«Champion des libertés individuelles», «symbole de la décadence morale», le docteur Henry Morgentaler, qui a fait du droit à l'avortement le combat de sa vie, continue de faire couler beaucoup d'encre. Est-il pertinent de lui décerner l'Ordre du Canada? Là-dessus, les médias sont très partagés.

À la une d'hier, la chroniqueuse Margaret Wente, du Globe and Mail, commence son texte en disant qu'il est juste d'honorer le docteur Morgentaler. «Il s'est battu pour faire de ce pays un endroit meilleur pour les femmes et il a réussi.» Cela étant dit, elle note combien le débat sur l'avortement est loin d'être terminé et avance que «certaines femmes utilisent l'avortement comme moyen contraceptif. Un foetus n'est pas une personne, mais en même temps, ce n'est pas rien non plus.»

Dans le même journal, le caricaturiste Tony Jenkins a dessiné pour le numéro d'hier un Stephen Harper plus gros que nature. Le premier ministre y est montré avec un t-shirt portant l'inscription I love Morgentaler, qui ne précise qu'en tout petit que la décision de l'honorer n'était pas la sienne. Mercredi, le premier ministre s'est pourtant clairement dissocié de la décision qui a été prise, a-t-il insisté, par la gouverneure générale du Canada, Michaëlle Jean.

Le National Post ouvre lui aussi ses pages à une diversité d'opinions sur la question.

Ainsi, mercredi, une bonne partie des pages opinions était offerte à Ian Hunter, professeur de droit à l'Université Western, en Ontario. C'est pour lui que la décision de décorer le docteur Morgentaler est le symbole de la décadence morale de ce pays, qui, hier encore, le poursuivait devant les tribunaux. «Il ne faut pas honorer les hommes sans honneur», écrit-il.

Mais hier, la même page opinion était consacrée à un texte d'un animateur de radio ontarien plutôt favorable à la consécration du docteur Morgentaler. Avant la croisade du docteur Morgentaler, rappelle-t-il, il était très fréquent de voir des femmes se présenter à l'hôpital en septicémie ou en hémorragie à la suite d'un avortement clandestin fait par quelque boucher. «Même aujourd'hui, l'Organisation mondiale de la santé estime que 68 000 femmes meurent annuellement (dans le monde) des suites d'avortements illégaux, tandis qu'entre 2 et 7 millions d'autres femmes s'en sortent avec des séquelles à long terme.»

Le chroniqueur Henry Aubin, du journal The Gazette, y va lui aussi de chiffres, mais pour rappeler combien l'avortement est fréquent au Québec, plus que dans n'importe quelle autre province canadienne. M. Aubin assimile ces hauts taux d'avortement ici au fait que c'est au Québec que le docteur Morgentaler a commencé sa croisade, dans cette province «qui a jeté un oeil bien peu critique sur son héritage». «La récompense donnée à Morgentaler est un affront - à moi et à plusieurs autres.»

L'Ordre du Canada est décerné à des gens de tous les horizons. Parmi les récipiendaires se trouvent par exemple les Québécois Céline Dion, Marcel Aubut, Jean-Claude Turcotte et Angèle Dubeau.

C'est sur recommandation d'un comité de 12 personnes, présidé par Beverley McLachlin, juge en chef de la Cour suprême, que la gouverneure générale choisit la personne à décorer.

Hier, le père Lucien Larre, prêtre catholique, a renoncé à l'Ordre du Canada (qu'il avait reçu en 1983) après avoir appris que le docteur Morgentaler allait recevoir le même honneur.

L'an dernier, la nomination du pasteur Brent Hawkes, qui a célébré le premier mariage gai au pays, avait aussi semé la controverse. Dans les années 70, le fait de décorer Elizabeth Bagshaw, qui avait beaucoup bataillé pour la pilule contraceptive, avait également été largement contesté.