(Bromont) Après un départ hâtif à la fin de novembre, l’hiver s’est fait rappeler à l’ordre par les ultimes soubresauts d’automne au cours des dernières semaines. N’empêche, grâce à la magie de la fabrication de neige, plusieurs stations de ski du Québec ont déjà accueilli leurs premiers skieurs de la saison. Pour savoir comment on arrive à offrir du ski si tôt et comment on réussit à assurer de bonnes conditions pendant tout l’hiver, La Presse a eu accès aux secrets de la fabrique de neige de Bromont, l’une des plus importantes du Québec.

Nous sommes le 21 novembre et, avec le vent qui souffle et le mercure qui frise les -5 °C, l’hiver semble bien installé à la base du mont Brome. On marche partout dans la neige, propulsée tout autour de nous par d’énormes ventilateurs mobiles. Le paysage hivernal est toutefois trahi par le profil des piscines du parc aquatique, encore apparentes ici et là. Dans quelques jours, elles seront complètement ensevelies.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

En novembre, les installations du parc aquatique doivent être entièrement recouvertes de neige.

La fabrique de neige de Bromont, montagne d’expériences est en mesure de transformer en neige pas moins de 30 000 litres d’eau à la minute. Ce sont 400 perches et ventilateurs qui peuvent être alimentés en même temps. Au début de la saison, les efforts sont concentrés sur la base, autour des télésièges et des nouveaux portillons d’identification par radiofréquence – leurs socles étaient d’ailleurs encore bien apparents au cours de notre passage.

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Les socles des nouveaux portillons d’identification, encore visibles il y a quelques semaines, sont dorénavant recouverts de neige.

C’est la première phase d’enneigement de la montagne, qui en compte huit, étalées jusqu’à la fin de janvier – nous avons aussi été témoins de la dernière, nous y reviendrons plus loin. Certaines conditions sont évidemment requises pour lancer les activités à l’automne. « Il faut une nuit suffisamment froide, mais que la journée suivante le soit aussi, nous explique Marco Bernard, superviseur à l’entretien des pistes. On veut au moins être capable de faire le pont, pour qu’on puisse partir le système pour la peine. »

Pour se rendre à nos 30 000 litres par minute, ça peut nous prendre six heures. Il faut donc que tu partes ton système pour au moins 18, 20 ou 24 heures. À l’automne, tout le monde est sur les nerfs, mais quand ça part, ça part ! C’est le fun !

Marco Bernard, superviseur à l’entretien des pistes à Bromont

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Pierre Amyot, opérateur au quartier général de la fabrique de neige

Le grand manitou

En montagne, une douzaine d’opérateurs – on les appelle les « neigistes » – s’affairent à positionner et ajuster les perches. Ils sont tous en communication avec le quartier général de la fabrique, d’où officie le vétéran Pierre Amyot. Les yeux fixés sur ses sept (!) écrans, il suit en temps réel les opérations. « Ici, on voit nos trois sources d’eau, à la rivière, au lac du golf et à la montagne, nous explique l’opérateur en nous montrant ses écrans. On remplit notre bassin principal avec l’eau de la rivière, mais on utilise les réservoirs d’appoint quand on a besoin d’une grosse quantité d’eau, quand la température chute sous les -10 °C et que l’on peut utiliser beaucoup de nos équipements. »

La station puise en effet son eau dans la rivière Yamaska, grâce à un tuyau de 1,6 km de long. « On a un permis d’approvisionnement en temps réel du ministère de l’Environnement, nous dit le président Charles Désourdy. Ça dépend donc du débit de la rivière et du volume utilisé par la municipalité ; nous, on a le droit résiduel. Mais il y a de l’eau en masse, on n’est même pas à 1 % de ce qui coule dans la rivière. Dans un hiver, ce sont entre 250 millions et 300 millions de gallons d’eau que l’on emprunte et que l’on retourne quand ça fond au printemps. »

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Les ventilateurs produisent quatre ou cinq fois plus de neige que les perches. En début de saison, dans des conditions idéales, il faut environ trois semaines de travail pour ouvrir les premières pistes.

Selon le modèle retenu par Bromont, il faut entre 48 et 60 heures de fabrication pour enneiger une piste, selon la température. Mais quel est ce modèle, justement ? « Ça, c’est le secret de la Caramilk, nous répond M. Désourdy en rigolant. On vise une épaisseur d’à peu près 1 mètre de neige, c’est pour ça qu’on arrive à conserver de belles conditions. »

Pour mieux comprendre, on s’est hasardé à lui demander quelle distance on pourrait franchir si l’on mettait bout à bout toutes les pistes enneigées à Bromont chaque hiver. On ainsi piqué la curiosité de l’ingénieur de formation, qui s’est immédiatement emparé de sa calculatrice : « Avec environ 25 m de large, sur 1 m de profondeur, on arrive à... 89 km ! » Oui, de quoi se rendre du pied des pentes de Bromont jusqu’au sommet du mont Royal !

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C’est quand le mercure chute que la neige artificielle donne sa pleine mesure.

