Si les entrepreneurs canadiens craignent de pâtir de l'absence du premier ministre Stephen Harper à la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques de Pékin, dans trois semaines, ils le cachent bien. Dans le milieu des affaires, rares sont ceux qui acceptent de commenter ce que certains décrivent comme un «boycottage déguisé».

Lorsque le monde aura les yeux tournés vers la Chine le 8 août, le Canada sera avec le Royaume-Uni et l'Allemagne, l'un des trois pays à n'être représentés que par un ministre, et non un chef d'État ou de gouvernement.

Les entreprises canadiennes, qui ont vendu à l'empire du Milieu près de 9,3 milliards de produits en 2007, refusent pourtant de dire si elles redoutent des sanctions commerciales.

Du Conseil canadien des chefs d'entreprise à la chambre de commerce du Montréal métropolitain, en passant par la Chambre de commerce Canada-Chine ou encore par l'Association des manufacturiers et exportateurs du Québec, la même réponse revient : «Aucun commentaire.» «Les industries sont peut-être déçues, mais sûrement pas inquiètes», pense Doug Porter, économiste à Banque de Montréal, Marché des capitaux.

M. Porter estime qu'«il y a tellement de facteurs influençant les exportations vers la Chine, qu'il n'est pas très facile de déterminer à quel point des décisions politiques peuvent affecter les transactions commerciales».

«Que gagnent les entreprises à s'exprimer?» demande Christopher Thomson, ancien responsable des relations avec la Chine au ministère des Relations internationales du Québec, aujourd'hui professeur de sciences politiques à l'Université Concordia. «Qu'elles critiquent ou félicitent Harper, l'impact pour le Canada sera encore plus négatif. S'abstenir de tout commentaire constitue pour elles la meilleure des choses à faire», pense-t-il.

Les conséquences dépendent de ce qui va se passer d'ici les JO, estime Samuel Noumoff, spécialiste de la Chine et récemment retraité de l'Université McGill. «Si le gouvernement canadien ne fait pas de nouvelle déclaration négative d'ici le 8 août, les entreprises ne connaîtront rien de dommageable.»

En choisissant de céder sa place au ministre des Affaires étrangères David Emerson, en alléguant un horaire chargé, M. Harper a évité de froisser les Chinois tout en apparaissant comme un meneur en matière de droits de la personne, soulignent les politologues. Charles-Philippe David, titulaire de la chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques de l'UQAM, pense ainsi que la politique étrangère du premier ministre a été tellement critiquée qu'il « a à coeur d'en améliorer l'image, au moins sur les droits de la personne». Mais M. David regrette que le chef conservateur ait donné «une faible excuse» pour ne pas être présent à Pékin. Le cabinet de M. Harper invoque un horaire chargé sans toutefois préciser ce que fera le premier ministre le 8 août. «On ne discute pas l'agenda du PM», réplique sèchement Jean-Philippe Payment, un de ses porte-parole.

Avec la collaboration de Gilles Toupin.

Réactions politiques

Le critique libéral en matière d'affaires étrangères, Bob Rae, a accusé avant-hier M. Harper de défaire des années d'efforts diplomatiques pour rapprocher le Canada de la Chine. En ne se rendant pas en Chine le mois prochain, M. Harper envoie un signal clair de désapprobation et de désintérêt, a dit M. Rae. Le NPD, en la personne du député Wayne Marston, juge que M. Harper «tente de masquer la vérité lorsqu'il fait état d'un conflit d'horaires», remarquant que la date des Jeux était connue depuis «bien longtemps» (en 2001 précisément). M. Marston pense en outre que l'absence du premier ministre aura «des conséquences», sans préciser lesquelles. Le Bloc québécois refuse pour sa part tout commentaire. Le porte-parole Serge Bouchard a indiqué qu'il fallait «attendre de voir les développements» pour critiquer ou féliciter M. Harper.