Philippe Hamelin, 93 ans, a été reconnu coupable d'inceste, d'attentat à la pudeur et de voies de fait sur ses deux filles, gestes qui se sont produits il y a une cinquantaine d'années.

Presque sourd, quasi aveugle, Hamelin se déplace difficilement avec une marchette. Les représentations sur sentence ont lieu ce matin.

Les deux femmes ont attendu 50 ans avant de porter plainte. Aujourd'hui, leur seul regret est de ne pas l'avoir fait avant. «Ma soeur voulait le faire il y a 20 ans, mais moi je n'étais pas prête à affronter ça», confiait Marcelle, la plus âgée, lors d'un entretien avec La Presse au procès en mai dernier.

«Je le confrontais souvent au sujet de ce qu'il m'avait fait, explique Louise, la cadette. Mais en 2004, il m'a répondu: «De toute façon, j'ai aucun remords. Quand je le faisais, t'aimais ça.» Je l'ai trouvé dégueulasse. J'ai dit à ma soeur que je portais plainte, même sans elle. Elle m'a dit qu'elle était maintenant prête.»

Le vieillard, qui vit en résidence, a été accusé en 2005. Compte tenu de son âge et de son état de santé, son avocate, Hélène Poussard, lui a fait passer une évaluation psychologique. Il a été jugé apte à affronter les procédures judiciaires. «Il est un peu mêlé dans les dates, mais il se rappelle tout», assure sa fille Michelle. Les accusations remontent aux années 1956 à 1963. Pour simplifier les choses, la Couronne n'a pas porté d'accusation pour les gestes qui auraient été commis à Granby, dans les années 40 et 50.

Le procès, qui s'est tenu en mai à Montréal, nous ramenait tout droit au temps où l'on récitait le chapelet à genoux dans la cuisine après souper, en choeur avec le cardinal Léger à la radio. Une époque de bondieuseries, où la confession javellisait les péchés. «Après ses agressions, notre père nous disait d'aller nous confesser, pour ne pas aller en enfer. Lui, il allait se confesser, et ça lui donnait le droit de recommencer», commentent les deux soeurs. Selon elles, leur père a commencé à leur faire des attouchements dès l'âge de 4 ans, cela s'est poursuivi avec des masturbations et d'autres actes sexuels jusqu'à l'adolescence et même jusqu'à 18 ans pour la plus âgée. Michelle affirme que dans son cas, c'est allé jusqu'à la pénétration, qu'elle subissait en moyenne deux fois par semaine. Les deux femmes disent avoir grandi dans la honte et dans la crainte de leur père. Évidemment, la loi du silence régnait. «Il disait que si on en parlait, il nous enverrait en prison ou dans un orphelinat.» Elles soutiennent aussi avoir été souvent battues à coups de poing par leur père, qui était briqueteur. Et cela pour des peccadilles, comme le fait de ne pas se tenir assez droites pendant le chapelet. Elles sont persuadées que leur mère, décédée il a quelques années, était au courant de tout, et qu'elle préférait fermer les yeux.

«Juste coupable de les avoir créées»

Comme leur père a toujours été très religieux, et que son témoignage se ferait sous serment sur la Bible, les deux soeurs s'attendaient à ce qu'il fasse des aveux, au procès. Elles ont déchanté. Devant le juge André Perreault, le vieil homme a nié en bloc. Il n'a jamais levé la main sur ses filles, et ne leur a jamais rien fait de mal, a-t-il soutenu. «Faites de moi ce que vous voulez, je suis juste coupable de les avoir créées», a-t-il dit.

Questionné par la procureure de la Couronne France Duhamel, il a cependant admis deux incidents, qu'il juge sans gravité. Le premier est survenu au chalet, alors qu'il était en costume de bain et qu'il «jouait» avec une des petites en lui faisant faire des culbutes. «Je la tenais par les pattes. Mon pénis a frotté une couple de minutes sur sa cuisse et j'ai éjaculé. J'ai pas joué plus que cinq minutes», a-t-il juré. Il met l'incident sur le compte de sa «vigueur» à 40 ou 50 ans, et de la taille de son pénis, qui «sortait tout seul» de son costume de bain. Une autre fois, il admet s'être étendu sur son autre fille. «Je me suis couché par-dessus elle. Je l'ai embrassée sans mauvaise intention.» Il prétend que ses filles se sont liguées contre lui, et qu'elles ont été inspirées par l'affaire du «boxeur (Dave Hilton) qui s'est fait pogner avec ses filles».

Les femmes, toutes deux dans la soixantaine, ne s'attendent pas à ce que leur père aille en prison s'il est déclaré coupable, compte tenu de son âge. Mais elles ont le sentiment d'avoir enfin fait ce qu'il fallait. D'autant plus que selon elles, il y a eu d'autres victimes.

«Il a abusé de la fille d'une cousine, qui n'a pas voulu porter plainte. Il a gardé des petites filles du voisinage, et il joue au père Noël à la résidence où il est placé», fulminent les deux soeurs, qui affirment avoir renié leur père à tout jamais.