C'était le résultat de trois ans d'enquête. En décembre, le FBI a arrêté à Los Angeles un cadre montréalais de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) décrit comme le pivot d'un stratagème de corruption international visant à pousser plusieurs pays, dont le Canada, à adopter la technologie d'un oligarque ukrainien en matière de passeports intelligents.

Depuis hier, l'homme est toutefois libre comme l'air. La justice américaine refuse d'entendre l'affaire, car elle ne concerne pas les États-Unis. Le Canada prendra-t-il la relève?

La dénonciation

Tout a commencé en 2011, selon les documents judiciaires déposés au tribunal californien. Un fraudeur condamné à 12 mois de prison aux États-Unis devient délateur pour le FBI. L'homme travaille pour le consortium ukrainien EDAPS et son dirigeant, l'oligarque Youri Sidorenko, qui habite à Dubaï. Il affirme que depuis 2005 au moins, ses patrons paient secrètement un dirigeant «corrompu» de l'OACI, l'agence de l'ONU qui régit le transport aérien international et dont le siège social se trouve à Montréal. Il s'agit de Mauricio Siciliano, qui serait par ailleurs chargé de cours à Polytechnique Montréal.

Les pots-de-vin

Selon le délateur, M. Siciliano reçoit des pots-de-vin en échange de son aide pour pousser des pays et des organismes à adopter la technologie d'EDAPS en matière de passeports intelligents. Dans un premier temps, il a réclamé 3000$ par mois, mais on lui aurait promis jusqu'à 5000$ par mois en commissions secrètes. Il aurait notamment arrangé une rencontre avec un représentant kényan, qui a accepté d'acheter la technologie d'EDAPS en échange d'une commission. Il a suivi d'autres négociations, notamment avec le Canada, qui refusait l'instauration d'un passeport spécial pour les membres de l'alliance policière Interpol, lequel devait être vendu par EDAPS.

Les doléances

Au cours de son enquête, le FBI a espionné les courriels de M. Siciliano. La preuve y était accablante, selon les enquêteurs. Le Montréalais se plaignait constamment d'avoir du mal à percevoir ses pots-de-vin. «Je veux savoir si vous me visiterez pour une mise à jour. En comptant janvier, trois mois me sont dus. L'autre solution est d'utiliser un compte de banque que j'ai en Suisse», écrit-il, selon un document du FBI déposé en cour. «Nous avons parlé plusieurs fois de nous rencontrer pour la rétribution, et chaque fois, vous dites que ça arrivera bientôt, soit à Dubaï, soit à Londres», dit-il encore.

Problèmes de famille

Les courriels déposés en preuve révèlent que Siciliano avait réussi à faire embaucher son fils par EDAPS à Dubaï, mais que l'affaire troublait sa belle-famille. «Le problème, c'est ma femme et sa famille, qui voient avec suspicion le fait qu'une entreprise oeuvrant dans le domaine des documents de voyage fasse une si "bonne" offre à notre fils sans rien me demander en contrepartie», écrit Siciliano. Le fils commentera ensuite: «Mon père a pris un certain risque en me faisant embaucher par une compagnie qu'il tentait de favoriser avant même notre rencontre.»

L'arrestation

En décembre dernier, le FBI décide qu'il détient assez de preuves de la corruption de M. Siciliano. Alors que ce dernier fait escale à l'aéroport de Los Angeles, pendant un voyage de l'Australie vers Montréal, il est arrêté. Il passe une semaine en détention puis est libéré sous caution en attendant son procès pour fraude et corruption. Il ne peut quitter les États-Unis, sinon exceptionnellement, pour donner quelques cours à Polytechnique Montréal, sa seule source de revenus puisqu'il a perdu son emploi à l'OACI, explique-t-il.

Les remontrances

Vendredi, un juge californien a toutefois fustigé le FBI pour cette enquête et s'est scandalisé de son absence de lien avec les États-Unis. «Ils ont une police au Canada. Si vous vous inquiétez de la façon dont des Canadiens exploitent une entreprise canadienne avec des Ukrainiens, vous pouvez appeler la Gendarmerie royale, ils enquêteront», a-t-il déclaré, en annulant les accusations. M. Siciliano a été libéré de toute condition hier. «Je suis heureux qu'il soit de retour à sa place, à la maison», a déclaré son avocat Daniel Olmos. Les procureurs américains n'ont pu dire si le dossier serait transféré aux autorités canadiennes.

Photo tirée de Facebook

Mauricio Siciliano