Chaque semaine, Nathalie Collard rencontre une personnalité qui s'est retrouvée au premier plan médiatique et lui pose 10 questions. La 11e question provient du public. Cette semaine, notre journaliste s'est entretenue avec Gilbert Rozon, président du Festival Juste pour rire.

1 Qu'est-ce qui vous a motivé à vous immiscer dans le débat sur la hausse des droits de scolarité?

Deux faussetés lues sur Twitter. D'abord, une accusation de malhonnêteté à propos de Raymond Bachand que je considère, avec Jacques Parizeau, comme étant deux des plus grands ministres des Finances qu'on ait eus au Québec. En plus, je connais l'homme et il est d'une intégrité exemplaire. Ensuite, cette affirmation que tous les politiciens sont corrompus. Il y a des citoyens malhonnêtes dans tous les domaines: médecine, génie, culture, etc. Mais il y a une majorité de gens honnêtes. Je voulais donc rétablir les faits et, de fil en aiguille, quand des gens affirmaient des choses à propos des droits de scolarité, je me documentais pour répondre aux arguments.

2 Pourquoi ne pas avoir quitté Twitter quand vous avez vu que ça dérapait?

Je ne voulais pas succomber à l'intimidation. J'ai essayé d'être exemplaire en matière de courtoisie même lorsque c'était tentant d'être bête. Malgré tout, dans cette pluie d'injures et de menaces, il y avait des gens qui disaient des choses intéressantes.

3 À force de débattre sur la place publique, votre opinion a-t-elle changé?

Aujourd'hui, je pense que la hausse est extrêmement juste et que le gouvernement ne peut pas reculer. Je considère que les négociations sont terminées, que ça fait trop longtemps et que la prochaine étape, ce sont des élections. Je considère aussi que la loi spéciale a été votée dans un contexte qu'on a eu tendance à oublier vite. Il y a eu de l'intimidation physique et verbale, on incitait à la désobéissance civile. Est-ce que cette loi a été écrite un peu vite? Oui. Est-ce qu'elle a besoin d'être corrigée? Probablement. Mais je suis juriste et je l'ai lue dans tous les sens, je l'ai comparée aux règlements municipaux d'autres grandes villes dites démocratiques comme New York, Paris et Londres, et il est indéniable qu'il faut donner un préavis de huit heures avant une manifestation. Je remarque aussi que la désobéissance civile a cessé instantanément après l'adoption de cette loi. La démocratie, ce n'est pas seulement des privilèges, c'est aussi des devoirs.

4 Vous êtes en accord avec la hausse des droits de scolarité, mais vous vous êtes proposé comme médiateur auprès des étudiants. N'est-ce pas contradictoire?

Je peux comprendre qu'on voie cela comme une contradiction, mais j'ai trouvé cela normal que celui qui s'oppose les rencontre. Je leur ai dit dès le départ: on s'entend au moins sur une chose, on est en total désaccord. Une ambiance cordiale s'est installée. Je me suis concentré sur l'essentiel du message, soit que les perturbations nuisaient aux petits commerçants, aux chauffeurs de taxi, aux gens qui participaient aux événements gratuits. Je leur ai dit que perturber un Grand Prix ou un festival n'était pas bon pour leur image à eux. Est-ce que ça a porté? Disons qu'avec ce qui s'est passé jeudi soir, j'ai un doute. Il y avait des policiers, des hélicoptères. Il y a une certaine élite qui est dans le déni en disant que ça n'a pas d'impact. Voyons donc! Si je suis à Brossard ou à Laval et que je vois ces images à la télé, c'est sûr que je ne viens pas souper à Montréal!

5 Avez-vous fait également des représentations auprès du gouvernement pour exprimer votre désir que cette crise se règle?

C'est sûr qu'on a fait des représentations. On était tous soulagés quand Line Beauchamp a signé un accord et quand j'ai vu qu'il était rejeté, j'ai perdu espoir. Ensuite, on a rencontré le ministre des Finances avec le maire pour expliquer les conséquences économiques des manifestations ainsi que l'impact sur l'image internationale de Montréal.

