Une enquête journalistique menée par 17 médias dans 10 pays avec le soutien technique d’Amnistie internationale a révélé, dimanche, que le logiciel espion israélien Pegasus était utilisé contre des militants, des journalistes et des dirigeants politiques partout dans le monde. La nouvelle a eu l’effet d’une bombe auprès des organisations de défense des droits de la personne, des médias, de l’Union européenne et des gouvernements, qui se sont indignés lundi. Le logiciel Pegasus en six questions.

Qu’est-ce que l’enquête journalistique a révélé ?

Au total, plus de 50 000 personnes ont été désignées comme cibles potentielles du logiciel espion. « On pense que ce n’est que la pointe de l’iceberg », affirme Karine Gentelet, membre représentante d’Amnistie internationale Canada au sein du collectif Amnistie Tech, professeure à l’Université du Québec en Outaouais et titulaire d’une chaire de recherche sur l’intelligence artificielle et la justice sociale. Des militants, des journalistes et des dirigeants politiques du monde entier ont été ciblés.

« C’est très préoccupant en matière de démocratie et de contrôle du pouvoir. Ça peut entraîner de lourdes conséquences pour les journalistes et pour les défenseurs des droits de la personne », indique Mme Gentelet.

À la suite de la diffusion de l’enquête, le groupe israélien NSO, qui a conçu le logiciel Pegasus, a « nié fermement les fausses accusations portées ». Elle « est bourrée de suppositions erronées et de théories non corroborées, les sources ont fourni des informations qui n’ont aucune base factuelle », a-t-il écrit sur son site, précisant envisager de porter plainte en diffamation.

Le Maroc et la Hongrie ont catégoriquement démenti lundi le recours au logiciel Pegasus. Pour sa part, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a indiqué que cette affaire devrait « être vérifiée » en précisant que si elle s’avérait, cela serait « complètement inacceptable ».

Dans les prochains jours, des médias qui ont contribué à l’enquête journalistique, tels que The Guardian, Le Monde et The Washington Post, publieront une série d’articles détaillant comment les victimes ont été choisies comme cibles potentielles de ce logiciel espion.

En quoi consiste le logiciel ?

Le logiciel espion, conçu par l’entreprise israélienne NSO, permet d’avoir entièrement accès au contenu du téléphone des victimes, comprenant ses textos, ses courriels, son activité sur l’internet, son micro, son appareil photo, ses appels téléphoniques et ses contacts. « On savait depuis un bon bout de temps que ce groupe-là vendait des logiciels malveillants, mais là, les preuves sont sans équivoque », affirme Mme Gentelet.

Le groupe israélien vend l’application à différents États, indique la professeure. Ce logiciel aurait possiblement été utilisé par l’Arabie saoudite, l’Azerbaïdjan, Bahreïn, les Émirats arabes unis, la Hongrie, l’Inde, le Kazakhstan, le Maroc, le Mexique, le Rwanda et le Togo.

Qui sont les victimes ?

L’enquête a identifié au moins 180 journalistes de 20 pays qui ont été désignés comme cibles potentielles du logiciel espion depuis les cinq dernières années.

« Il y a 25 journalistes mexicains, 40 journalistes d’Azerbaïdjan, 40 journalistes indiens, des journalistes de CNN, du New York Times et la rédactrice en chef du Financial Times qui auraient été mis sur écoute », indique Mme Gentelet. La famille du journaliste Jamal Khashoggi, qui a été assassiné au consulat d’Arabie saoudite à Istanbul en 2018, aurait également été ciblée.

Comment le logiciel est-il installé sur les téléphones intelligents ?

La première façon d’infecter des téléphones est au moyen d’un lien malveillant envoyé par message texte ou par courriel.

Depuis peu, les infections peuvent aussi être réalisées par des attaques dites « zéro clic », qui ne nécessitent aucune interaction de la part du propriétaire du téléphone.

« Le logiciel utilise les vulnérabilités dans le code de certaines applications, telles que WhatsApp ou iTunes, qui permettent au téléphone d’être infecté sans que la personne n’ait rien fait, indique Mme Gentelet. Ce qui est assez préoccupant, c’est que le logiciel a infecté des iPhone 11 et 12, soit les technologies les plus récentes. »

Pourquoi le logiciel est-il problématique ?

« C’est un logiciel qui est vraiment invisible et difficile à détecter. Il a fallu des analyses techniques assez poussées pour le discerner », explique Mme Gentelet. Lorsque le logiciel infiltre un téléphone par des applications, il en efface ensuite les traces de l’infection.

Le logiciel permet aux utilisateurs de savoir exactement ce que font et à quel endroit sont ses victimes. « Étant donné la variété de données collectées par le téléphone, c’est assez intrusif », dit-elle.

Les impacts de cet espionnage sont énormes. « Certaines personnes ont été emprisonnées, menacées ou assassinées, et des personnes ont vu leurs droits fondamentaux violés », explique la spécialiste.

Que faire maintenant ?

Selon Karine Gentelet, les technologies doivent être mieux encadrées. « Il faut qu’il y ait un moratoire sur le développement et la vente de ce genre de technologies de surveillance. Tout ce qui est en lien avec la technologie a besoin d’avoir des processus transparents. On est mûrs pour limiter et encadrer la surveillance électronique de masse », résume-t-elle.

Avec l’Agence France-Presse