On aurait pu employer toutes sortes de formules animalières colorées, comme oiseau rare et drôle de moineau, mais puisqu’il emploie lui-même l’expression, allons de l’avant et osons qualifier François Morency de « bébite ». Après tout, il faut appeler un chat un chat.

« Bébite », parce qu’en 30 ans de carrière (anniversaire qu’il souligne en 2023), François Morency n’a jamais connu de période creuse. « Bébite », parce que son entourage le soupçonne de ranger ses t-shirts par couleurs. Et « bébite », parce qu’en entrevue, le principal intéressé avoue candidement qu’à l’extérieur du travail, « il n’y a pas tant d’affaires » qu’il aime au quotidien.

« Être avec mes chiens husky en forêt : ça, c’est ma bulle de bonheur. C’est ma seule évasion. Le seul endroit où mon travail n’existe pas. Le reste du temps, c’est constant. Quand je vais au gym, les gens me voient marcher en rond. Ils voient mes lèvres bouger. J’ai l’air d’un schizophrène. Mais parce qu’ils me connaissent, ils savent. Je suis en train de répéter un texte ou d’écrire. »

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François Morency

Je suis souvent très, très, très, très dans ma tête. C’est dur de m’en libérer.

François Morency

Cette situation, François Morency l’a choisie. Parce qu’il adore son métier. Il aime écrire, répéter, jouer, comprendre, étudier, enchaîner les réunions... Même lorsqu’il prend des vacances (ce qui n’arrive pas souvent), il part avec son ordinateur pour pouvoir approuver des montages.

« On s’écrit beaucoup trop de courriels en dehors des heures de travail, confirme le producteur de Discussions avec mes parents, Guillaume Lespérance. François est pas mal tout le temps ON. En six ans, je ne l’ai jamais entendu dire : “Je n’ai pas le temps.” Travailler avec quelqu’un d’aussi impliqué, c’est génial. »

  • Le Café de l’humour, animé par un jeune François Morency, en 1995

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    Le Café de l’humour, animé par un jeune François Morency, en 1995

  • Normand Brathwaite et François Morency au gala Artis en 2007

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    Normand Brathwaite et François Morency au gala Artis en 2007

  • Geneviève Brouillette et François Morency, vedettes du film Nuit de noces d’Émile Gaudreault, en 2001

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    Geneviève Brouillette et François Morency, vedettes du film Nuit de noces d’Émile Gaudreault, en 2001

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Objectif : longévité

François Morency a toujours été discipliné. Au sortir de l’École nationale de l’humour, en faisant la tournée des bars, en 1993, l’aspirant humoriste de stand-up a vite réalisé qu’il devait avoir plusieurs cordes à son arc s’il souhaitait perdurer dans l’industrie. Dans cette ère pré-réseaux sociaux, cela signifiait manger ses croûtes et monter chaque soir sur scène en espérant être remarqué.

En revisitant ces souvenirs, François Morency insiste : l’époque des soirées d’humour organisées qu’on connaît aujourd’hui, qui rallient un public captif d’initiés souhaitant écouter la personne au micro, était loin d’être arrivée. « On dérangeait le monde qui voulait prendre sa bière en paix. On gagnait notre public, un gars soûl à la fois. »

  • François Morency a été animateur-vedette à CKOI, à la fin des années 1990.

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    François Morency a été animateur-vedette à CKOI, à la fin des années 1990.

  • François Morency et Bonhomme Carnaval, en 2009, à un gala Juste pour rire

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    François Morency et Bonhomme Carnaval, en 2009, à un gala Juste pour rire

  • En 2002, au gala Juste pour rire, un rapprochement unique entre François Morency et Laurent Paquin

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    En 2002, au gala Juste pour rire, un rapprochement unique entre François Morency et Laurent Paquin

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François Morency a visiblement atteint son objectif de diversification, puisque trois décennies plus tard, son parcours, particulièrement varié, comprend 15 années de radio (comme rédacteur, animateur et producteur), 4 spectacles solos (675 représentations et 500 000 billets vendus), une vingtaine de galas (Olivier, Artis, Juste pour rire), 2 best-sellers et 3 émissions de télévision, dont Discussions avec mes parents, qui continue de figurer dans le top 3 des fictions les plus écoutées au Québec, derrière STAT et Indéfendable.

