Se plaignant de «travailler à perte», plusieurs entrepreneurs qui déneigent des autoroutes pour le compte du gouvernement provincial ne renouvelleront pas leurs contrats pour l'hiver prochain et dénoncent la crise qui secoue le secteur du déneigement, qu'ils attribuent à l'attitude rigide du ministère des Transports, de la Mobilité durable et de l'Électrification des transports (MTMDET).

«Le marché du déneigement au Québec est grandement malade», déplore David Whissell, ancien ministre libéral provincial et président d'Uniroc, qui a décidé de ne pas renouveler les deux contrats de déneigement qu'il avait obtenus du ministère des Transports.

«Le déneigement se fait à perte pour les entrepreneurs. C'est nous qui finançons le gouvernement, finalement!»

«Les jobs sont sous-évaluées de 15 à 20%, ça nous coûte de l'argent pour travailler», renchérit Benoît Nepveu, directeur du Groupe Nepveu, qui laisse tomber les trois contrats qu'il effectuait pour le gouvernement.

Le plus important fournisseur de services de déneigement pour le Ministère dans la grande région de Montréal, K.L. Mainville, a aussi décidé de ne poursuivre aucun de ses 13 contrats d'entretien hivernal d'autoroutes.

Le tiers des trajets de Montréal

Ces non-renouvellements représentent environ le tiers des contrats gouvernementaux confiés à des entrepreneurs privés dans la grande région métropolitaine.

Dans l'ensemble du Québec, 42 contrats de déneigement réalisés par des entrepreneurs privés ne seront pas reconduits par leur titulaire sur un total de 393, selon l'Association des propriétaires de machinerie lourde du Québec (APMLQ), qui a sondé ses membres à ce sujet. Le président de l'organisme, Jean-Yves Gauthier, ne peut cependant pas dire à quel point les non-renouvellements ont augmenté cette année.

«Mais c'est certain que la grogne s'amplifie chez tous nos membres au sujet du déneigement.»

Le ministère des Transports n'était pas en mesure de confirmer le nombre de contrats non renouvelés pour le déneigement des routes de la province. Les entrepreneurs de la région de Montréal devaient faire part de leurs intentions avant le 1er mai, mais ailleurs au Québec, la date limite est plutôt le 15 mai.

Les contrats sont accordés au plus bas soumissionnaire conforme pour un an, renouvelables pour deux années supplémentaires. Le contractuel peut décider d'y mettre un terme à la fin de l'hiver, tout comme le Ministère.

Quand les non-renouvellements sont plus nombreux, le ministère des Transports doit relancer le processus d'appel d'offres plus fréquemment.

Mauvaise communication, démobilisation

Au-delà de la météo, qui influence évidemment leur travail, les déneigeurs dénoncent des contrats trop rigides, appliqués sans aucune souplesse et sans égard aux conditions particulières.

Même s'il ne fournit pas de données précises, le Ministère semble conscient du mécontentement des déneigeurs puisqu'il a organisé, il y a un mois, un «Forum sur l'avenir du déneigement», à la demande des représentants de l'industrie, notamment l'APMLQ.

À l'ordre du jour : «communication inadéquate entre le Ministère et le prestataire de services» et «motifs de démobilisation ou de désintérêt de l'industrie à l'égard de l'approche actuelle du Ministère».

Serge Mainville, patron de K.L. Mainville, avait dénoncé l'hiver dernier dans La Presse les agissements des inspecteurs du Ministère, qu'il estimait injustement sévères à son endroit. Au cours de la dernière saison, il a reçu des amendes totalisant 125 000 $.

«[Le Ministère] cherche seulement à prendre les entrepreneurs en défaut, il demande l'impossible, c'est abusif», croit M. Mainville.

Il conteste plusieurs pénalités. Mais comme il soutient qu'il est impossible de discuter avec les fonctionnaires au sujet des manquements qui lui sont reprochés, il se prépare à déposer une poursuite de quelques millions contre Québec.

«Il n'y a aucune possibilité de dialogue. Dès qu'on conteste leur interprétation du contrat, les employés du Ministère nous disent d'aller en réclamation», renchérit David Whissell. Mais le processus de contestation prévu par le ministère des Transports peut être très long et, en fin de compte, l'entrepreneur insatisfait qui décide de déposer une poursuite en justice risque d'attendre plusieurs années avant d'obtenir un règlement.

Les participants au Forum sur l'avenir du déneigement ont proposé plusieurs solutions aux récriminations des contractuels.

«Par exemple, il a été suggéré de clarifier le processus menant à des réprimandes formelles et de mieux partager les connaissances sur les exigences techniques de certains circuits de déneigement», affirme Martin Girard, porte-parole du Ministère.

«On a demandé aussi d'assouplir certaines exigences des contrats, par exemple quant à la méthode de déneigement», ajoute Pierre Tremblay, directeur adjoint de l'Association des constructeurs de routes et grands travaux du Québec (ACRGTQ), qui a également participé au forum sur le déneigement.

Sur une période de deux heures, il peut tomber pluie, neige et pluie verglaçante, avec des températures qui varient, souligne M. Tremblay. L'entrepreneur en déneigement doit pouvoir utiliser la méthode la mieux adaptée aux conditions changeantes, alors que les contrats ont souvent des dispositions trop strictes, déplore-t-il.

La 13 déneigée par Québec

L'ancien ministre des Transports Laurent Lessard avait affirmé l'an dernier sa volonté de confier à ses propres employés un plus grand nombre de circuits de déneigement, notamment l'autoroute 13, à la suite du cafouillage monstre de la méga-tempête du 14 mars 2017, lorsque des centaines d'automobilistes ont été coincés pendant plusieurs heures dans leur voiture.

Le Ministère avait dû renoncer à son objectif parce qu'il n'avait pas réussi à recruter assez de chauffeurs de chasse-neige.

C'est l'entreprise K.L. Mainville qui a déneigé l'autoroute 13 l'hiver dernier. Même si l'entrepreneur avait voulu poursuivre le contrat, Québec avait déjà décidé de confier l'entretien à ses employés au cours du prochain hiver.

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LES DOLÉANCES DES DÉNEIGEURS

> Du sel qui coûte cher

Les contractuels doivent acheter leurs abrasifs du ministère des Transports à un prix fixé par ce dernier. La facture représente entre 30 et 50 % de la valeur totale d'un contrat. Mais les conditions climatiques des derniers hivers obligent les déneigeurs à en épandre de plus en plus, ce qui leur coûte plus cher.

> Contrats contraignants

En cas de mésentente sur l'interprétation d'une clause d'un contrat, le Ministère tranche en sa propre faveur, sans possibilité de discussion, dénoncent les déneigeurs. Les entrepreneurs qui veulent contester doivent se lancer dans un long processus qui peut prendre jusqu'à cinq ans. Même chose pour ceux qui veulent contester des amendes et des pénalités.

> Pénurie de main-d'oeuvre

Pour retenir et attirer les employés qualifiés, les entrepreneurs doivent augmenter les salaires et améliorer les conditions de travail, ce qui leur coûte plus cher. Le ministère des Transports fait face aux mêmes difficultés dans ses tentatives d'embaucher des déneigeurs.

> Essence et taux de change

La hausse du prix de l'essence pèse lourd sur le budget des entrepreneurs, dont les contrats ont été conclus plusieurs mois à l'avance. Ils sont aussi désavantagés par la baisse du dollar canadien, puisqu'ils achètent généralement leurs équipements en dollars américains.