Chaque semaine, Nathalie Collard rencontre une personnalité qui s'est retrouvée au coeur de l'actualité et lui pose 10 questions. La 11e question provient du public. Cette semaine, notre journaliste s'est entretenue avec Robert Cazelais, directeur général d'Option consommateurs, qui a lancé une pétition contre l'achat d'Astral par Bell.

1 Pourquoi s'opposer à l'achat d'Astral par Bell?

C'est simple: ce n'est pas une bonne affaire pour les consommateurs. Cette transaction risque d'avoir des conséquences néfastes pour eux et, devant l'envergure de la transaction, il est difficile de rester silencieux.

2 Est-ce que votre position serait différente si une entreprise québécoise comme Québecor ou Cogeco souhaitait acheter Astral?

Chaque transaction est unique. Il faut la regarder à son mérite. La difficulté, avec une transaction de l'ampleur de celle-ci, c'est qu'elle a pour conséquence de réduire la concurrence. À notre avis, ce n'est pas positif. C'est certain qu'on aimerait mieux qu'Astral soit acquis par quelqu'un d'autre qui n'est pas dans le domaine des communications.

3 Qu'est-ce qu'une pétition peut changer aux yeux du CRTC? Est-ce que cela peut avoir un poids quelconque?

Le CRTC, comme son nouveau président, Jean-Pierre Blais, n'est pas insensible à l'opinion des consommateurs. Nous aurions pu nous contenter de prendre le pouls des consommateurs et de nous prononcer en leur nom. Mais nous arrivons avec une pétition. Cela représente bien plus qu'un sentiment, c'est une preuve tangible. Nous avons amassé presque 3000 signatures en trois semaines. C'est beaucoup, car nous n'avons fait aucun battage publicitaire; les gens doivent aller sur le site pour remplir un questionnaire. Bref, c'est de l'ouvrage, et les gens l'ont quand même fait, preuve que ça leur tient à coeur. Pour nous, cette pétition est une réussite en soi.

4 À l'époque, vous étiez-vous opposés à l'achat de Vidéotron par Québecor?

La plupart des gens qui travaillent chez nous n'étaient pas à Option consommateurs à l'époque, et je n'y étais pas non plus. On n'a trouvé aucune trace d'une opposition dans nos documents, donc j'ai l'impression que non.

5 Vous dites que les consommateurs seront perdants si Bell achète Astral, mais ne seraient-ils pas gagnants s'il y avait un véritable concurrent à Québecor?

Bell est déjà un concurrent de Québecor, que ce soit dans la distribution ou dans les chaînes spécialisées sportives, par exemple. Ce que nous souhaitons, c'est qu'il y ait plus de fournisseurs et, donc, plus de choix pour les consommateurs. Si la transaction se conclut, Bell aura la mainmise sur une centaine de chaînes de télévision, des panneaux publicitaires, des radios, des services de téléphonie cellulaire, etc. Bref, il sera présent partout dans nos vies.

6 Dans l'éventualité où le gouvernement Harper modifierait les lois sur la propriété étrangère, verriez-vous d'un meilleur oeil qu'Astral soit vendu à des intérêts étrangers?

Si on le regarde strictement du point de vue de la consommation, et si le fournisseur se comporte en citoyen raisonnable et soucieux des lois, on n'aurait pas grand-chose à redire. En tant que citoyen, par contre, on peut avoir des opinions différentes.

7 Comment s'assurer que le consommateur en ait pour son argent dans le domaine des télécommunications et de la télévision?

C'est lorsque le consommateur a le libre choix, ce qui n'est pas évident actuellement, car le système fonctionne avec des chaînes protégées, des chaînes obligatoires, des bouquets qui obligent les gens à faire des choix qu'ils ne veulent pas. Bref, on devrait pouvoir s'assurer qu'il n'y ait pas d'entrave à la liberté de choix du consommateur.

8 Avez-vous l'impression que des entreprises comme Cogeco et Québecor se soucient du bien-être des consommateurs en s'opposant à la transaction?

Je tiens pour acquis qu'ils se soucient du bien-être de leurs actionnaires, et c'est normal: c'est leur rôle. J'imagine que quelque part, en souhaitant s'assurer des revenus, ils considèrent aussi le point de vue des consommateurs, mais ce n'est sûrement pas leur priorité, et c'est bien correct. Nous sommes là pour penser à eux.

9 Quand on sait que le Canada est l'un des pays où la convergence est la plus forte, n'est-il pas un peu tard pour s'y opposer?

Il est vrai qu'il est minuit moins une, mais il n'est jamais trop tard. Si les consommateurs considèrent que la transaction ne fait pas leur affaire, c'est le bon moment pour le faire savoir. Et il y a plusieurs recours possibles: après le CRTC, il y a aussi le Bureau de la concurrence. Cela dit, si la transaction va de l'avant, il faudra lâcher prise. La vérité, c'est qu'il aurait fallu parler des dangers de la convergence il y a 10 ou 15 ans.

10 Vous dites que ce sont les consommateurs qui vont essuyer une partie de la facture de la transaction Bell-Astral parce que les tarifs risquent d'augmenter. En quoi est-ce pire que si une entreprise québécoise en achète une autre avec l'aide du gouvernement? D'une façon ou d'une autre, n'est-ce pas toujours le consommateur qui paie?

C'est vrai, le consommateur va payer de toute façon. Mais nous croyons que, avec la transaction Bell-Astral, il paiera encore plus, car il y aura sans doute une hausse de tarifs. Bell aura également un important pouvoir sur la publicité. Or, qui paie la publicité? Les consommateurs. Un autre acheteur éviterait une telle domination du marché et assurerait une certaine indépendance.

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Quelles mesures le gouvernement devrait-il mettre en place devant la concentration de la propriété des télécoms/médias?

Nous devons faire une réflexion profonde. L'intégration verticale n'est pas souhaitable et il ne faut pas continuer de l'amplifier. Il faudrait quasiment qu'il y ait une muraille de Chine entre la production du contenu et la distribution. Est-il trop tard? Je n'ai pas l'impression qu'on a eu une véritable discussion sur la question. On en a parlé ponctuellement, devant des transactions comme celle qu'il y a eu entre Québecor et Vidéotron, mais je ne pense pas que les consommateurs y aient vraiment participé. Or, il y a des exemples ailleurs dans le monde qui pourraient nous inspirer.