« Je n’avais pas envie d’attendre la sonnerie du téléphone, explique l’humoriste. Je voulais être proactif et créer mes propres affaires. Ça m’a donné une palette de possibilités et d’éventualités. Je n’étais plus esclave d’un médium ou d’une personne en position de pouvoir qui pouvait arrêter ma carrière en claquant des doigts. »

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François Morency a animé le gala Artis trois années consécutives au début des années 2000.

Si François Morency n’a jamais réalisé de longue traversée du désert, c’est aussi parce qu’il s’est toujours vite remis sur pied après une déception professionnelle, comme lorsque TVA a débranché son talk-show Merci bonsoir ! en 2004, ou encore quand CKOI a stoppé Midi Morency en 2011.

Joint au téléphone, Martin Langlois, qui gère sa carrière depuis 18 ans, confirme sa résilience. « François a saigné du cœur en tabarouette quand Merci bonsoir ! s’est terminé. Ça lui a fait mal, mais il est retourné faire un show le jour même. Ça l’a forcé à avancer. Et quand ses parents sont morts [son père en 2019, sa mère en 2021], ç’a été un gros choc. Mais il n’a pas fui. Il n’est pas resté en petite boule dans son garde-robe. »

Entre deux gorgées de Gatorade rose, François Morency utilise une métaphore de hockey pour illustrer son côté « bagarreur ». « J’ai toujours fait beaucoup de sport. Ça m’a appris une chose : tu n’abandonnes pas. Même quand tu perds 6-0 après deux périodes, tu ne t’en vas pas chez vous. Tu retournes jouer la troisième. Tu essaies de remonter la pente. »

Conciliation

Et maintenant, la question qui tue : après 30 années de carrière, le pied bien appuyé sur l’accélérateur, est-ce que François Morency parvient à concilier vie professionnelle et vie privée ? Après quelques secondes de réflexion, l’humoriste tente une réponse.

« J’ai des amis qui ont besoin d’être en couple. Pas parce qu’ils sont plus faibles que moi. Ça n’a rien à voir. Mais quand une fille les lâche ou qu’ils lâchent une fille, deux semaines après, ils sont matchés. Mais comment tu fais pour trouver une blonde qui t’allume aussi rapidement ? »

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

François Morency

Moi, c’est différent. Et avec le temps, j’ai accepté qui j’étais : une bébite de solitude.

François Morency

« J’ai rencontré des filles extraordinaires », poursuit l’éternel célibataire (qui révèle avoir « une nouvelle copine » depuis peu). « J’ai fucké des relations parce que j’étais trop consacré au travail. J’en suis parfaitement conscient. Je suis encore ami avec ces filles-là. Elles ont des enfants avec d’autres gars. Est-ce que j’aurais pu être moins ce que j’étais pour continuer d’être avec elles ? Peut-être. Mais en même temps, tu es ce que tu es, buddy. »

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

François Morency sur le plateau de tournage de la série Discussions avec mes parents, avec Marie-Ginette Guay et Vincent Bilodeau

La suite

François Morency a récemment amorcé l’écriture d’une septième saison potentielle de Discussions avec mes parents, qui vient d’obtenir le prestigieux Prix du public aux Gémeaux. En secret, il développe une émission de variétés. Un pilote a d’ailleurs été tourné.

Dans quelques années, le bourreau de travail pourrait également reprendre la route et présenter un cinquième one-man-show. (« Tu sais, Jerry Seinfeld a 69 ans. Il monte encore sur scène cinq soirs par semaine, comme Jay Leno. Don Rickles a fait du stand-up jusqu’à sa mort. George Carlin aussi. »)

C’est flagrant : son métier le passionne autant, et bien qu’il n’ait nullement l’intention de prendre sa retraite à court, moyen ou long terme, il songer à ralentir le rythme. Éventuellement.

