Le récent suicide d'un jeune étudiant américain dont la vie sexuelle avait été exhibée sur internet illustre une nouvelle fois les risques de harcèlement sur la Toile. Et pose la question de la capacité des adolescents à distinguer la frontière entre la vie publique et vie privée à l'ère de Twitter et Facebook.

Ragots perfides ou petits actes de vengeance cantonnés jusque-là à la cour d'école ou à la cité universitaire peuvent maintenant faire le tour du monde via internet, photos et vidéos à l'appui.

La semaine dernière, Tyler Clementi, timide étudiant de première année de l'Université Rutgers, violoniste doué, s'est jeté du haut d'un pont. Son colocataire et un autre camarade de classe sont accusés d'avoir diffusé sur Internet quelques jours plus tôt des images le montrant ayant des relations sexuelles avec un autre homme. Les deux étudiants, poursuivis pour atteinte à la vie privée, risquent jusqu'à cinq ans d'emprisonnement.

Ce suicide a fortement choqué les défenseurs des droits des homosexuels, tout comme les autres étudiants du campus. «S'il avait été au lit avec une femme, ça ne serait pas arrivé», note Lauren Felton, 21 ans, étudiante à Rutgers. «Il ne se serait jamais retrouvé en ligne. Sa vie privée aurait été respectée et il serait toujours en vie».

Selon l'accusation, deux étudiants de 18 ans, Dharun Ravi, son colocataire, et Molly Wei, ont diffusé sur internet des images en direct du jeune homme lors d'un rapport sexuel le 19 septembre. Dharun Ravi a tenté de diffuser une autre rencontre le 21 septembre, la veille du suicide de l'étudiant.

Sur son compte Twitter, désormais fermé, Dharun Ravi avait posté un message le 19 septembre: «Le colocataire a demandé la chambre jusqu'à minuit. Je suis allé dans la chambre de Molly et j'ai allumé ma webcam. Je l'ai vu sortir avec un mec. Yay».

D'après Luanne Peterpaul, vice-présidente de l'association de défense des droits des homosexuels Garden State Equality, et ex-procureur du New Jersey, les autorités pourraient également poursuivre les suspects pour des chefs de «crimes de haine» si elles arrivent à établir que les suspects ont agi ainsi parce qu'ils pensaient que Steven Tyler était homosexuel.

«Nous engagerons tous les efforts pour établir si des préjugés ont joué un rôle dans cette affaire et si oui nous retiendrons les chefs appropriés», a assuré le procureur Bruce Kaplan.

L'agence de presse Associated Press a recensé au moins 12 cas de suicides d'enfants et ou adolescents de 11 à 18 ans aux États-Unis depuis 2003, tous victimes d'une forme de harcèlement sur le web ou via des SMS.

Gregory Jantz, fondateur de «A place of Hope», centre de soins psychiatriques basé à Seattle, estime que la majorité des jeunes qui utilisent le Web ne sont pas conscients du mal qu'ils font, vivant eux-mêmes dans un monde qui brouille les frontières entre les sphères publique et privée. «Nos enfants sont dans une zone différente désormais», juge-t-il.

Pour Parry Aftad, avocat du New Jersey responsable du site WiredSafety, des jeunes qui ne seraient pas capables de maltraiter quelqu'un en face le font sur Internet, profitant du semblant d'anonymat qu'il fournit. «Ils vont aussi se précipiter parce qu'ils ne veulent pas être la prochaine cible».