Les patients qui ont des symptômes associés à la maladie de Lyme souffrent depuis longtemps et se sentent incompris, voire stigmatisés, ont souligné deux médecins à l’enquête publique sur la mort d’Amélie Champagne, mardi à Montréal.

« Ce sont des patients très malades, qui souvent ont de l’errance médicale pendant des années, qui ont beaucoup de souffrance », a martelé la Dre Sophie Michaud, infectiologue et microbiologiste retraitée depuis mars dernier.

« Souvent, ça fait longtemps qu’ils ne sont pas bien, donc il y a une stigmatisation psychologique qui est très importante », a aussi indiqué l’omnipraticienne Lyne Desautels, directrice médicale et propriétaire du réseau de cliniques CMIE.

Les Dres Michaud et Desautels ont donné cet éclairage dans le cadre de l’enquête publique sur le suicide d’Amélie Champagne, une étudiante montréalaise de 22 ans, morte l’an dernier après avoir souffert durant des années de symptômes associés à la maladie de Lyme.

Amélie Champagne a consulté les Dres Desautels et Michaud dans les six derniers mois de sa vie, alors que celles-ci pratiquaient en cliniques privées.

La jeune femme a consulté la Dre Desautels en visioconférence en mars 2022, après avoir rempli un questionnaire sur ses symptômes avec une infirmière, également en télémédecine.

« On a conclu que probablement, elle avait possiblement la Bartonella et la Borrelia burgdorferi », a témoigné la Dre Desautels en faisant référence à deux bactéries transmises par des tiques. La deuxième de ces bactéries est responsable de la maladie de Lyme.

Il y a de fortes probabilités […] que ça soit la maladie de Lyme.

La Dre Lyne Desautels, en réponse à une question de la coroner Julie-Kim Godin

Des tests de laboratoire et un plan de traitement de deux antibiotiques ont été planifiés. Mme Champagne a aussi rencontré une naturopathe recommandée par la clinique « pour préparer le terrain à recevoir le traitement conventionnel ».

PHOTO TIRÉE DU COMPTE LINKEDIN DALAIN CHAMPAGNE

Amélie Champagne

Les patients sont recommandés à des naturopathes « parce que je pratique au Québec, si je vais là, je ne respecte pas mon code, mon cadre professionnel », a expliqué la Dre Desautels.

Mme Champagne était revenue du rendez-vous en naturopathie avec plus de 400 $ de produits qui avaient provoqué des sueurs nocturnes, ont raconté ses proches lundi.

Au deuxième rendez-vous de la patiente à la clinique de la Dre Desautels, fin avril, on a constaté qu’elle « avait eu une réaction assez forte » aux produits naturels et n’avait pas entrepris le traitement antibiotique. Elle n’est jamais revenue.

Babésiose et bartonellose

« Mon impression diagnostique, c’était que c’était une présentation clinique compatible avec une babésiose et une bartonellose, mais qu’il fallait éliminer une maladie de Lyme », a pour sa part estimé la Dre Michaud quand Mme Champagne l’a consultée à Bromont, en mai 2022. La babésiose est causée par un parasite et la bartonellose, par une bactérie.

La spécialiste a fait faire, aux États-Unis, un test pour la babésiose qui « doit encore être validé, c’est pour ça qu’il est considéré encore comme un test de recherche ». Elle lui a aussi prescrit un antiparasitaire utilisé dans le traitement de la malaria « à très petites doses pour confirmer le diagnostic [de la babésiose] ».

Elle l’a ensuite revue à quelques reprises et lui a prescrit d’autres médicaments à « des doses très, très, très progressives ».

Certains de ses symptômes venaient des maladies identifiées, et d’autres de « herx » passagers provoqués par les médicaments, a indiqué la Dre Michaud. Une réaction de Herxheimer (« herx ») est une réaction à un traitement, notamment antibiotique.

La Dre Michaud a rencontré la jeune femme en visioconférence le 6 septembre, « bouleversée » qu’un message urgent laissé quatre jours auparavant lui ait échappé. « Va à l’urgence ! », lui a-t-elle dit, en plus d’interrompre deux traitements antibiotiques.

Le 6 septembre est aussi la journée où Mme Champagne a demandé à son frère comment faire un nœud avec ses cordes d’escalade – épisode pour lequel sa mère l’a amenée à l’Institut universitaire en santé mentale Douglas.

La patiente a décliné l’offre de passer la nuit à l’unité d’hospitalisation brève, rattachée aux urgences, mais a été recommandée pour un suivi psychiatrique rapide, a témoigné le psychiatre de garde ce soir-là, le DEduardo Chachamovich. Le suivi était marqué P1, la plus haute priorité, à effectuer entre 24 et 72 heures.

« Comment peut-on expliquer [que ce suivi] ait pris 13 jours ? », a demandé le père d’Amélie Champagne, en référence à un appel reçu après la mort de sa fille.

Cette question sera abordée plus tard, lors du témoignage de représentants de centres de santé, a-t-on entendu à l’audience publique.

L’histoire jusqu’ici

11 septembre 2022

Amélie Champagne, 22 ans, se donne la mort peu après avoir visité deux urgences psychiatriques et fait une première tentative de suicide. Elle souffrait depuis des années de multiples symptômes semblables à ceux de la maladie de Lyme.

27 septembre 2022

Deux semaines après cette mort tragique, la coroner en chef du Québec ordonne une enquête publique.

11 décembre 2023

Les audiences débutent avec les témoignages de proches et d’un médecin de famille. Elles se poursuivent avec les témoignages de médecins spécialisés dans la maladie de Lyme et de psychiatres de l’Institut universitaire en santé mentale Douglas.