« Ne rien faire ? Non. Je pense que je serais très heureux pendant quelques mois parce que j’ai très peu voyagé. J’ai seulement vu l’Amérique du Nord. Je n’ai pas vu l’Asie, la Grèce, l’Italie... Je suis géographiquement déficient. Je veux corriger ça. Mais après mon retour, je sais que je vais faire : “OK, c’est quoi, la suite ?” »

ICI Télé diffuse Discussions avec mes parents le lundi à 19 h 30.

François Morency en six temps

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

François Morency

Même s’il n’est pas nostalgique du passé, François Morency a accepté de regarder en arrière pour souligner ses 30 ans de carrière.

Les nouvelles valeurs (1997-1998)

PHOTO LAURENCE LABAT, FOURNIE PAR FRANÇOIS MORENCY

François Morency dans son premier one-man-show

François Morency lance son premier one-man-show, dans lequel il parle de sujets tabous comme la religion et l’homosexualité. « On a fait 35 soirs de suite sold-out au Cabaret Juste pour rire. Je vivais à 5 minutes à pied. J’étais comme en résidence à Vegas, mais à Montréal. Ç’a été un thrill extraordinaire. »

L’année suivante, il part en tournée, et attire 70 000 spectateurs. Ce succès, qui confirme son arrivée dans « les grandes ligues », survient après une expérience inusitée : assurer la première partie des spectacles de Céline Dion. « Le Centre Molson, je m’en souviens parce que c’était plein à craquer, évidemment. Le premier soir, quand ils ont éteint les lumières et qu’ils ont annoncé mon nom... Je vais toujours me souvenir des applaudissements de miniputt quand je suis entré sur scène ! »

Midi Morency (1999-2001 et 2004-2011)

PHOTO ARMAND TROTTIER, ARCHIVES LA PRESSE

François Morency au micro de Midi Morency à CKOI, en septembre 1999

Avec Éric Nolin, Pierre Prince et Cathya Attar, François Morency domine les ondes sur l’heure du dîner. Gro canon de CKOI, Midi Morency est d’ailleurs sacrée meilleure émission de radio humoristique quatre années consécutives aux Olivier.

Pour cette aventure FM, l’humoriste remercie aujourd’hui Mario Cecchini, ancien patron de Corus Québec (qui dirige actuellement la Ligue de hockey junior majeur du Québec), le groupe médiatique qui détenait l’antenne montréalaise. « Il est venu me chercher. Il m’a donné une chance. Il m’a fait confiance. »

Malgré une fin abrupte en 2011 après 1700 émissions, François Morency garde le souvenir d’« années extraordinaires » mais étourdissantes, puisqu’il était « partout » durant cette période.

« J’étais en tournée, j’étais sur scène quatre soirs par semaine, en plus des corpos. J’animais le gala Artis, j’animais des galas Juste pour rire. Je faisais des publicités pour Oasis, je jouais dans Caméra café... C’était costaud, comme rythme. »

Nuit de noces (2001)

PHOTO NICOLE RIVELLI, FOURNIE PAR CINÉMAGINAIRE INC.

Geneviève Brouillette et François Morency dans Nuit de noces

Avec Geneviève Brouillette, François Morency tient la vedette de Nuit de noces, une comédie de mœurs d’Émile Gaudreault (De père en flic, Menteur) qui raconte les mésaventures d’un jeune couple venu se marier, avec parents et amis, à Niagara Falls. Le film récolte des recettes de 2 800 000 $ au box-office québécois, et remporte la Bobine d’or aux prix Genie, une récompense attribuée au long métrage ayant enregistré le plus grand nombre d’entrées au pays.

