, si on l’avait tous vécu, ensemble, en même temps, cet instant. Moman qui revient auprès de Popa. Serge Thériault qui revient auprès de lui-même. Auprès de nous. Auprès de son talent.

Serge Thériault qui réussit à vaincre ses peurs et sa maladie pour revêtir la jaquette et donner la réplique à son partenaire, à son ami, à son Dong, Claude Meunier. L’interprète des profondeurs et l’auteur à la hauteur, réunis. Même en le sachant, j’en ai été bouleversé.

C’est comme si toute l’œuvre de Meunier était cristallisée dans cette séquence. Toute sa galerie de personnages fêlés, dysfonctionnels, défaillants finissaient par gagner, à travers la présence de Moman. On a toujours su que Moman était la plus forte de La petite vie. On craignait que Thériault n’ait plus la force de l’être.

J’espère, Serge, que cette apparition t’a fait autant de bien qu’elle nous en a fait. Et que dans l’ombre ou la lumière, tu profites de la vie, comme ton âme sensible le mérite.

Et bravo, Claude, pour ton univers, il faut être un très grand pour aussi bien décrire la petite vie.