6 Selon vous, votre participation au débat a-t-elle été dommageable pour votre réputation?

J'ai pris une décision en mon âme et conscience de participer à ce débat. J'étais conscient que je pouvais dire une grosse bêtise et que je devrais m'excuser, mais j'ai essayé d'enrichir le débat et j'ai voulu donner à d'autres le courage de s'exprimer. Je compare le prêt-à-penser qu'on trouve sur les médias sociaux aux dogmes du clergé catholique qui nous obligeait à penser d'une façon. Certains leaders d'opinion sont devenus nos cardinaux Léger d'aujourd'hui. Bref, j'ai eu le sentiment d'être utile.

7 Vous dites que la mairie de Montréal ne vous intéresse plus, mais est-ce votre décision définitive?

Je ne me présenterai pas pour deux raisons. J'ai une entreprise énorme à gérer et il faudrait plusieurs années pour la transférer, alors disons que c'est un rendez-vous manqué. Si j'étais comme Michael Bloomberg à New York, avec des mécanismes de surveillance pour assurer que je n'avantage pas mon entreprise, j'envisagerais mes chances. L'autre raison est la question du talent. Est-ce que je l'aurais pour être maire? Il ne faut pas créer l'espoir et ne pas répondre aux attentes. Je vais plutôt m'impliquer à Montréal en tant que citoyen dans de gros projets pour faire avancer ma ville.

8 En tant qu'organisateur d'un des plus grands festivals de Montréal, trouvez-vous que le gouvernement actuel accorde suffisamment d'importance aux besoins de la métropole?

Tout dépend de quel ministre est là. Avec Raymond Bachand, on a un ministre de Montréal qui aime Montréal. Mais Montréal n'a pas de pouvoir, ce n'est pas un enjeu politique. On a des circonscriptions de 70 000 personnes qui comptent autant qu'une circonscription de 20 000 personnes en Gaspésie. Il faut que Montéal joue avec le reste du Québec, que la métropole prenne conscience des régions et de Québec dans un esprit de complémentarité, pas de compétitivité.

9 Vos soeurs organisent un spectacle-bénéfice pour les étudiants. Avez-vous un lien quelconque avec cette manifestation?

Ça n'aurait pas de bon sens et, surtout, cela voudrait dire que les étudiants m'auraient demandé une protection ou une rançon, ce que je trouve insultant pour eux. Mes soeurs et moi ne sommes pas d'accord, une d'elles ne jure que par Québec solidaire et Amir Khadir, et l'autre est plus péquiste. Quand elles m'ont demandé si ça me dérangeait qu'elles s'engagent à titre privé, j'ai dit non, on est dans une société libre. Je ne peux pas dire aux gens de mon équipe comment penser.

10 Les humoristes qui y participent pourront-ils retravailler avec vous?

Bien sûr! Laurent Paquin, qui participera au spectacle-bénéfice, anime un gala Juste pour rire cet été. Trouvez-moi un humoriste à Montréal que j'ai déjà censuré!

Le seul souvenir que j'ai, c'est d'avoir demandé à un humoriste de ne pas faire une blague déplacée sur Pierre Elliott Trudeau au lendemain de sa mort parce que je trouvais qu'il y avait tout de même un moment de respect à observer quand quelqu'un meurt.

TWITTER +1 Serge Landry @SlyTigger

Que retirez-vous de votre expérience Twitter des dernières semaines? Positif ou négatif?

Positif. J'ai l'impression d'avoir fait mon devoir de citoyen, de m'être préparé, d'avoir ouvert un espace de discussion sans me laisser intimider, sans plier aux menaces de boycottage qui pouvaient avoir des effets économiques sur moi. La démocratie est un droit de parole, on ne peut pas l'invoquer et la bafouer à la fois.