« Je connaissais Émile Gaudreault et Marc Brunet de l’École de l’humour. J’avais entendu entre les branches qu’ils écrivaient un film... J’ai passé deux ou trois auditions, et j’ai décroché le rôle. »

« J’ai beaucoup appris en tournant le film. J’ai appris comment gérer mon énergie en regardant les autres comédiens, comme Yves Jacques. C’était nouveau pour moi, d’être en stand-by pendant quatre heures pour faire une scène d’une minute. »

Merci bonsoir ! (2003-2004)

PHOTO ROBERT MAILLOUX, ARCHIVES LA PRESSE

François Morency en septembre 2003, dans le studio de Merci bonsoir, sa nouvelle émission à TVA

François Morency succède à Julie Snyder (Le poing J) et à Marc Labrèche (Le grand blond avec un show sournois) aux commandes du talk-show de soirée de TVA. L’humoriste, qui avait l’habitude de regarder religieusement David Letterman et Johnny Carson, réalise un rêve. Les téléspectateurs sont au rendez-vous, mais après une seule saison, le diffuseur débranche l’émission en invoquant des raisons budgétaires.

« Ça s’est juste terminé plus tôt que je l’aurais souhaité. J’ai senti qu’on m’avait tiré le tapis sous les pieds. Je pensais qu’on était partis pour cinq ans. »

François Morency ne croit pas qu’il aura la chance de répéter l’expérience et d’animer une autre émission du genre. « Les talk-shows, ce n’est plus ce que c’était. Même aux États-Unis, les cotes d’écoute sont en chute libre. Au Québec, il y a plus de talk-shows qu’il y a d’invités pour y aller. Et c’est sans compter les podcasts. »

Les Olivier (2014, 2016-2017)

PHOTO ULYSSE LEMERISE, ARCHIVES LA PRESSE

Francois Morency à l’animation du gala Les Olivier, en décembre 2017

François Morency prend les rênes du gala de l’humour en 2014, et frappe un coup de circuit, auprès des critiques et du public. Il revient aux commandes en 2016 et 2017, et chaque fois, la cérémonie se déroule en pleine controverse : numéro censuré de Mike Ward et Guy Nantel, puis l’année suivante, des allégations de harcèlement et d’agressions sexuelles contre Gilbert Rozon.

La pression est forte, mais Morency s’en tire bien.

« Animer un gala, c’est la règle du 3-3-3 : tu travailles trois mois pour un show qui dure trois heures, et après trois jours, plus personne n’en parle. C’est terminé. Et c’est normal. C’est une leçon de showbiz aussi. Les gens ont des vies. Ils ont des conjoints, des enfants, des hypothèques à payer, un rendez-vous chez le dentiste... Tu peux être le talk of the town [sujet chaud] pendant quelques jours, mais après, c’est terminé. Le monde passe à autre chose. »

Discussions avec mes parents (2018-aujourd’hui)

PHOTO KARINE DUFOUR, FOURNIE PAR RADIO-CANADA

François Morency avec Vincent Bilodeau (Jean-Pierre) et Marie-Ginette Guay (Rollande) dans Discussions avec mes parents

François Morency présente l’adaptation télévisuelle du livre du même nom publié l’année précédente, un succès de librairie dans lequel il dévoile des anecdotes familiales impliquant ses parents. La série obtient un succès instantané sur ICI Télé, avec 826 000 téléspectateurs la première saison. Ses cotes d’écoute ne font qu’augmenter au cours des années suivantes, pour atteindre un sommet de 1 329 000 en 2021.

« Les chances que mon prochain projet marche autant sont quasiment nulles. J’en suis conscient. Et c’est pour ça que j’en profite pleinement », dit l’humoriste.

« C’est la combinaison de tout ce que j’ai fait avant : la scène, la radio, l’animation de gala... Avant, j’aurais peut-être été trop égoïste pour travailler en équipe. Je pense que j’aurais gardé plus de gags pour moi, j’aurais tiré la couverte de mon bord, alors qu’aujourd’hui, c’est correct si Marie-Ginette Guay ou Vincent Bilodeau [qui incarnent ses parents à l’écran] volent le show. Je suis zéro menacé. »