Après trois années chaotiques, 2023 s’annonce pour le monde du voyage comme une année… « normale ». Une perspective réjouissante pour l’industrie et les voyageurs, qui ont quand même tiré quelques leçons des grands bouleversements des derniers mois.

Partir sans s’arracher les cheveux pour obtenir son passeport, effectuer dans les délais un test de dépistage, remplir le bon formulaire ni craindre de voir son vol annulé à la dernière minute ou sa valise disparaître à jamais... Certains l’ont oublié, mais voyager n’a pas toujours été un casse-tête. Et c’est cette sérénité que les voyageurs devraient retrouver l’an prochain, prévoit Philippe Blain, vice-président, voyages, à CAA-Québec.

PHOTO FOURNIE PAR PHILIPPE BLAIN

Philippe Blain, vice-président, voyages, à CAA-Québec

Je vois 2023 comme une année normale, où les gens vont pouvoir voyager avec une plus grande paix d’esprit, et faire vraiment les voyages qu’ils souhaitent faire.

Philippe Blain, vice-président, voyages, à CAA-Québec

L’appétit des voyageurs est vorace depuis la fin des restrictions sanitaires. L’été dernier, les gouvernements et l’industrie ont même été pris de court. Retards et annulations de vols ont alors semé le désordre partout sur la planète. Mais les choses ont fini par se placer, avec de nouvelles embauches. La « machine » fonctionne un peu mieux chaque semaine, constate M. Blain.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Des gens faisaient la queue devant le complexe Guy-Favreau, en juin dernier à Montréal, dans l’espoir d’obtenir un passeport. L’ampleur de la reprise des voyages a pris de court les gouvernements et l’industrie l’été dernier, un peu partout dans le monde.

Les voyageurs, en tout cas, semblent confiants : à CAA-Québec, les ventes pour l’Europe l’été prochain sont fortement en avance par rapport à celles observées à la même époque en 2019. Au point où l’agence de voyages s’attend à retrouver dès l’an prochain son niveau d’activité prépandémique. « C’est ce qu’on voit sur nos radars, mais on reste prudents avec nos prévisions », précise Philippe Blain.

L’inflation, le risque d’une récession et la guerre qui se prolonge en Ukraine, par exemple, pourraient bien sûr gâcher la fête. Mais ces menaces n’ont aucune commune mesure avec la paralysie totale provoquée par la COVID-19 : « Les enjeux économiques ou géopolitiques, on est habitués à y faire face », rappelle M. Blain.

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À CAA-Québec, les ventes pour l’Europe l’été prochain sont fortement en avance par rapport à celles observées à la même époque en 2019.

L’optimisme semble de mise dans le voyage, malgré l’incertitude économique. Une étude du groupe Expedia révèle que la plupart des professionnels « s’attendent à ce que les voyages à des fins personnelles (71 %) et d’affaires (70 %) reviennent à des niveaux prépandémiques d’ici deux ans ».

PHOTO KARINE LAZURE, FOURNIE PAR MARC-OLIVIER GAGNÉ

Marc-Olivier Gagné, directeur chez Voyages Gendron

Depuis juin, on est en avance chaque mois sur nos ventes de 2019, même si les prix montent. Pour l’instant, les gens sont quand même prêts à dépenser.

Marc-Olivier Gagné, directeur chez Voyages Gendron

N’empêche, certains signes laissent croire que les Québécois gardent un œil sur leur portefeuille même quand il est question de tourisme. Dans une enquête menée par Évènements Attractions Québec, Aventure Écotourisme Québec et l’Association des parcs régionaux du Québec, 55 % des répondants entendent modifier leur pratique du plein air cet hiver en raison du coût de la vie, notamment en réduisant leur budget consacré aux activités extérieures payantes.

Ce qui a changé… ou pas

Un retour à la « normale » ne signifie pas que tout est resté inchangé depuis trois ans. Échaudés par les restrictions, les vacanciers n’hésitent plus par exemple à acheter une assurance annulation et interruption ou médicale. Et ils cherchent davantage le soutien des professionnels, des « alliés » en cas de pépins, résume Philippe Blain, de CAA-Québec. Les agents de voyages sont même souvent débordés par la demande... mais les choses rentrent là aussi dans l’ordre, observe Marc-Olivier Gagné, de Voyages Gendron.

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Des citoyens manifestaient contre la venue d’un navire de croisière dans la lagune de Venise, en juin 2021. Les voyageurs sont davantage conscients des impacts de leurs choix, pense Isabelle Pécheux, fondatrice de Passion terre, un service-conseil en tourisme durable.

