Rafael Nadal a pris le trophée dans ses mains avant de le soulever au bout de ses bras sous les cris de la foule australienne. Sur son visage, un grand sourire de fierté qui ne s’estompait pas. « Je ne peux pas vraiment expliquer les sentiments que j’éprouve en ce moment, mais je vais faire de mon mieux pour revenir l’année prochaine. »

À 35 ans et après avoir surmonté plusieurs ennuis de santé, Nadal a vaincu Daniil Medvedev dans un match enlevant, électrisant, palpitant de cinq manches qui s’est étiré sur plus de cinq heures. Avec toute l’humilité qui le caractérise, l’Espagnol a établi le record masculin du plus grand nombre de victoires en Grand Chelem à 21, devançant le Serbe Novak Djokovic et le Suisse Roger Federer.

« Je ne sais même pas quoi dire, c’est juste incroyable, a-t-il lancé à la foule de Melbourne. Pour être honnête, il y a un mois, je ne savais pas si je serais capable de revenir sur le circuit pour jouer au tennis. Et aujourd’hui, je suis ici, devant vous, avec ce trophée avec moi. Vous ne savez pas à quel point je me suis battu pour arriver ici. »

Jusqu’à la toute fin, personne ne pouvait deviner lequel des deux joueurs se sauverait avec la victoire. Nadal, qui a échappé les deux premiers sets, a complété sa remontée sous les regards de centaines de milliers d’amateurs de tennis qui retenaient leur souffle.

« C’était un match de légende, encore une fois », laisse entendre Guillaume Marx, directeur de la performance chez Tennis Canada, joint au téléphone par La Presse.

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Guillaume Marx, directeur de la performance chez Tennis Canada

« [Nadal] est vraiment un sportif qui banalise l’extraordinaire, ajoute-t-il. C’est ça qui est incroyable. Je pense que c’est vraiment cette force de l’habitude de ne jamais lâcher. Il n’a jamais lâché dans sa carrière de tennis depuis la première fois qu’il a frappé un coup droit, un revers, depuis qu’il a joué un match. »

Selon Valérie Tétreault, ex-joueuse, directrice des communications à Tennis Canada et analyste à TVA Sports, c’est en grande partie l’expérience de Nadal qui aura eu raison de Medvedev.

« On dit toujours que le tennis, ça se gagne à 80 % dans la tête. Pour lui, c’est peut-être même à 90 %, évoque-t-elle. […] On dirait que peu importe dans quelle situation il se retrouve pendant un match, il est toujours un peu en terrain connu. Il a des références, ce que d’autres joueurs aussi bons que Medvedev n’ont pas nécessairement à ce stade-ci de leur carrière. »

Le grand débat

Avec cette victoire, Nadal a réussi là où Novak Djokovic a échoué en septembre dernier, quand il a échappé son 21titre face à Medvedev en finale des Internationaux des États-Unis.

Il faut dire que l’absence de Djokovic, expulsé de l’Australie avant le début du tournoi, a changé l’allure de la lutte à Melbourne. Personne ne saura jamais qui du Serbe, de l’Espagnol ou du Russe aurait triomphé dans d’autres circonstances.

Si bien que, même si l’égalité qui persistait entre Nadal, Djokovic et Federer au chapitre du nombre de Grands Chelems remportés a été brisée, le grand débat existe toujours. Quel joueur du Big Three est le plus grand ? Est-ce en fait réellement possible de répondre à cette question ? Les trois intervenants contactés par La Presse sont sur la même longueur d’onde à ce sujet.

« C’est toujours un débat ! On dirait que chaque joueur arrive et révolutionne le sport à sa façon. Il n’y en a pas un de plus grand », soutient le vice-président de Tennis Canada, Eugène Lapierre, qui a déjà côtoyé les trois athlètes.

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Eugène Lapierre, vice-président de Tennis Canada

« Ils ont chacun leur personnalité. Sur le terrain, ce n’est pas fini encore. On va suivre ça et ce sera très intéressant. »

Même son de cloche du côté de Valérie Tétreault et de Guillaume Marx.

« Je pense que c’est un débat qui va durer encore longtemps, du moins aussi longtemps que ni l’un ni l’autre n’aura pris officiellement sa retraite, affirme Mme Tétreault. […] C’est tellement fascinant, quand on fait le total et qu’on se dit que ces trois joueurs-là ont joué en même temps. Tout ce que ç’aurait été, ne serait-ce que si un des trois avait joué dans une ère différente. Le total [de victoires] serait peut-être encore plus élevé. »

« Ce n’est pas moi qui vais clore le débat ! lance quant à lui Marx. Je pense que c’est quand même très différent que la position de Djokovic, parce qu’il était attendu. Ça a monté en crescendo toute l’année, son histoire du 21e [Grand Chelem]. Il avait gagné les trois précédents. Déjà, la pression est forte, mais là, il s’était mis une pression supplémentaire. […] La différence, c’est que Nadal, lui, ne pensait même pas jouer le tournoi. »

Federer et Djokovic réagissent

Sur son compte Instagram, Roger Federer n’a pas tardé à féliciter Nadal, son « ami et grand rival », pour son exploit.

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Roger Federer

« Il y a quelques mois, nous blaguions du fait que nous étions tous deux en béquilles, a-t-il écrit. Extraordinaire. Ne jamais sous-estimer un grand champion. Ton incroyable éthique de travail, ton dévouement et ton esprit combatif sont une inspiration pour moi et pour des milliers de personnes à travers le monde. »

« Je suis si fier de partager cette ère avec toi et honoré de jouer un rôle pour te pousser à réaliser encore plus. Tout comme tu l’as fait pour moi dans les 18 dernières années. Je suis certain que tu as encore plus de réalisations devant toi, mais pour l’instant, profite de celle-là », a-t-il ajouté.

Djokovic a pour sa part souligné le parcours des quatre finalistes en simple.

« Félicitations, Rafael Nadal, pour ton 21Grand Chelem, a-t-il écrit. C’est une réalisation incroyable. C’est toujours fascinant, ton esprit combatif a prévalu encore. »

Que le début pour les Canadiens

En regardant la finale, Eugène Lapierre n’a pas pu s’empêcher de penser « qu’on a peut-être passé proche d’avoir [Denis] Shapovalov contre Félix [Auger-Aliassime] » à leur place. Le premier s’est incliné contre Nadal et le deuxième contre Daniil Medvedev, tous deux en quarts de finale.

« On voit qu’ils ont le calibre, soutient-il. Ç’a démontré à tout le monde dans le tennis que nos deux Canadiens peuvent jouer contre n’importe qui. Mais j’espère qu’ils ont regardé la finale ! Pour voir que même quand t’es bon et que tu as du talent, il faut que tu sortes tes tripes pour aller gagner des tournois comme ça. »

« [Félix] est tout près, c’est ce que ça nous a démontré, indique pour sa part Valérie Tétreault. […] Le prochain objectif, c’est carrément de réussir à gagner un tournoi du Grand Chelem. C’est un très bon début de saison. J’ai l’impression qu’il a travaillé fort pendant la saison morte. »