Même s’il avait déjà remporté les Internationaux des États-Unis et Wimbledon, on attendait encore de Carlos Alcaraz un triomphe à Roland-Garros. C’est maintenant chose faite, grâce à une victoire en cinq manches de 6-3, 2-6, 5-7, 6-1 et 6-2 contre Alexander Zverev, dimanche.

Malgré une ascension phénoménale et des accomplissements remarquables, c’est comme s’il manquait encore une ligne dans le curriculum vitæ d’Alcaraz. Aussi absurde que cela puisse paraître à 21 ans.

Depuis son arrivée sur le circuit, les comparaisons avec Rafael Nadal se font naturellement, en raison de leur intensité, de leur nationalité et surtout de leur adresse sur terre battue, la surface de prédilection du nouveau numéro deux mondial.

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Carlos Alcaraz jubile après avoir triomphé pour la première fois à Roland-Garros.

C’est pourquoi on attendait avec impatience un éventuel sacre à Roland-Garros. Comme on attend le couronnement d’un golfeur au Tournoi des Maîtres ou d’un pilote aux 500 milles d’Indianapolis. La quatrième fois aura été la bonne pour l’Espagnol.

Et il aura trimé dur pour finalement accomplir sa destinée. La finale s’est amorcée sur le court Philippe-Chatrier sous un soleil de plomb. Il s’est poursuivi sous un ombrage partiel, jusqu’à ce que seules quelques bribes de lumière illuminent la surface de jeu sablée.

Au bout de 4 h 19 min de jeu, Zverev, à bout de bras, a été incapable de retourner le coup droit croisé et appuyé de son rival. Une séquence à l’image de la dernière manche. Dans ce genre d’affrontement atteignant la limite, seul celui qui résiste à la douleur, à la fatigue et à ses démons peut survivre.

Zverev l’échappe

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Alexander Zverev occupe le quatrième rang au classement mondial.

Zverev, à l’instar de son autre finale en Grand Chelem en 2020 à New York, a manqué d’essence dans le réservoir pour finir avec le trophée entre les mains.

Lors de la dernière manche, il n’a converti aucune de ses cinq balles de bris. Et à elle seule, cette statistique pourrait expliquer pourquoi il a échoué dans sa mission de gagner un premier titre majeur. En complément, les jambes du quatrième joueur mondial n’ont pas résisté aux attaques variées d’Alcaraz, et l’énergie du désespoir n’a pas été suffisante pour redonner vie à l’Allemand.

Une décision controversée de l’arbitre de chaise pourrait aussi expliquer pourquoi le Zverev des quatre derniers jeux du match avait l’air complètement décontenancé.

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Alexander Zverev songeur…

Au quatrième jeu, Alcaraz menait 2-1, mais en arrachait au service. Comme ç’a été le cas pour une bonne partie du match, d’ailleurs. Pour la troisième fois de l’affrontement, l’Espagnol était coincé dans un jeu au service frôlant les 10 minutes. Il devait annuler deux balles de bris, à 15-40. Sur son deuxième service, une balle à première vue tombée à gauche de la ligne de centre a été jugée à l’intérieur par l’arbitre, descendu pour s’en assurer.

Zverev était tellement convaincu d’avoir brisé son adversaire qu’il célébrait en allant chercher sa serviette. Or, l’officiel avait jugé la trajectoire de la balle différemment, au grand désarroi du grand gaillard. Zverev, visiblement frustré de son sort, a échappé le jeu, et Alcaraz a fait 3-1.

On ne saura jamais où la balle a véritablement touché le sol, car Roland-Garros n’utilise pas la fameuse technologie Hawk-Eye pour juger de la trajectoire des balles. Chaque décision revient à l’arbitre en costard. Les décisions litigieuses ont été récurrentes depuis deux semaines.

Le match était alors plié, et Alcaraz n’a plus jamais regardé derrière.

Alcaraz au sommet

Cet incident n’invalide toutefois en rien le sacre d’Alcaraz. « Tu es un joueur qui a déjà sa place au Temple de la renommée. Tu es déjà un grand joueur », a lancé Zverev en direction de son tombeur après le match.

Cette finale chaudement disputée en a été une d’erreurs, d’inconstance et de déséquilibre.

Cette finale a été une bataille mentale avant d’en être une physique. Aucun des deux assaillants n’a été en contrôle du début à la fin. Il fallait donc survivre aux changements de rythme, au temps et à la lourdeur de l’enjeu.

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Carlos Alcaraz a un dossier de trois victoires et aucune défaite en finale de tournoi majeur.

Zverev a eu le dessus sur l’efficacité au service avec 73 % de première balle en jeu. Mais Alcaraz a eu le meilleur pour le nombre de points remportés sur le premier service avec 65 %. Les deux ont commis six doubles fautes. Puis, aucun d’entre eux n’a franchi la barre de 50 % en deuxième balle. Dans les deux cas, rien d’exceptionnel au service.

Ils ont chacun terminé le match avec un ratio négatif de points gagnants et de fautes directes. Le vaincu a obtenu 52 réussites, mais a failli 56 fois. Une donnée qui lui aurait sans doute fait perdre n’importe quelle autre finale de Grand Chelem.

La différence entre la victoire d’Alcaraz et la défaite de Zverev se trouve donc dans la faculté du premier artisan à varier, à provoquer et à se commettre jusqu’à la fin.

Dans la première portion du match, Alcaraz peinait en fins de manche. Lors des chapitres deux et trois, il s’est fait briser chaque fois à ses deux dernières séquences au service. Principalement parce que Zverev était l’attaquant. Son adversaire était forcé de changer son positionnement et ses patrons pour survivre, ce qui, ultimement, lui aura nui davantage.

Alcaraz a cependant repris le contrôle des échanges et du rythme au départ de la quatrième manche. Il a affaibli Zverev avec deux bris consécutifs, parce qu’il a choisi de revenir à ce qu’il sait faire de mieux, c’est-à-dire être lui-même en faisant voyager la balle dans tous les recoins du terrain.

Le joueur de 21 ans a utilisé tous les outils disponibles dans son coffre. Il a terminé le duel avec deux fois plus d’amortis et deux fois plus de lobs que son rival. Cette décision de changer l’allure des échanges ainsi que la profondeur et la puissance de ses balles l’aura sauvé. Le plus jeune joueur de l’histoire à atteindre une finale de Grand Chelem sur toutes les surfaces prouve qu’il partage avec les plus grands champions la faculté de pouvoir s’adapter en plein match et de résister nonobstant la férocité de la tempête.

Il a maintenant un dossier de trois victoires et aucune défaite en finale de tournoi majeur et une fiche de 11 victoires en 12 matchs lorsque ceux-ci se rendent en cinq manches.

En cinquième manche seulement, Alcaraz a réussi 13 coups gagnants, contre cinq seulement pour Zverev. Ce dernier était à la traîne de son adversaire. Et à la fin du match, pendant qu’il attendait sur son banc, Alcaraz célébrait avec les siens dans les gradins, en laissant derrière lui des grains de terre battue agissant comme pièces à conviction de son triomphe.