La pêche au saumon est plus populaire que jamais. L’an dernier, on a enregistré la meilleure fréquentation de l’histoire sur les rivières du Québec. On parle toutefois d’une pêche sportive qui respecte la ressource, plus abondante parce que l’on favorise de plus en plus la remise à l’eau. Nous nous sommes mouillés à Causapscal, dans la Matapédia, pour vivre une journée d’initiation à la pêche au roi des rivières.

Une pêche viscérale

Notre guide Jacky Beaudin nous attend assis sur le hayon de sa camionnette, dans le stationnement de la Corporation de gestion des rivières Matapédia et Patapédia (CGRMP), qui est gestionnaire des réserves fauniques des Rivières-Matapédia-et-Patapédia et de Dunière ainsi que du site des Chutes et Marais. C’est ici, à l’entrée du village de Causapscal, que l’on peut s’assurer les services d’un guide, louer de l’équipement de pêche ou suivre une séance d’initiation – c’est notre plan pour la matinée, car il s’agit de notre première expérience de pêche à la mouche.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

« C’est un art, la pêche à la mouche », explique notre guide Jacky Beaudin.

Après avoir essayé nos bottes et cuissards, on s’attendait à suivre notre guide jusque dans un endroit plus ou moins facile d’accès, mais on s’arrête à notre grande surprise en plein cœur du village, au confluent des rivières Matapédia et Causapscal. C’est en effet l’une des 80 fosses de la dizaine de zones de pêche de la CGRMP, un endroit idéal pour trouver le saumon qui remonte les rivières de la Gaspésie afin de regagner leurs frayères. Nœuds, choix des mouches, positionnement dans la rivière, technique de lancer, Jacky Beaudin nous explique en détail les rudiments de ce loisir contagieux. « C’est un art, la pêche à la mouche, nous dit notre guide qui a longtemps travaillé comme conducteur de machinerie lourde. Moi, je pêche à la mouche depuis l’âge de 5 ans, j’ai attrapé mon premier saumon à 8 ans, un poisson de 10 livres. »

En cette magnifique journée printanière, il nous recommande de pêcher avec une mouche « pompière », qui offre un bon contraste contre le bleu du ciel – les saumons ont en effet un étonnant champ de vision. « Quand le saumon nage, ce qu’il voit au-dessus de lui, c’est bleu, explique M. Beaudin. Tu vas donc pêcher avec des mouches de couleur. Quand c’est nuageux, c’est blanc, tu vas y aller avec des mouches foncées. Aussi, quand l’eau est haute, tu choisis une mouche “noyée”, qui cale un peu, alors que tu prends une mouche sèche, qui flotte à la surface, quand l’eau est plus basse et plus calme. »

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Le choix des mouches est crucial en fonction de la température, de la couverture nuageuse et du niveau des rivières.

Quant à la technique de lancer, il s’agit d’être précis dans le mouvement et de bien sentir le va-et-vient de la mouche – on ne s’en est pas trop mal tiré, même si notre mouche s’est accrochée une fois à notre manche. « La qualité d’un bon moucheur, ce n’est pas la distance, c’est la présentation de la mouche, poursuit Jacky Beaudin, installé à quelques mètres de nous, en aval. Avec la mouche, ça prend une bonne présentation, il faut que la mouche se présente bien au saumon. Ça prend de la patience, mais un jour tu vas arriver à faire ce que tu veux. C’est comme un lasso ; à 60, 70 pieds, je vais t’installer une balle de mousse sur la tête et je vais te l’enlever avec ma mouche. Toi, pêche un été un complet, et je te dis qu’à la fin, tu vas avoir du fun ! » Un coup d’œil au Guide pratique de pêche au saumon, outil pour le pêcheur débutant produit par la Fédération québécoise pour le saumon atlantique, s’avère aussi une mine d’or de conseils et d’information.

À vivre une fois dans sa vie

En fait, peu importe si on est revenu bredouille, on a vraiment eu du plaisir. L’activité est incroyablement zen. On est la plupart du temps en pleine nature, le contact avec l’eau est direct, ce qui éveille tous les sens. Mais réussir à pêcher un saumon est, semble-t-il, une expérience qu’il faut vivre au moins une fois dans sa vie.

« C’est viscéral, pêcher le saumon, nous dit de son côté Michelle Lévesque, directrice de la CGRMP. Il est fort, il a une grosse vitalité. Puis quand la personne le prend et le remet à l’eau, il se crée un contact, il se passe quelque chose. Puis tu as le combat ! Ça prend 20 minutes, une demi-heure, avant de le remettre à l’eau. Des fois, ça fait cinq jours que tu pêches, il faut que tu sois patient, mais tu es tellement fier quand ça mord ! Regarde, j’ai des frissons rien qu’à le dire ! »

Il nous faudra donc revenir – c’est justement l’objectif du forfait d’initiation. « Quelqu’un peut donc revenir seul, mais c’est mieux de prendre un guide, au moins pour les trois ou quatre premières fois, nous conseille M. Beaudin. Tu ne connais pas la rivière, le guide va te montrer quelques fosses, si tu reviens, tu vas finir par en connaître une dizaine, assez pour pouvoir pêcher deux ou trois jours. »

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

La pêche au saumon se pratique dans des décors enchanteurs, ce qui rend l’activité incroyablement zen.

