Une tentative d'attaque planifiée contre les membres du personnel de l'Institut Philippe-Pinel de Montréal a nécessité une «intervention majeure» vendredi dans l'unité pour adolescents de l'établissement. Quatre intervenants ont été blessés. Les employés lancent un énième cri d'alarme pour que des mesures soient prises afin d'empêcher de telles situations.

«C'était un complot.» Ces mots sont prononcés sans hésitation par un membre du personnel de l'Institut Pinel, témoin des événements de vendredi. Il a souhaité se confier sous le couvert de l'anonymat afin de protéger son emploi.

Au bout du fil, il a raconté ces «quelques minutes» durant lesquelles «tout Pinel s'est retrouvé en danger», d'abord à cause de la confrontation orchestrée par les patients, mais aussi parce que des agents d'intervention ont dû quitter leur poste ailleurs dans l'établissement pour aider à maîtriser la situation, laissant les autres unités en manque d'effectif, selon lui.

Une bagarre servant d'appât

Vers 18h40 vendredi, l'équipe d'intervention d'urgence a reçu un appel concernant deux patients de l'unité de soins F2 qui voulaient se battre. C'est dans ce service que résident les patients âgés de 14 à 18 ans du programme s'adressant aux mineurs ayant des problèmes psychiatriques graves associés à des comportements violents. L'Institut Philippe-Pinel dit accueillir les «patients les plus complexes du Québec, atteints de troubles mentaux graves [...] qui présentent des comportements violents mettant en danger la sécurité publique ou dont la complexité clinique dépasse la capacité des soins et services des autres établissements du réseau de la santé et des services sociaux».

À la suite de l'appel d'urgence, quatre agents ont rejoint des sociothérapeutes sur une colline située dans la «grande cour» de l'unité, où se déroulait le conflit. Une première intervention s'est amorcée, mais a rapidement été interrompue lorsque les intervenants ont vu plusieurs jeunes se rassembler près d'eux, vraisemblablement pour les attaquer en groupe. La bagarre entre les deux patients n'était qu'un appât, nous a expliqué l'employé.

Les quatre agents d'intervention se sont alors retrouvés face à huit patients. D'après notre source, ces derniers voulaient s'attaquer à un membre du personnel en particulier. Très vite, trois d'entre eux se sont toutefois désistés. D'autres intervenants d'urgence ont alors été appelés en renfort. En attendant leur arrivée, des tentatives pour apaiser la situation en discutant ont toutes échoué. «Il n'y avait rien à faire», a témoigné l'employé. Il a affirmé que des armes, des «lames artisanales», ont été retrouvées dans la cour après coup, bien qu'elles n'aient pas été utilisées durant l'attaque.

Une fois les renforts arrivés, les patients qui ne faisaient pas partie de la mutinerie ont été raccompagnés dans l'unité, a raconté Yanick Ducharme, agent des griefs au sein du Syndicat des employés de l'Institut, qui a recueilli les témoignages de plusieurs employés.

«Mais ils injuriaient le personnel et tentaient d'inciter les agresseurs à attaquer, ils mettaient de l'huile sur le feu.»

Les agents ont alors décidé d'intervenir par la force. Les patients impliqués dans l'attaque ont tous des gabarits très imposants, a tenu à préciser notre source. «Ils font tous plus de 200 livres et ils sont très agressifs», a-t-il indiqué. Un des assaillants, un «colosse» particulièrement violent, devait à tout prix être maîtrisé. Les agents ont donc entrepris des manoeuvres de contention, avant de les menotter. «C'était la pire place pour ça. Tout le monde a déboulé de la colline.»

L'attaque a finalement été contenue, non sans peine. «Ç'a été une très, très grosse intervention», a déclaré Yanick Ducharme.

«Il faut que les choses changent»

Quatre membres du personnel ont été blessés durant la confrontation. Mais «personne n'aurait subi de blessures si les agents avaient [eu] les outils nécessaires» pour gérer ces éruptions de violence, notamment du gaz poivre, des gants de kevlar ou des gilets pare-balles, a plaidé l'employé de l'Institut. Il croit que certains de ses collègues ont été traumatisés et que quelques-uns démissionneront peut-être à la suite de ces événements.

