Les deux policiers impliqués dans l'intervention qui a coûté la vie à Fredy Villanueva, samedi soir, à Montréal-Nord, n'ont toujours pas été interrogés par la Sûreté du Québec (SQ) chargée de l'enquête. Le corps policier a ainsi fourni un argument supplémentaire aux voix qui demandent la tenue d'une enquête publique.

Le ministre de la Sécurité publique, Jacques Dupuis, n'a pas écarté la tenue d'une telle enquête, hier. «L'enquête criminelle est une étape obligatoire. Quand nous obtiendrons les résultats, on avisera sur la nécessité d'une enquête publique», a dit le ministre, qui a annulé ses vacances pour gérer la crise.

En vertu de la politique ministérielle, lorsqu'un coup de feu est tiré par un service de police, un autre corps policier est chargé de l'enquête. Dans ce cas-ci, la Sûreté du Québec enquête sur les agissements de la police de Montréal. L'enquête devrait prendre de 8 à 10 semaines.

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Une trentaine de policiers et d'experts ont été assignés au dossier. Ils ont rencontré une trentaine de témoins, des dizaines de voisins ainsi que les familles des deux jeunes blessés par balle et du défunt. La famille Villanueva a été ébranlée par sa rencontre avec les enquêteurs de la SQ. «C'était dur de les entendre parler de mon frère. On se sent tellement seuls, tellement mécontents, mais en même temps, on n'a pas la tête à l'enquête. On pense juste à la cérémonie funéraire», a dit Patricia, la soeur aînée de Fredy, hier soir à La Presse.

Les deux policiers présents lors de la fusillade n'ont toujours pas été interrogés par les enquêteurs. «C'est définitivement une pratique courante», a assuré le lieutenant François Doré, de la SQ, hier, en conférence de presse. «Ces gens-là (policiers) sont traités de la même façon que les citoyens ordinaires», a ajouté le policier, qui ne craint pas que les agents « perdent la mémoire» d'ici à leur interrogatoire.

Cette affirmation a fait sursauter le criminologue Jean-Claude Brodeur. «Soixante pour cent des homicides sont élucidés en moins d'une journée. En général, le principal suspect est interrogé dans les heures suivant le meurtre. Les règles sont différentes quand l'auteur de l'homicide volontaire ou non est un policier», indique-t-il. «Le meurtre commis par un policier dans le cadre de ses fonctions ne correspond pas au crime d'un citoyen ordinaire. Les enquêteurs trouvent toujours de bonnes raisons pour expliquer le retard d'un interrogatoire de témoin policier», souligne Louise Viau, professeur de droit à l'Université de Montréal.

Témoin ou suspect ?

Avant de rencontrer les deux policiers, les enquêteurs de la SQ doivent déterminer s'ils les interrogent à titre de témoin ou de suspect. Le Code criminel prévoit que le policier peut se servir de la force nécessaire pour sauver sa vie ou celle d'un autre. Selon la Loi sur la police, la policière témoin de la mort du jeune Latino a l'obligation de participer à l'enquête. Son confrère, lui, a droit au silence comme n'importe quel suspect.

Après le décès de Villanueva, la Fraternité des policiers de la Ville de Montréal a fourni un avocat au policier qui a fait feu sur le jeune homme, et un autre à la policière qui l'accompagnait. Tous deux n'ont pas été suspendus. Ils sont en arrêt de travail pour au moins une semaine.

Même si le ministre Dupuis a assuré que la Sûreté du Québec rendrait compte aux citoyens de l'évolution de l'enquête, le corps policier est resté plutôt vague sur les événements de samedi. «Cette enquête sera menée de manière intègre, impartiale et avec professionnalisme», a répété plusieurs fois le lieutenant François Doré.

Les policiers, tous deux Blancs, ont interpellé Dany Villanueva, le frère aîné de Fredy, dans le parc dans lequel « un maximum de 20 ou 30 personnes » étaient présentes, incluant des gens qui jouaient au soccer. Dany jouait alors aux dés avec d'autres. Quatre projectiles ont été tirés par le même policier. Les enquêteurs ont visionné des vidéos de surveillance captées par des caméras installées sur le toit de l'aréna et de la polyvalente voisins du parc Henri-Bourassa.

Les conclusions seront rendues publiques, assure le ministre

La SQ transmettra son rapport au Directeur des poursuites criminelles et pénales. Ce dernier décidera s'il y a matière à poursuite ou non. Le ministre Dupuis a assuré que les conclusions de l'enquête criminelle seront rendues publiques. Le ministre ainsi que le bureau du coroner ont le pouvoir de déclencher une enquête publique, même si le Directeur des poursuites décide de ne pas porter d'accusation.

Le Centre de recherche-action sur les relations raciales a demandé la tenue d'une enquête publique, hier, craignant que l'enquête de la SQ ne soit pas assez transparente. Le Parti québécois est aussi de cet avis.

Le ministre Dupuis ne compte pas se rendre à Montréal-Nord pour constater les dégâts de l'émeute de dimanche survenue en réaction à la mort de Villanueva. Il s'est entretenu avec le directeur de la Sûreté du Québec et le chef de police de la Ville de Montréal, hier.