Ensemble, ils évoquent des moments forts de l'architecture du XXe siècle. Isolément, ce sont des icônes de l'architecture moderne qui jouissent d'une reconnaissance internationale. Les visiter donne l'occasion de comprendre les idéaux humanitaires d'architectes et de maires français dont les efforts visaient à donner du bon et du beau à une population qui vivait dans des conditions miséreuses. Encore largement utilisées aujourd'hui, ces «utopies réalisées» sont en train de devenir une attraction touristique.

La Cité des États-Unis, de Tony Garnier

Ce vaste ensemble de 1500 logements sociaux, situé dans le 8e arrondissement de Lyon, a été conçu par l'architecte Tony Garnier, au début du XXe siècle. Son nom, Cité des États-Unis, rappelle que la construction a commencé en 1917, l'année de l'entrée en guerre des Américains contre l'Allemagne. Quand on visite l'appartement témoin, remis dans l'état qui était le sien dans les années 1930, on est frappé par sa modernité. Une famille pourrait très bien y vivre aujourd'hui.

Construits pour des ouvriers qui quittaient des conditions de logement misérables, ces appartements leur donnaient accès pour la première fois à des commodités élémentaires maintenant considérées comme essentielles: l'eau courante, l'eau chaude, les toilettes, la baignoire ou la douche, l'électricité et le gaz. Tony Garnier était un utopiste pratique qui a su traiter les familles ouvrières comme des reines!

Quand il a été question, dans les années 1980, de démolir les immeubles de la cité devenus vétustes par manque d'entretien, les résidants, souvent issus des familles qui s'y étaient installées dans les années 1920 et 1930, ont réclamé la réhabilitation de leur quartier. Et ils ont bouclé la boucle de l'utopie en s'associant avec les muralistes lyonnais de Cité Création pour créer le Musée Tony Garnier, principalement composé de gigantesques fresques murales qui ornent les murs de leurs immeubles. En passant, ce sont les mêmes muralistes qui ont dessiné des scènes de la vie urbaine sur les murs du Vieux-Québec.

Photo: Marc Doré, La Presse

À la Cité de Tony Garnier, à Lyon, on peut visiter, sous la forme de fresques murales, un curieux musée consacré aux utopies non construites de l'architecte.

Le quartier des Gratte-ciel, de Môrice Leroux

Villeurbanne est une ville ouvrière de l'agglomération de Lyon qui a toujours résisté aux tentatives d'annexion de la ville centre. Son maire dans les années 1920 et 1930 a décidé de construire un centre-ville à l'américaine sur un site de taudis démolis. Le quartier des Gratte-ciel comprend 1450 logements, en partie sociaux, des équipements publics (hôtel de ville, dispensaire, chauffage central) et des commerces.

Le modèle est américain tant par sa forme (des édifices en hauteur d'une vingtaine d'étages) que dans ses méthodes constructives (une structure d'acier alors pratiquement inexistante en France où on privilégiait le béton). L'ensemble a une allure de petit Manhattan, qui détonne un peu sur les bords du Rhône. Pour un Montréalais, cette cité ressemble un peu, dans son intention, à l'ancienne municipalité de Maisonneuve, elle aussi ville née de l'utopie, mais absorbée par Montréal après la Première Guerre.

Photo: Marc Doré, La Presse

Le quartier des Gratte-ciel, le grand ensemble de Villeurbanne a des allures de petit Manhattan.

Le couvent de La Tourette, de Le Corbusier

Au couvent des frères dominicains de Notre-Dame de La Tourette, à Éveux, on entre dans l'univers de Le Corbusier, considéré comme l'un des grands maîtres de l'architecture du XXe siècle. Certains le portent aux nues pour son oeuvre, d'autres le détestent pour ce qu'il a laissé traîner dans le paysage.