Les patients psychiatrisés les plus dangereux sont internés à l'Institut Pinel. Pourtant, l'établissement refuse l'étiquette de centre correctionnel, ce que beaucoup dénoncent. «Oui, il faut tenir compte de la maladie mentale, mais il s'agit de détenus et de prévenus, face auxquels il faut être mieux équipés», a témoigné le membre du personnel joint par La Presse.

À l'heure actuelle, les agents d'intervention sont des «boucliers» servant à protéger leurs collègues, tout en se mettant chaque fois en danger, a-t-il déploré.

Ils souhaiteraient avoir des outils et des mesures d'intervention plus adéquats, à l'instar d'agents correctionnels, mais aussi que les patients soient considérés à la mesure du danger qu'ils représentent. «Il faut que les choses changent.»

Bien que l'ampleur de la situation de vendredi ait été qualifiée d'«extraordinaire» par le syndicat et la direction de l'Institut, des attaques visant le personnel ont couramment eu lieu par le passé.

Au début des années 2010, par exemple, une violente prise d'otage avait entraîné l'arrêt de travail de 13 personnes. En 2013, La Presse avait révélé que le nombre d'agressions contre des employés, d'accidents de travail, d'attaques et de blessures avait grimpé de 40% en trois ans. La Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) avait à l'époque ordonné à l'Institut d'établir de nouvelles méthodes pour éviter ces situations violentes.

L'Institut Pinel a assuré dans un courriel à La Presse que des «centaines de mesures ont été mises en place» à la suite de la prise d'otage de 2011, notamment des «fouilles préventives, des formations, les collaborations avec la Sûreté du Québec et des systèmes de surveillance informatiques».

«Ça fait un certain temps qu'on déplore les agressions et les problèmes de violence», a expliqué Yanick Ducharme. La clientèle de l'Institut est très particulière, a-t-il ajouté, et le personnel manque de ressources. «L'administration veut que les interventions soient moins coercitives, mais les mesures en place exposent beaucoup le personnel», a dénoncé le représentant syndical. Selon lui, les agents d'interventions font un «travail extraordinaire avec trop peu de moyens».

Pour l'Institut, il est important de «pacifier avant d'agir» et la mobilisation exceptionnelle de vendredi correspond à ce qui est attendu du personnel. «Tous nos employés sont formés pour gérer les patients potentiellement dangereux et violents, a signifié Julie Benjamin, porte-parole de l'institut Pinel. Comme après chaque intervention, nous allons maintenant prendre des mesures pour veiller à ce que ça ne se reproduise plus et s'il y a une faille, on va tout faire pour ne plus que ça arrive.»

Enquête indépendante à venir

En soirée samedi, alors que Yanick Ducharme recueillait les témoignages des employés présents lors de la tentative d'attaque de la veille, une seconde échauffourée est survenue. «Il y a eu une deuxième agression majeure, et j'en suis à m'assurer que tout le monde va bien, parce que ç'a été violent», a-t-il indiqué, peu après le conflit.

Cette fois, un seul patient était impliqué. Deux membres du personnel ont été blessés et l'un d'entre eux a été transporté à l'hôpital en ambulance. «C'est regrettable, on voudrait qu'il n'y ait pas d'incidents, mais étant donné la clientèle, ça se produit parfois», a commenté Julie Benjamin.

Hier, le syndicat du personnel de l'Institut Philippe-Pinel a rencontré la direction de l'établissement afin de revenir sur les débordements survenus vendredi. À la suite de cette rencontre, le syndicat a eu pour consigne de ne plus discuter publiquement des événements.

Il a été conjointement décidé qu'une enquête indépendante serait mise en branle dès aujourd'hui pour éclaircir les circonstances des événements et déterminer si «quelque chose peut être fait» pour que ça ne se reproduise plus.

«Les deux parties sont d'accord pour dire qu'il est question d'une intervention extraordinaire en réponse à une urgence extraordinaire, a affirmé Lisa Djevahirdjian, responsable des communications au Syndicat de la fonction publique. Il faudra maintenant voir s'il y a des recommandations pour une meilleure façon de faire ou si on conclut qu'on a fait tout ce qu'on pouvait faire.»