Normalement, Philippe Hamelin écoperait d'une peine de pénitencier substantielle pour avoir commis l'inceste et battu ses deux filles. Mais le pénitencier est-il prêt à accueillir cet homme de 93 ans, à moitié sourd, quasi aveugle, incontinent, qui a besoin d'aide pour manger et se laver, et qui se déplace péniblement avec un déambulateur?

C'est ce que le juge André Perreault voudrait bien savoir. Hier, après avoir déclaré M. Hamelin coupable des cinq accusations qui pesaient sur lui pour des gestes qu'il a commis contre deux de ses filles dans les années 50 et 60, le magistrat a écouté les avocates des deux parties faire leurs plaidoiries.

La procureure de la Couronne France Duhamel et l'avocate de l'accusé, Me Hélène Poussard, s'accordaient pour recommander une peine à purger dans la communauté, compte tenu de l'âge et de l'état de santé de l'accusé. Renié par la majorité de sa famille, celui-ci réside dans une résidence pour personnes âgées semi-autonomes. Il égrène ses jours en écoutant la radio et en récitant son chapelet. Il a besoin d'aide pour des tâches aussi essentielles que s'habiller et se laver. Incapable de sortir seul, il doit de plus voir régulièrement un médecin.

«Les autorités pénitentiaires auraient de la misère à le garder», a convenu Me Duhamel. «On ne peut pas gérer cette sentence-là. Il n'y a pas de préposé aux bénéficiaires dans les prisons pour lui mettre une couche, couper ses aliments L'État devrait lui payer des gardiens 24 heures sur 24», a ajouté Me Poussard.

Ces arguments n'ont pas convaincu le juge Perrault, qui a trouvé qu'il y avait «absence de preuve». Me Duhamel a alors proposé de vérifier de la manière la plus simple, en incarcérant M. Hamelin sur-le-champ. Ce que le juge a refusé. Les parties ont finalement convenu de reporter le prononcé de la peine, afin qu'un représentant du Service correctionnel canadien vienne faire le point devant la cour.

Coupable avant de mourir

La Presse a tenté d'en savoir plus auprès du Service correctionnel. Le porte-parole, Jean-Yves Roy n'a pas voulu épiloguer sur un cas comme celui de M. Hamelin, mais il a indiqué que chaque nouveau détenu subissait une évaluation en arrivant et qu'il y a des services de santé dans chaque établissement. S'il était condamné à la prison ferme, M. Hamelin serait le plus vieux détenu du Québec.

Actuellement, selon les données recueillies auprès de M. Roy, le détenu le plus âgé au fédéral a 85 ans. Parmi les 3123 détenus incarcérés dans les 12 pénitenciers fédéraux du Québec, on en compte 40 qui ont 71 ans et plus.

En ce qui concerne les deux victimes de M. Hamelin, Marcelle et Michelle, toutes deux dans la soixantaine maintenant, elles ne s'attendent pas à ce que leur père aille en prison, vu son âge. Pour elles, l'important, c'était qu'il soit reconnu coupable avant de mourir. Leur père a commencé à les agresser sexuellement dans leur enfance, et a poursuivi pendant une partie de leur adolescence. Briqueteur de métier, il était aussi très violent avec elles.

Les deux femmes se sentent libérées aujourd'hui et regrettent de ne pas l'avoir dénoncé avant. «Toute ma vie, j'ai eu pitié de lui. Mais là c'est fini», a dit Michelle. «Je me sens libérée, je peux marcher la tête haute», a commenté Marcelle.