Il faudrait porter la plus fournie des moustaches cirées et le plus soigné des complets trois-pièces pour déterminer avec justesse qui sortira gagnant du tournoi masculin de Roland-Garros. Comme dans une enquête de Hercule Poirot, les candidats sont nombreux et les apparences parfois trompeuses. Qui sera le dernier joueur toujours en vie au bout de ce périple parisien ?

Il y a dans ce tableau 10 prétendants aux ambitions démesurées, à la confiance égratignée ou au corps amoché. C’est presque mission impossible, en ce début de quinzaine, d’énoncer avec certitude quelque prédiction que ce soit, tant ce tournoi est imprévisible. D’une certaine manière, c’est aussi ce qui le rend si attrayant.

L’ordre mondial a été bousculé dans les dernières semaines. Le nombre d’aspirants au titre est plus haut que jamais il ne l’a été en deux décennies.

Novak Djokovic ? Aucune finale en 2024 et deux défaites en deux matchs contre des joueurs du top 10.

Jannik Sinner ? Sans contredit le meilleur joueur depuis janvier, mais absent du circuit depuis le 30 avril en raison d’une blessure à la hanche.

Carlos Alcaraz ? Aucune finale sur terre battue en 2024. En plus, il est amoché depuis le début du printemps.

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Carlos Alcaraz lors du tournoi de Madrid, début mai

Jusqu’à présent, impossible d’arrêter son choix sur un seul des membres de cette triade.

Alexander Zverev ? Un triomphe au tournoi de Rome.

Daniil Medvedev ? A perdu deux finales prestigieuses, aux Internationaux d’Australie et à Indian Wells.

Andrey Rublev ? Un titre à Madrid.

Casper Ruud ? Une victoire à Barcelone.

Hubert Hurkacz ? Champion à Estoril.

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Le Polonais Hubert Hurkacz au tournoi de Rome, le 16 mai dernier

Stéfanos Tsitsipás ? Vainqueur à Monte-Carlo.

Tous des joueurs sur des séquences d’enfer.

Puis Grigor Dimitrov ? Trente-trois ans, mais finaliste à Miami et Marseille.

L’enquête promet d’être complexe jusqu’au bout.

Plein de gagnants possibles

Le plus embêtant dans cette quête de vérité, c’est de constater à quel point, depuis des semaines, plus aucune certitude ne tient.

À commencer par Djokovic, impuissant et visiblement ralenti depuis le tournant de la nouvelle année. Le gagnant en titre du tournoi, et le plus grand champion de son sport, qui plus est, est méconnaissable. L’œil du tigre semble s’être éteint.

Et sa capacité à toujours s’accrocher pour revenir plus fort et prendre le contrôle d’un match s’est évaporée. Quatre de ses cinq défaites cette saison se sont soldées en trois manches et plus, alors qu’auparavant, plus le match était long, plus Djoko était en mesure de faire souffrir ses adversaires.

Parlant de souffrance, Jannik Sinner se rétablit. Sa hanche a pris du mieux, assure-t-il. Mais il a hésité à prendre part au tournoi. En raison des changements de direction et de l’instabilité de la surface, revenir d’une blessure à la hanche sur terre battue est loin d’être optimal. Les espoirs sont fragiles, mais si Sinner survit, ça confirmera son statut de meilleur joueur au monde.

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Jannik Sinner

Celui qui deviendra assurément son plus grand rival, Carlos Alcaraz, s’est déjà assis sur le trône réservé au premier joueur du classement mondial. Dauphin pressenti de Rafael Nadal et nouvelle sensation légitime du tennis, le joueur le plus prometteur sur terre battue a perdu ses repères sur la surface qui l’a en quelque sorte mis au monde. Renaîtra-t-il de ses cendres dans cette foulée parisienne ? Rien n’est moins sûr. Une blessure au bras droit l’a brutalement ralenti et le jeune Espagnol tente toujours de retrouver la touche.

C’est pourquoi il est possible que l’éventuel élu soit issu du milieu de peloton. En fait, la génération sacrifiée de ces joueurs dans la fin vingtaine, arrivée dans l’ère du Big Three et rattrapée par les jeunes loups, pourrait vivre son heure de gloire.

Alexander Zverev retrouve sa place sur l’échiquier mondial. Il a été fumant à Rome. Andrey Rublev a tout détruit sur son passage à Madrid. Il était inébranlable. Casper Ruud, enfin en pleine possession de ses moyens, prouve chaque semaine qu’il est un des trois meilleurs joueurs de terre battue au monde. Puis Stéfanos Tsitsipás, de retour dans les discussions, peut battre n’importe qui un tournoi donné.

Le chant du cygne

Et pourquoi pas… Rafael Nadal ? Il est usé, il vieillit et il affrontera Alexander Zverev dès le premier tour. Il s’agira également de son dernier tour de piste à Roland-Garros, là où il a déjà gagné 14 fois.

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Rafael Nadal à l’entraînement

Mais Nadal, c’est Nadal. Et un chef dans sa propre cuisine peut faire des miracles même s’il manque d’ingrédients et d’ustensiles. Ses deux derniers tournois majeurs passeront à l’histoire comme des titres qu’il n’aurait pas dû gagner.

En Australie, en 2022, il avait de la difficulté à tenir debout. Il était blessé au haut et au bas du corps. Mais il a quand même triomphé dans une finale de plus de cinq heures face à Medvedev. À Roland-Garros, en 2022, son tableau était complexe lorsqu’il a battu Félix Auger-Aliassime, Novak Djokovic et Casper Ruud.

En résumé, tout est possible.

Parce que c’est Nadal, parce que c’est à Roland-Garros, et parce que seuls les héros savent partir de la bonne manière. Et il faut admettre que s’il était le dernier à tenir debout à la porte d’Auteuil, ce serait tout à fait digne des plus grands romans d’Agatha Christie.