Le travail de policier semblait tellement ancré dans sa famille qu'on l'aurait cru au-dessus de tout soupçon. Mais de nouveaux détails qui filtrent sur la «taupe du SPVM» montrent qu'à la fin de sa vie, Ian Davidson a caché à ses collègues au moins une fréquentation «dérangeante». Et que sa fameuse expertise technologique pouvait aussi se retourner contre la police lorsqu'il l'utilisait pour son propre compte.

Pendant plus de six ans, alors que le sergent-détective Ian Davidson était responsable de la liste secrète des informateurs de la police de Montréal, son fils cadet avait une liaison avec la fille du caïd Steven «Bull» Bertrand, un trafiquant de drogue proche de l'ancien chef guerrier des Hells Angels, Maurice «Mom» Boucher.

La jeune fille entretenait une bonne relation avec son beau-père, qu'elle visitait fréquemment à la maison.

Maison où, en vertu de permissions exceptionnelles qui faisaient sourciller certains collègues, Ian Davidson avait ramené plus d'une fois des documents pour travailler chez lui.

«J'allais dans les soupers de famille, on avait du fun», a résumé la jeune femme lors d'un entretien avec La Presse.

«Mon père est présentement incarcéré, donc je ne verrais pas comment (Davidson) pourrait avoir eu des contacts avec lui», dit-elle, précisant qu'elle ne fréquente plus Christian Davidson.

Au SPVM, certains agents soulignent qu'on ne peut contrôler les fréquentations de chaque enfant des 4600 policiers montréalais.

Reste que Ian Davidson constituait un cas particulier. La liste de 2000 informateurs dont il était l'un des deux gardiens identifie des sources qui ont risqué leur vie en dénonçant Steven Bertrand et Maurice Boucher.

Ian Davidson n'a jamais parlé à ses collègues de cette nouvelle venue dans sa famille. Ceux-ci l'ont appris en enquêtant sur sa tentative de vendre la liste à la mafia.

«C'est très grave!» s'insurge sous couvert de l'anonymat un ancien proche collègue de Davidson.

«Avec la job qu'il avait, il aurait dû dire à son fils: Tu ne l'emmènes pas ici. C'est fini. Parce que si papa, en prison, a quelqu'un qui l'alimente...»

La fille de Steven «Bull» Bertrand et l'autre fils de Ian Davidson donnaient par ailleurs comme adresse ces dernières années un appartement loué à un membre de la richissime famille Di Maulo, dont plusieurs proches parents sont des poids lourds de la mafia. Comme les enquêteurs ont déterminé que le fils cadet a aidé son père dans ses tentatives de vente, toute «porte d'entrée» qu'il pouvait avoir dans les milieux criminels doit être examinée.

«S'il a voulu vendre à un, il aurait pu aussi vouloir vendre à d'autres», s'inquiète l'ancien collègue.



Une famille de policiers

Rien de spécial n'était ressorti jusqu'ici dans le parcours de Ian Davidson, né à Montréal, le 19 décembre 1955, dans une famille anglophone. Son frère passe comme le plus ambitieux des deux. Après des études en géologie, celui-ci fait fortune dans l'industrie minière. Diamants, or, engrais: il siège aujourd'hui au conseil de plusieurs multinationales et vit dans un véritable château au Costa Rica.

Ian Davidson, lui, entre à la police de Montréal au début de la vingtaine. De l'avis de tous, il paraît peu pressé de monter en grade.

La police occupe une place importante dans sa vie. En 1978, il épouse la fille d'un gradé du service, Gérald Cholette, futur directeur de la police de Trois-Rivières, qui sera même pressenti pour diriger la police montréalaise. Comme il a perdu de vue Davidson depuis 20 ans, M. Cholette n'a pas voulu être cité dans ce reportage.

Davidson a trois enfants avec la fille du haut gradé, puis il la quitte pour une policière montréalaise, avec qui il s'achète une maison à Laval. Il changera encore deux fois de conjointe, fréquentant successivement deux soeurs. L'achat de ses premières maisons est financé par une longue série de prêts de l'Association de bienfaisance et de retraite des policiers montréalais.

La police devient presque une vocation familiale chez lui. Son fils aîné, qui est aujourd'hui convoyeur de fonds, annonce tôt son intention de devenir policier, comme son père, son grand-père et sa belle-mère d'une certaine époque. «C'est triste, j'imagine que ses chances sont ruinées maintenant», a déploré récemment un membre de la famille joint au téléphone.

Ian Davidson passe plusieurs années au poste 25, dans l'ouest de la ville.

«Ce n'était pas un gars qui pétait des scores. Mais il était excellent avec les ordinateurs. Il me montrait à travailler là-dessus et je disais: Ian, tu vas trop vite, je ne comprends rien! «, se rappelle l'ex-policier Claude Aubin, qui était son voisin de bureau.

Les policiers qui l'ont côtoyé se souviennent que malgré son gabarit de costaud, il était un homme de bureau, pas de terrain. Taciturne, solitaire, il se rendait toutefois disponible pour donner un coup de main. Claude Aubin raconte que Davidson semblait déstabilisé lorsque ses confrères l'ont traîné sur une perquisition où ils ont maîtrisé physiquement un suspect.

Ce sont ses compétences en informatique qui ont mené Davidson vers un poste d'analyste à la section des renseignements criminels. Là-bas, on le voyait souvent fumer sa cigarette devant le bureau, son appareil Bluetooth toujours à l'oreille, en bon féru de technologie.

La suite est connue. Après sa retraite, il aurait tenté de vendre des informations au crime organisé, a réhypothéqué sa maison et a acheté un billet d'avion vers le Costa Rica, avant d'être arrêté et de s'enlever la vie.

Que s'est-il passé pour qu'il jette par-dessus bord 33 ans de service dans la police? C'est ce que plusieurs proches et ex-collègues disent encore chercher à comprendre.

Photo: fournie

L'ex-policier Ian Davidson