Le jeu vidéo est un des fleurons économiques du Québec moderne: haute technologie, créativité artistique, reconnaissance internationale, tout y est. Y compris la précarité d'emploi. Car malgré un système d'éducation sur mesure, qui forme des travailleurs au goût des employeurs, les jeunes professionnels sont à la merci de multinationales étrangères qui leur refusent des conditions de travail normales.

C'est l'éducation au Québec en 2012. C'est aussi une mode largement répandue dans les pays industrialisés, note Guy Rocher, sociologue et professeur à l'Université de Montréal. «C'est une pratique qui remonte à la Seconde Guerre mondiale: l'éducation doit se brancher sur le marché du travail.» Dans l'économie du savoir du Québec et des pays industrialisés, c'est un lien qui est d'ailleurs appelé à se renforcer, note ce chercheur du Centre de recherche en droit public.

Conséquence: les éléments de ce qui, normalement, devrait constituer une formation généraliste deviennent graduellement des spécialités séparées, vouées à des professions bien définies. Si cela plaît aux employeurs, c'est plus risqué pour les futurs travailleurs, notamment dans les technologies.

Certains professionnels du jeu vidéo peuvent en témoigner. Ils sont aux prises avec des conditions de travail accablantes, même si on compte 7000 professionnels au Québec pour 9000 emplois. Ce nombre de postes pourrait doubler et atteindre 14 000 d'ici cinq ans.

Plusieurs des jeunes professionnels qui arrivent actuellement des cégeps et universités du Québec ne réussissent pourtant pas à obtenir d'emploi permanent, car les contrats d'embauche sont conçus de manière à les en empêcher.

«On signe un contrat d'un an dans lequel il est précisé qu'on ne pourra postuler pour un autre poste au sein de l'entreprise pendant les trois mois suivant la fin du contrat. Trois mois plus tard, ils nous rappellent et nous offrent le même contrat, explique un jeune employé qui travaille pour Electronic Arts (EA), à Montréal. On nous dit que c'est comme ça que ça fonctionne, alors on n'a pas trop le choix.»

Les travailleurs mécontents peuvent évidemment changer d'employeur, mais les conditions ne sont guère meilleures ailleurs. Et après avoir investi deux ou trois ans de sa vie dans une formation spécialisée, il est plus difficile de renoncer à son choix de carrière. Même si c'est pour s'assurer une certaine sécurité d'emploi.

Cela dit, EA n'est pas l'employeur le plus réputé de son industrie: l'éditeur américain vient de remporter le titre de la pire entreprise en Amérique pour 2012, remis par The Consumerist, publication américaine réputée pour sa position pro-citoyenne. Pas surprenant, vu les conditions de travail offertes...

Des conditions qui sont non seulement financées à 37,5% par un crédit d'impôt provincial, mais qui, de plus, sont offertes à de jeunes travailleurs qui ont passé les dernières années de leur formation scolaire à se faire promettre un emploi de rêve.

S'ils ont à payer davantage pour leur propre éducation, ces futurs travailleurs devraient être en droit de revoir la façon dont elle leur est offerte. Car à trop vouloir former des professionnels, le système éducatif semble négliger une culture plus générale qui leur serait plus bénéfique. «Pour le moment, c'est l'utilitarisme qui l'emporte sur l'humanisme, mais ça peut changer si les étudiants s'imposent», conclut le professeur Guy Rocher.