S'il le désirait, le Canada pourrait couper toute communication par internet sur son territoire. En cas de menace de cyberattaque, est-ce une mesure qui devrait être mise en place? C'est la question délicate que se posent les experts alors que le contrôle qu'exercent des pays comme l'Égypte sur leur propre réseau informatique fait craindre le pire aux groupes de défense de la liberté d'expression.

«La Loi sur les mesures de guerre et d'autres mesures d'urgence donnent au gouvernement le droit de couper toute communication par internet», constate Bill St-Arnaud, ancien directeur du réseau Canarie et actuellement consultant informatique indépendant à Ottawa. «Vu le manque de concurrence dans le secteur canadien des télécommunications, ce serait très facile d'ordonner la fin de toute communication. Les télécoms en Égypte sont beaucoup plus concurrentielles qu'ici, et regardez comment ç'a été facile de le faire, là-bas.»

Cette réflexion survient alors que, aux États-Unis, un projet de loi qui donnerait au président le pouvoir de couper son pays du reste du réseau internet retourne devant le Congrès. Drôle de hasard, il a réapparu le jour même où, en Égypte, le régime Moubarak tentait d'étouffer la révolte populaire en bloquant tout accès à internet sur son territoire.

Initialement mis à l'étude en juin dernier, ce projet de loi conférerait au président le pouvoir de couper toute communication par internet en cas de crise majeure, par exemple une éventuelle cyberattaque contre le gouvernement ou contre le système financier américain.

Censure?

Les groupes de défense des libertés civiles n'ont pas tardé à associer les événements en Égypte au projet de «disjoncteur internet» de la sénatrice Susan Collins. Ils craignent qu'un tel outil ne serve à la censure. Ces groupes civils ont en mémoire le Patriot Act, qui autorise l'écoute des conversations téléphoniques sur le territoire américain depuis les attaques du 11 septembre 2001.

Dans son état actuel, le projet de disjoncteur est si vague qu'il «pourrait signifier la désactivation de toute communication qui passe par une partie de cette infrastructure, une communication vitale pour la liberté d'expression», a fait remarquer l'Electronic Frontier Foundation lors de la présentation de ce projet de loi. La semaine dernière, la sénatrice Collins a répondu aux critiques en disant que ce pouvoir ne serait pas comparable à ce qu'a fait l'Égypte.

Au Canada, la Loi sur les mesures de guerre date de 1914. La moderniser pour l'adapter aux nouvelles technologies n'est pas à l'ordre du jour et ne le sera sûrement pas avant qu'une quelconque cyberattaque ne se concrétise réellement, estime Hélène Joncas, directrice de la stratégie au réseau Canarie.

«De la même façon que les États-Unis n'ont pu prévoir les attaques du 11 septembre, il est difficile de prévoir une cyberattaque contre le Canada, dit-elle. Dans ce contexte, tant qu'il n'y aura pas d'attaque, je doute que le gouvernement se penche sur la question.» D'autant plus que, selon elle, les risques d'une cyberattaque contre le Canada sont plutôt minces, à l'heure actuelle.