Toute cette neige est propulsée sur les pistes par les quelque 1500 perches installées un peu partout sur les cinq versants de la station. On multiplie aussi l’installation de ventilateurs – 31 ont été ajoutés cette année, ce qui porte leur nombre à 68. Ces derniers sont plus chers à l’achat – 75 000 $ pièce –, mais beaucoup plus efficaces, car leur technologie ne nécessite pas d’air comprimé, et on peut aussi les contrôler à distance. « Un ventilateur peut produire environ quatre ou cinq fois de plus de neige qu’une perche avec la même quantité d’eau », souligne Pierre Amyot.

Les perches aussi sont plus efficaces qu’il y a 20 ans : « On parle de canons qui utilisent la pression d’eau pour réduire la taille des gouttelettes, ça prend donc moins d’air comprimé pour les fractionner encore davantage, elles restent ainsi plus longtemps en suspension, explique de son côté Charles Désourdy. Avec un compresseur qui faisait fonctionner autrefois peut-être 3 canons, on peut aujourd’hui en alimenter 15. »

  • Marco Bernard, superviseur à l’entretien des pistes, travaille à Bromont depuis 34 ans.

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    Marco Bernard, superviseur à l’entretien des pistes, travaille à Bromont depuis 34 ans.

  • Deux dameuses sont équipées de profondimètres en temps réel.

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    Deux dameuses sont équipées de profondimètres en temps réel.

  • Il faut près d’une semaine pour aménager une piste, de l’enneigement au surfaçage.

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    Il faut près d’une semaine pour aménager une piste, de l’enneigement au surfaçage.

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Le bal des dameuses

Une fois la neige sur les pistes, les dameuses entrent en scène. Il y en a neuf à Bromont, dont deux équipées de treuils et de 1200 m de câble d’acier qui leur permettent de s’accrocher à des socles fixés au sommet des pentes les plus abruptes. Deux autres sont munies de capteurs qui permettent de connaître en temps réel la profondeur de la neige qui se trouve sous leurs chenilles. « Avant ça, les gars faisaient des vérifications à l’aide d’une grande perche qu’ils plantaient dans la neige », explique Mario Bernard en nous montrant l’écran de son impressionnante machine. « C’est comme ça qu’on déterminait où faire de la neige. Maintenant, on prend la neige où il y en a et on la pousse où il en manque, ce qui fait que l’on économise beaucoup. En trois ans et demi, on a rentabilisé notre système, acheté il y a cinq ans. »

Des relevés topographiques précis sont enregistrés l’été quand on taille les herbes hautes, les données sont ensuite envoyées dans un répertoire en ligne. « Partout où il y a du bleu, j’ai 12 pi de neige et plus, nous indique le superviseur. Quand on tombe sur du vert, j’ai à peu près 3 ou 4 pi de neige puis quand c’est jaune, j’en ai environ 2 pi. »

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La manette multifonctions des nouvelles dameuses

Les dameuses comme telles sont de fascinantes machines. Le levier des commandes compte 32 fonctions distinctes qui contrôlent la lame avant et la fraise arrière, qui peuvent être positionnées en fonction des conditions de piste – on peut même reconditionner la surface en ajoutant une herse pour concasser la glace profonde après d’importants redoux ou de fortes pluies.

J’ai à peu près 20 opérateurs de dameuses, le plus souvent, il s’agit de gens qui ont un passé d’opérateur de machinerie lourde ou agricole. Quelqu’un qui n’a jamais touché ça, ça doit prendre de 40 à 50 heures à former.

Marco Bernard, superviseur à l’entretien des pistes à Bromont

« Mais pour faire un bon dameur, ça prend au moins trois ans, ajoute-t-il. Justement, dans la piste voisine, j’ai remarqué qu’il y avait une coche entre deux passages de dameuses et ça, c’est inacceptable. Je vais d’ailleurs en parler à mes gars, ce soir, pour qu’ils fassent attention à leurs chevauchements. »

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À plein rendement, 400 des quelque 1500 perches et ventilateurs de Bromont, montagne d’expériences peuvent fonctionner en même temps.

« Tous les ans, le premier point du budget est l’investissement dans le système d’enneigement, confie en terminant Charles Désourdy. Ça ne veut pas dire que c’est toujours le plus gros poste budgétaire, mais il y a tous les ans des investissements à faire pour la neige. Quand je suis arrivé en poste, en 1998, la fabrication de neige dans l’industrie, c’était une assurance. Moi, j’ai dit : “Non, ça va être une garantie”. C’est plate à dire comme ça, mais pour Bromont, le réchauffement climatique n’est pas une menace, c’est une opportunité. »

Quand on sait que la période des Fêtes est la plus achalandée dans les centres de ski du Québec, on comprend en effet l’importance d’offrir rapidement des conditions convenables. Et cela passe plus que jamais par un système d’enneigement performant.

En savoir plus
  • 100 millions
    C’est la somme investie dans le système d’enneigement et d’entretien des pistes à Bromont depuis 20 ans.
    Source : Bromont, montagne d’expériences
    1 milliard
    C’est le volume approximatif d’eau pompé de la rivière Yamaska chaque année pour alimenter le système d’enneigement de la station de ski de Bromont. Évidemment, à la fonte des neiges, cette eau retourne naturellement à la rivière.
    Source : Bromont, montagne d’expériences