Deux jeunes filles de la secte Lev Tahor qui vivaient en famille d'accueil en Ontario se sont enfuies vendredi dernier. Elles ont réussi à franchir la frontière et à obtenir un jugement d'un tribunal américain leur donnant le droit de retourner vivre avec leurs parents.

Les deux adolescentes, des soeurs de 15 et 17 ans, s'étaient retrouvées en famille d'accueil après avoir été interceptées à Trinité-et-Tobago avec leurs parents, puis avaient été rapatriées en Ontario. Leur père et leur mère sont ensuite partis au Guatemala sans les attendre. Elles faisaient partie des 14 enfants visés par une ordonnance de placement au Québec.

Selon un représentant de la secte, Nachman Helbrans, les soeurs avaient l'impression qu'elles étaient utilisées «à des fins de vengeance par la Société de l'aide à l'enfance de l'Ontario (CAS)» puisque leurs frères et soeurs avaient fui au Guatemala. Vendredi dernier, elles ont fugué de leur maison d'accueil pour se rendre dans l'État de New York en autobus, là où leur père les attendait, affirme M. Helbrans.

Pour des raisons de confidentialité, le bureau local de la douane américaine n'a pas voulu expliquer comment deux mineures, sous la protection des services à l'enfance, ont réussi à franchir les douanes.

Selon l'avocat torontois qui représente la secte juive ultra-orthodoxe Lev Tahor, Me Guidy Mamann, les fuyardes ont trouvé refuge chez un avocat américain et ont été prises en charge par les services à l'enfance du comté de Niagara le lendemain. Cinq jours plus tard, elles étaient entendues par un juge américain.

L'avocat affirme que les dossiers montés par les services de protection à l'enfance québécois et ontariens ont été étudiés par la cour. «Malgré des pages et des pages d'allégations, il n'y avait aucune preuve que le père et la mère [des deux adolescentes] avaient commis des sévices ou fait preuve de négligence», soutient Me Mamann.

Ainsi, toujours selon ses dires, les parents ont retrouvé la garde de leurs filles. La Presse n'a pas été en mesure d'obtenir une copie du jugement.

L'avocat prétend que les services canadiens ne peuvent maintenant plus se mêler du dossier. Puisque les jeunes femmes ont la citoyenneté américaine, «personne au Québec ni en Ontario ne peut leur dire où aller, a-t-il soutenu. Si elles veulent aller au Guatemala, en Chine ou sur la Lune, elles sont citoyennes américaines et peuvent le faire».

Il ignore cependant si la famille est encore dans l'État de New York ou si elle a rejoint le reste de la secte au Guatemala.

Famille d'accueil atterrée

«La famille d'accueil ontarienne est catastrophée. Elle a fait tellement d'efforts pour aider les deux filles!», affirme une source de la communauté hassidique de Montréal, qui a été alertée par celle de Toronto mercredi avant-midi et en a aussitôt informé La Presse.

Selon les informations qui lui sont parvenues, les deux adolescentes ont déjoué la surveillance d'un gardien de sécurité, justement posté devant leur demeure pour empêcher leur fuite. Elles se seraient rendues à la gare d'autocars en taxi.

«Au moins trois personnes ont alerté la police et elle n'a rien fait», accuse notre source.

Étrangement, deux jours avant la fuite des jeunes filles, une source gouvernementale affirmait à La Presse qu'on les avait laissées quitter leur famille d'accueil étant donné leur âge. La nouvelle était plausible puisque deux autres enfants interceptés à Trinité-et-Tobago avaient déjà retrouvé leurs parents en vertu d'une entente entre avocats, et qu'après avoir fui à Calgary, une mère de 17 ans avait récupéré son bébé.

Hier encore, les familles israéliennes inquiètes pour des proches embrigadés dans Lev Tahor entendaient apparemment une troisième version de l'histoire. On leur disait que les filles avaient failli être «enlevées» et emmenées aux États-Unis, mais qu'elles se trouvaient maintenant saines et sauves à Toronto. «Ce sont les services à l'enfance ontariens qui leur mentent», a déploré notre source hassidique montréalaise.

Malgré plusieurs tentatives depuis deux jours, le Chatham-Kent Children Services n'a pas rappelé La Presse.

Au Québec, des enfants qui «s'épanouissent»

Au Québec, un an après que le directeur de la protection de la jeunesse (DPJ) des Laurentides eut réussi à sauver 5 enfants de la secte juive Lev Tahor, leur mère vient de les abandonner pour aller rejoindre son groupe au Guatemala, tandis que leur père, resté à Montréal, demeure trop marqué par son passage dans la secte pour les reprendre. Son traumatisme est si grand que LaPresse n'a pu assister au témoignage qu'il livre depuis lundi au tribunal de la jeunesse du palais de justice de Saint-Jérôme.

Pour leur part, selon nos informations, ses enfants «s'épanouissent» depuis leur placement. Ils rattrapent leur retard et découvrent le bonheur de vivre «libres, hors de la cage» - même si l'aînée a été déchirée par un conflit de loyauté.

Placés d'urgence en août 2013 - soit trois mois avant la fuite nocturne de leur groupe vers l'Ontario -, les 5 frères et soeurs resteront vraisemblablement dans la famille d'accueil hassidique d'Outremont qui en prend soin depuis 13 mois. La cour doit maintenant décider pour combien de temps.

Depuis que la mère est partie au Guatemala, son avocate n'a plus le mandat de contester le placement. Leur père ne le conteste pas non plus. Il s'est plutôt rapproché de ses enfants, de la famille d'accueil et de toute la communauté hassidique québécoise, qui s'est mobilisée pour l'aider. Les hassidim sont les premiers à se scandaliser des règles de vie extrêmes imposées au sein de Lev Tahor, décrit comme une secte.

Aliénation parentale collective

Lors d'audiences antérieures, des témoins incluant d'anciens fidèles ont expliqué le fonctionnement de la communauté. Ils disent que les enfants y sont frappés, sous-alimentés, ballottés d'une famille à l'autre et mariés trop jeunes.

Ces témoignages ont permis au DPJ des Laurentides d'obtenir une ordonnance de placement pour 14 autres enfants de la secte, fin novembre 2013. Mais les familles venaient de fuir Sainte-Agathe-des-Monts et elles ont refusé de revenir. Lorsque l'étau s'est à nouveau resserré sur elles en Ontario, elles se sont sauvées au Guatemala.

Les 5 enfants placés avant la fuite du groupe ont pu l'être parce qu'ils étaient victimes d'une sorte d'aliénation parentale collective. Après avoir quitté la secte, leur père n'arrivait plus à les voir, car la mère et toute la communauté s'étaient mises à le diaboliser. Les enfants ont vu leur père se faire menacer, insulter et même pousser tandis qu'il tenait un tout-petit dans ses bras.