Il faut aller sur la Côte-Nord pour prendre toute la mesure de l’immensité du Québec. La région qui s’étend au-delà du fjord du Saguenay est incroyablement vaste et se conjugue au fil de la route 138, ruban d’asphalte qui rime plus que tout autre avec road trip. Voyage entre terre et mer.
Visités par les touristes qui accourent chaque année pour aller à la rencontre des baleines, Tadoussac et Les Escoumins se veulent en quelque sorte le sas de la Côte-Nord, zone transitoire qui fait le pont avec la région de Charlevoix voisine. C’est autour de Forestville que l’on prend pleinement conscience de la nature et de la portée du voyage qui nous amènera à plus de 1100 km de Montréal.
Les délices de Michèle
C’est en traversant la rivière Betsiamites que l’on pénètre dans la MRC de Manicouagan, mais on peut s’arrêter juste avant, à Colombier, où se trouvent l’atelier et la boutique Confiserie Boréale, qui fabrique Les délices de Michèle. C’est en fait l’une des deux antennes de cette dynamique PME démarrée en 1996 par Michèle Beaulieu et Claude Côté, la boutique originale ayant pignon sur rue dans le secteur Hauterive de Baie-Comeau. « On fait toutefois beaucoup de place aux producteurs du Québec, nous explique Claude Côté. Et pour nos propres produits, on connaît des producteurs à Port-Cartier, à Longue-Rive ou à Blanc-Sablon. » On remarquera pendant tout le voyage la belle solidarité qui existe entre les producteurs nord-côtiers, qui mettent plus que jamais en valeur l’unique terroir de leur région. On fait donc quelques provisions avant de reprendre la route — les tartinades à la chicouté et aux airelles rouges sont incontournables.
Microbrasserie St-Pancrace
Dans un précédent voyage sur la Côte-Nord, des commerçants voisins nous avaient confié être dubitatifs face à l’ouverture prochaine d’une brasserie artisanale à Baie-Comeau. Huit ans plus tard, la microbrasserie St-Pancrace est devenue une référence au Québec. La microbrasserie a maintenant son usine et sa boutique, mais il faut aussi arrêter au pub pour goûter le menu — le burger préparé avec le bœuf mariné et assaisonné par la boucherie locale Les Trois Petits Cochons est franchement savoureux. On s’en voudrait aussi de passer sous silence la carte de cocktails, préparée par le sommelier Anthony Fournier, revenu dans son patelin pendant la pandémie après avoir fait ses classes à Québec, chez Cendrillon, et à Montréal, au Darling, notamment. « La propriétaire Karine Savard m’a engagé pour amener des vins nature au St-Pancrace, mais aussi pour actualiser le bar, nous explique le jeune barman. Pour moi, ça passait par une gamme de cocktails en symbiose avec les classiques, mais avec une facture nord-côtière. » La carte fait ainsi une belle place aux spiritueux de la distillerie Vent du Nord, présents aussi dans les très originaux cocktails à la bière.
Chez Nat et Marina
La randonnée jusqu’aux chutes Manitou vous a creusé l’appétit ? Tenez bon jusqu’à Longue-Pointe-de-Mingan, car il est impératif de faire la pause à la cantine Nat et au bar laitier Chez Marina, installés dans la même bâtisse à l’entrée du village. La guédille au crabe préparée par Lucie Jomphe est généreusement garnie et les frites sont bien croustillantes. Quant à la coupe glacée servie par la propriétaire Claudine Girard, on hésite entre celles au coulis maison de chicouté ou d’airelles rouges. Une à l’aller et l’autre au retour ? Pourquoi pas !
Coup d’œil à la culture innue
Escale chaudement recommandée par Claudine Girard, de Chez Marina, la Maison de la culture innue de Mingan vaut en effet le détour. Tous les thèmes abordés dans le joli musée ont été développés de concert avec la communauté d’Ekuanitshit : « On a demandé aux gens ce qu’ils voulaient montrer ou pas, explique l’agente culturelle Lydia Mestokosho-Paradis. On voulait bien sûr montrer le passé, mais aussi le présent, car ce qui arrive souvent avec les musées est que le public pense que tout est ancien, que l’on n’est plus vivants. » C’est ainsi que l’endroit est non seulement destiné aux visiteurs, mais aussi aux gens de la communauté innue. « On veut valoriser le travail de nos artisans et de nos artistes, soutient Mme Mestokosho-Paradis. C’est particulièrement pertinent pour les jeunes de la communauté qui ont des questionnements et qui n’ont pas la chance d’avoir des grands-parents ici. »
Distillerie Puyjalon
De retour à Havre-Saint-Pierre, il faut faire un saut à la distillerie Puyjalon, première distillerie nord-côtière, ouverte en 2019. Son gin Betchwan a été décoré à maintes reprises. C’est certainement dû à son goût parfumé aux aromates nordiques, encore une fois ici bien présents. « Aussitôt qu’on a eu notre permis de distillation, on a commencé à faire nos recettes, nous dit le propriétaire, Mario Noël. Au bout de la 44e, on avait quelque chose qui se tenait. » Aussi, bien que le gin soit élaboré à partir d’un alcool neutre acheté en Ontario, il est redistillé avec l’eau du réseau municipal puisée juste à côté de la distillerie. « L’eau de la région a une belle charge en minéraux, ce qui donne une couleur intéressante à nos spiritueux », affirme Mario Noël. Cette caractéristique se transpose aussi à la vodka Niapiskau, et ce sera de même avec deux nouveaux produits en cours d’élaboration, l’acérum et le whiskey, qu’on ambitionne de faire mûrir avec de la tourbe locale. L’hyperactif entrepreneur, déjà à l’étroit dans son usine actuelle, cherche de nouveaux locaux qui pourraient aussi accueillir quelques cuves de bière, car l’ouverture d’un bistro-brasserie est aussi dans les cartons.
Chez Julie
Établi depuis 1977, le restaurant Chez Julie se passe de présentation. C’est ici qu’a été inventée la pizza aux fruits de mer — on la sert encore et elle est délicieuse. « C’est un vieux diner des années 1970, explique en riant Théoharris Ganas, qui a pris la relève de ses parents, il y a 11 ans. Mais étant donné que l’on est au bout de la route et que je dois préparer mon été, je pense être actuellement l’un des restaurants avec le plus grand stock de poissons et de fruits de mer en Amérique du Nord. » Il tient aussi à s’approvisionner auprès des usines de transformation locales, même si les prix sont parfois moins élevés dans les grossistes de Montréal ou de Boston… Bref, on ne change pas une formule gagnante, ce qui n’empêche pas Théo d’innover avec l’arrivée de Chez Julie Boutique du terroir, qui vient d’ouvrir sur la promenade des Anciens, face au rivage. « On va y vendre quelques-uns de nos produits comme nos pizzas fraîches et congelées, nous apprend-il. On va aussi proposer les produits du Fumoir Le Goynish, d’Aguanish, le café torréfié au Manoir du Café, à Baie-Comeau, ou les produits récoltés par De baies et de sève, à Natashquan. On va offrir une très belle gamme de produits. »