En revanche, la réflexion sur le surtourisme ou l’empreinte de carbone des voyages, favorisée par la pause pandémique, semble se noyer un peu dans l’enthousiasme de la reprise. L’achat de crédits pour compenser les émissions de carbone d’un voyage reste extrêmement « marginal », dit le CAA-Québec. De septembre 2021 à août 2022, à peine 300 clients de Voyages Gendron ont versé au total 1500 $ pour planter 295 arbres. Le chiffre d’affaires de l’entreprise de Salaberry-de-Valleyfield tourne pourtant autour de 40 millions. « Mais on remarque que les croisières, ça décolle moins vite. C’est peut-être lié au côté moins vert de cette industrie », dit Marc-Olivier Gagné, directeur chez Voyages Gendron.

Les voyageurs sont davantage conscients des impacts de leurs choix, pense Isabelle Pécheux, fondatrice de Passion terre, une agence d’écotourisme devenue un service-conseil en tourisme durable pendant la pandémie. « On parle partout de durabilité, observe-t-elle. On ne peut plus dire : je n’étais pas au courant. On voit encore des choses aberrantes, mais ça bouge », dit-elle en évoquant l’évolution des mentalités quant au respect des populations locales, le tourisme de proximité, etc. « Et ici, lance-t-elle, on recommence enfin à parler du train ! »

Une affaire de temps

En gros, les entreprises touristiques veulent se transformer et proposer davantage de produits verts, mais elles ont besoin de temps.

Du temps, les voyageurs devront aussi en laisser à des destinations davantage touchées par la fermeture des frontières. À Cuba, par exemple, l’absence des touristes a mis l’économie à genoux. « Ça nous préoccupe, le niveau de service est affecté, notamment pour la qualité de la nourriture, mais les gens qui choisissent d’y aller sont assez au courant », observe Philippe Blain.

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La période des Fêtes dira si l’industrie du voyage est prête à faire face au plus fort achalandage en trois ans.

Les voyageurs devraient-ils aussi prévoir plus de temps à l’aéroport si leur prochain départ est prévu pour les Fêtes ? « Ce sera le premier vrai test pour l’industrie, dit Phillipe Blain, de CAA-Québec. Elle n’était vraiment pas prête l’été dernier, mais je pense qu’elle va être capable de faire face au plus fort achalandage en trois ans. Ça sera de très bon augure pour la suite. »

Vive reprise au pays

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Cet hiver, 24 % des Québécois feront probablement du traîneau à chien, selon une enquête menée par Évènements Attractions Québec, Aventure Écotourisme Québec et l’Association des parcs régionaux du Québec.

Au Canada, devant la force de la reprise du tourisme, la cible pour un rattrapage complet par rapport à 2019 a été ramenée à 2024, soit un an plus tôt que ce qui était prévu le printemps dernier, a fait savoir en novembre Destination Canada. Le tourisme intérieur atteindra son niveau d’avant la pandémie dès 2023, prévoit la société d’État, mais les touristes en provenance des États-Unis et du reste du monde se font toujours désirer. Tourisme Montréal s’attend aussi à de bons chiffres en 2023, avec 9,5 millions de visiteurs, notamment grâce à d’importants congrès. Il manquera toutefois encore 1,5 million de touristes pour retrouver les 11 millions de visiteurs de 2019. Aventure Écotourisme Québec, un regroupement de 215 entreprises spécialisées dans le plein air, compte pour sa part sur un retour « massif » de voyageurs européens l’été prochain. « On reste très positifs pour 2023, même si on ne pense pas atteindre le niveau de 2019, dit le directeur général, Pierre Gaudreault. Les Québécois ont pris la relève ces dernières années, mais ils dépensent moins que la clientèle internationale. »

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  • + 279,7 %
    En septembre dernier, le nombre de voyages de retour de l’étranger effectués par des résidants canadiens s’est élevé à 2 993 624, ce qui représente près de quatre fois (+ 279,7 %) le nombre enregistré en septembre 2021 et 66,3 % du niveau atteint en septembre 2019.
    Source : Statistique Canada
    696 000
    En 2019, le tourisme générait plus d’emplois directs (696 000) à l’échelle du Canada que l’agriculture, l’exploitation forestière, l’industrie de la pêche, l’exploitation minière, l’exploitation en carrière et l’industrie pétrolière et gazière réunies (620 140 emplois directs).
    Source : Destination Canada