Pour mieux débusquer les voyageurs à risque qui souhaitent grossir les rangs d'organisations terroristes à l'étranger comme le groupe armé État islamique, les autorités canadiennes jonglent avec l'idée de réduire le seuil à partir duquel les institutions bancaires doivent signaler les télévirements internationaux. À l'heure actuelle, tous les télévirements internationaux de 10 000 $ et plus doivent obligatoirement être signalés au Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada, mieux connu dans les cercles d'enquête sous l'acronyme CANAFE.

Mais selon le directeur de cet organisme de réglementation fédéral, Gérald Cossette, des voyageurs à risque peuvent se faufiler entre les mailles du filet en versant des sommes moindres vers l'étranger. Résultat : son organisme n'est pas toujours en mesure d'aviser les forces de l'ordre et de sécurité que des voyageurs à risque planifient de se rendre à l'étranger dans le but de se joindre à des groupes qui représentent une menace à la sécurité nationale.

« Les déclarations d'opérations douteuses nous ont permis de constater que la valeur en dollars pour les télévirements internationaux était bien en dessous du seuil actuel de déclaration, ce qui réduit le renseignement financier sur les voyageurs à risque élevé que nous pourrions communiquer à nos partenaires d'application de la loi et de sécurité nationale », ajoute M. Cossette dans sa lettre datée d'avril dernier et obtenue par La Presse en vertu de la Loi sur l'accès à l'information.

PLUS DE 130 « VOYAGEURS EXTRÉMISTES CANADIENS » EN 2015

Dans le dernier rapport annuel du ministère de la Sécurité publique sur la menace terroriste pour le Canada, publié l'an dernier, les autorités canadiennes estimaient qu'il y avait plus de 130 « voyageurs extrémistes canadiens » qui s'étaient rendus à l'étranger dans le but d'appuyer les activités liées à des groupes terroristes.

Une porte-parole du CANAFE, Renée Bercier, a confirmé à La Presse qu'un abaissement du seuil fait partie des avenues soumises au ministère des Finances pour mieux lutter contre le financement des activités terroristes. La décision d'abaisser ou non ce seuil relève du ministre des Finances, Bill Morneau.

« La décision de diminuer ce seuil irait dans le même sens que les décisions prises par d'autres unités du renseignement financier étrangères à cet égard, par exemple AUSTRAC, et renforcerait la capacité du CANAFE à communiquer, de façon proactive, à ses partenaires des renseignements financiers sur les voyageurs présentant un risque élevé et d'autres risques liés au financement du terrorisme », a indiqué Mme Bercier dans un courriel.

« [Le] CANAFE discute actuellement du seuil des télévirements avec le ministère des Finances, qui est le responsable de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes et des règlements connexes », a-t-elle ajouté.

DES RÈGLES SIMILAIRES À CELLES DE L'AUSTRALIE

Mme Bercier a précisé que le Canada pourrait ainsi emboîter le pas à l'Australie, dont le régime est celui dont les règles sont les plus comparables à celles en vigueur ici au pays.

« Parmi les alliés du Canada, c'est l'Australie qui impose, dans le cadre de son régime, les exigences qui ressemblent le plus à celles du Canada lorsqu'il est question des déclarations d'opérations financières. Les deux pays reçoivent des informations sur les télévirements étrangers dans une déclaration distincte. Au Canada, l'information est transmise au CANAFE dans une "déclaration de télévirements" dans le respect du seuil [de 10 000 $]. En ce qui concerne l'Australie, il n'y a aucun seuil [financier] lié à la déclaration, qui est intitulée "International Fund Transfer Instructions" », a-t-elle dit.

PLUS DE POUVOIRS

Selon Michel Juneau-Katsuya, expert en sécurité nationale et ancien cadre au Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), l'idée de réduire le seuil de déclaration pourrait permettre de débusquer des voyageurs à risque. Mais selon lui, il serait nettement préférable d'attribuer de véritables pouvoirs d'enquête au CANAFE pour faire de cet organisme une sorte de SCRS des opérations financières. « Le système fonctionne de façon à ce que s'il y a une série de transferts, même de petites sommes à répétition, il y ait une sonnette d'alarme qui se déclenche. [...] En théorie, tous les transferts sont enregistrés. Il faut juste avoir des filtres qui permettent d'être plus précis sur ce que l'on veut vérifier. Mais le CANAFE n'a pas nécessairement la capacité d'enquêter comme il le devrait. C'est plus sur cela qu'on devrait mettre l'accent », a-t-il dit.

QU'EST-CE QUE LE CANAFE ?

Le Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE) est le service du renseignement financier du Canada et a été créé en 2000. Son mandat est de « faciliter la détection, la prévention et la dissuasion du blanchiment d'argent et du financement des activités terroristes ».

- Avec la collaboration de William Leclerc, La Presse