Ici à Causap, le saumon, c’est du patrimoine immatériel à 100 milles à l’heure. Ça nous a façonnés, mais on construit encore pour s’assurer que dans 50 ans, quand on va avoir légué tout ça, on aura fait une bonne job.

Michelle Lévesque, directrice de la Corporation de gestion des rivières Matapédia et Patapédia

En plus de transmettre ses connaissances aux néophytes, Jacky Beaudin est aussi guide dans le secteur Glenn Emma, un ancien club de pêche privé de la fin du XIXe siècle qui est aujourd’hui l’une des zones contingentées où il est possible d’aller pêcher sur réservation. Les endroits les plus prisés peuvent coûter jusqu’à 1000 $ pour deux pêcheurs pendant deux jours.

« Quand les gens payent pour aller dans des zones contingentées, c’est pour être les premiers à mettre la mouche, le saumon n’y a pas été taquiné 70 fois, nous dit Michelle Lévesque. Mais quand on contingente, c’est la plupart du temps dans des refuges thermiques où il y a de la rétention de saumon. On ne veut pas surexploiter la ressource, car c’est important pour nous que le client puisse profiter d’un contexte de réserve faunique, dans un beau lieu qui respecte la capacité de support de l’habitat. »

C’est pour la même raison que l’on remet les prises à l’eau dans la majorité des cas – l’an dernier, pas moins de 77 % des saumons pêchés au Québec ont été remis à l’eau.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Notre guide Jacky Beaudin a commencé à pêcher le saumon à l’âge de 5 ans, il y a presque 50 ans.

Preuve que la conservation de la ressource porte ses fruits, on a noté l’an dernier une hausse de 16 % des montaisons totales. « Il faut protéger la ressource, parce que si on ne le fait pas, nos enfants et nos petits-enfants ne pourront plus pêcher, conclut Jacky Beaudin. Quand tu remets le géniteur à l’eau, c’est peut-être lui qui va refaire des petits. Il faut protéger notre ressource, parce que si on ne le fait pas, c’est fini. »

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

La pêche au saumon connaît une résurgence exceptionnelle depuis quelques années.

29 368

Saumons dénombrés dans les 40 rivières du Québec

Source : ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs

- 56 %

Diminution du prélèvement de grands saumons depuis la mise en œuvre en 2016 du plan de gestion du saumon atlantique

Source : ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs

150 ans de pêche

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Le club Matamajaw, fondé en 1873 par Lord Mount Stephen, est devenu un musée qui a été entièrement rénové en 2023, un investissement de près de 600 000 $.

Lord Mount Stephen, qui est à l’origine des fameux Jardins de Métis, a d’abord établi le domaine de pêche Matamajaw à Causapscal il y a exactement 150 ans. Son club, rebaptisé le Restigouche Salmon Club, est devenu le plus grand club de pêche privé au Canada. C’est aujourd’hui un musée qui a fait entièrement peau neuve cette année. « Ça va être une expérience immersive auditive, nous explique la directrice Édith Ouellet. On a de grandes photos, des artéfacts, mais tout va se passer entre les deux oreilles. On visite l’exposition accompagné de Joe et de Florence ; Joe, c’est un ancien employé du Matamajaw Salmon Club, et Florence, une ancienne de Causapscal qui fait son bac en histoire. C’est comme si on se promenait avec eux dans le musée. »

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

La pêche au saumon est de plus en plus populaire.

Place à la relève

La pêche au saumon connaît une résurgence exceptionnelle depuis quelques années, une tendance mesurable car la fréquentation des rivières à saumon s’est chiffrée en 2022 à À 76 706 jours/pêche, une hausse de 11 % par rapport à la moyenne des cinq dernières années. En fait, 2022 représente la meilleure année de pêche depuis que le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs a commencé à recueillir des données sur le loisir, en 1984. « Il y a vraiment de la relève dans la pêche au saumon, soutient Micheline Lévesque, directrice de la Corporation de gestion des Rivières Matapédia et Patapédia (CGRMP). Il y a une belle mode en mouvement, notamment grâce au fabricant et détaillant d’équipements de chasse et pêche Hooké et au Festival de films de pêche à la mouche PALM. Et tout ça a vraiment rajeuni la clientèle, c’est beau à voir. »

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

On peut pêcher le saumon en plein cœur du village de Causapscal, au confluent des rivières Matapédia et Causapscal.

Moteur économique

En plus des jeunes, la pêche dans la vallée de la Matapédia attire un nombre impressionnant de touristes en quête des plus belles prises. Dans le grand livre des permis de pêche délivrés l’an dernier par la CGRMP, on voit des visiteurs venus de partout en Europe, des États-Unis, de la Thaïlande, de l’Afrique du Sud. « On a des retombées incroyables, affirme Micheline Lévesque. Notre chiffre d’affaires est de 2,5 millions, on fait travailler près de 60 personnes et nos clients viennent de partout. On veut les faire venir de loin, car on veut ramener de l’argent dans la région. » Selon la Fédération québécoise pour le saumon atlantique, chaque visiteur représente entre 600 $ et 700 $ par jour de pêche en retombées. Pour la CGRMP, on parle de retombées de 5 à 6 millions par année.