La Tourette est une réalisation majeure de Le Corbusier, même si l'art religieux demeure marginal dans l'oeuvre de l'architecte. Imaginez un vaste assemblage de cubes de divers formats en béton brut, hissés sur des pilotis qui les détachent du sol, et dont la juxtaposition définit les fonctions qui correspondent aux différentes activités des occupants: méditation, étude, habitation, circulation, prière.

Imaginez du béton à l'intérieur et à l'extérieur, mais de la lumière aussi, beaucoup de lumière qu'on se serait ingénié à faire entrer par les ouvertures les plus inattendues quant à leur forme et à leur emplacement. Et imaginez cet assemblage résolument moderne, massif, industriel même, posé sur une verte colline surplombant une indolente vallée de la campagne française. Et ça ne jure même pas!

Photo: Marc Doré, La Presse

Le Couvent de La Tourette par Le Corbusier

Le site Le Corbusier de Firminy-Vert

C'est encore un maire dynamique soucieux de justice sociale qui est à l'origine de la deuxième plus grande concentration au monde d'oeuvres de Le Corbusier. Tout de suite après la grandiose capitale indienne de Chandigarh, c'est dans une petite commune ouvrière des environs de Saint-Étienne que Le Corbusier, avec d'autres architectes modernes, a conçu et mis en marche dans le cadre d'un nouveau quartier nommé Firminy-Vert un ensemble civique constitué d'une Maison de la culture, un stade, une piscine et une église ainsi qu'une Unité d'habitation, sorte d'immense paquebot de 20 étages flottant grâce à ses pilotis massifs sur le sommet d'une verte butte comme sur les vagues. Avec ses 414 appartements traversants, ses rues commerciales intérieures et son école maternelle sur le toit, l'Unité était conçue comme une véritable ville.

Sa réalité a été tout autre. Des cinq bâtiments prévus, seule la Maison de la culture était à peu près terminée quand Le Corbusier est mort subitement en 1965. Les autres ont été achevés par ses collaborateurs. Le dernier en date, l'église, n'a été terminé qu'en 2006! Il y a d'ailleurs une controverse sur l'identité du véritable architecte de ce bâtiment, controverse qui contribue à alimenter son intérêt.

Photo: Marc Doré, La Presse

L'Unité d'habitation de Firminy, la plus grande des cinq construites par Le Corbusier. Ces grands bâtiments (celui-ci avait plus de 400 appartements) étaient conçus comme de véritables villages, avec rue commerciale, espaces publics et même une maternelle sur le toit.

La Cité des étoiles de Jean Renaudie

C'est à la toute fin de la période dite moderne, entre 1974 et 1981, que l'architecte Renaudie, un proche du Parti communiste français, a construit sur l'emplacement d'un ancien quartier de taudis, situé au coeur de cette petite commune près de Lyon, un ensemble qui comprend 370 logements sociaux et en copropriété, ainsi que des commerces et équipements publics (bibliothèque, poste de police).

Cet ensemble en terrasses superposées adossé à une muraille de pierre a les allures familières d'un Habitat 67 qui serait construit au centre-ville, appuyé sur le mont Royal. Après des débuts un peu chaotiques (par exemple, on s'est rendu compte que le poste de police, coincé au centre de cette architecture en forme d'étoiles superposées, pouvait être bloqué par deux petites barricades judicieusement installées; la police a déménagé...), l'état fleuri et propre des lieux laisse croire que le pari de la mixité sociale a été gagné.

Liens utiles

La Cité des États-Unis

www.museeurbaintonygarnier.com

Les Gratte-ciel de Villeurbanne

http://patrimoine-xx.culture.gouv.fr/pages/res_gratteciel_villeurbanne.html

Le couvent de La Tourette

www.couventlatourette.com

Site Le Corbusier de Firminy-Vert

www.sitelecorbusier.com

La Cité des Étoiles de Givors

www.otfleuvegivorsgrigny.fr

Les artistes de Cité Création

www.cite-creation.com

Photo: Marc Doré, La Presse

Construite à la fin des années1970, la Cité des Étoiles de Givors présente une certaine parenté avec Habitat 67.