La victoire du Canada à la Coupe ATP de Sydney, en Australie, Eugène Lapierre l’a « vécue à moitié endormi », raconte-t-il en riant au bout du fil. « J’étais pas mal plus réveillé vers la fin quand Félix a fini par remporter le bris d’égalité du premier set. »

Félix Auger-Aliassime finira par s’imposer en deux manches de 7-6 (3) et 6-3 contre Roberto Bautista Agut, ce qui confirmait la victoire des Canadiens en deux matchs face à l’Espagne, en finale.

Denis Shapovalov, qui s’est instantanément projeté dans les bras de son compatriote en guise de célébration, avait vaincu Pablo Carreno Busta en deux manches (6-4, 6-3) plus tôt dans la journée.

« C’est une grosse victoire, s’est réjoui Lapierre, vice-président de Tennis Canada et directeur de l’Omnium Banque Nationale. Ça consacre la position du Canada sur la scène internationale comme une force qui continue de progresser. »

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Eugène Lapierre, vice-président de Tennis Canada et directeur de l’Omnium Banque Nationale

Ce moment d’allégresse était d’autant plus mérité que l’équipe canadienne, aussi composée de Brayden Schnur et de Steven Diez, avait entamé son tournoi de la pire des façons, avec quatre défaites consécutives en début de semaine. Les Canadiens se sont finalement repris lors de leur affrontement contre la Grande-Bretagne dans la phase de poules, s’imposant 2-1 avant de faire de même contre l’Allemagne.

En demi-finale, le Canada avait dû trimer dur face à la Russie, championne en titre, mais s’était finalement imposé grâce à une performance salvatrice en double.

« Ils ont été très chanceux de se qualifier pour les demi-finales et de sortir de leur groupe, estime Lapierre. […] Ils n’ont pas cessé de s’améliorer tout au long de la compétition. »

Quand j’ai vu qu’ils passaient la Russie, je me suis dit : ‟Ça y est, ils ont une très belle chance de l’emporter.”

Eugène Lapierre, vice-président de Tennis Canada et directeur de l’Omnium Banque Nationale

« Ils sont partis de loin, juge quant à lui Guillaume Marx, chef de la performance chez Tennis Canada. […] Ils ont montré beaucoup de volonté. C’est ça qui est vraiment intéressant : ils ont perdu d’entrée, ils ne se sont pas découragés et ils ont fini véritablement en feu. »

Selon Marx, ce titre est un « encouragement pour leur carrière, pour l’état d’esprit d’équipe en général ».

« Ils se sont vraiment éclatés »

« Une des choses qui a fait la différence, c’est la volonté qu’ils avaient de jouer ensemble », explique Marx.

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Guillaume Marx, chef de la performance chez Tennis Canada

Auger-Aliassime, 21 ans, et Shapovalov, 22 ans, se côtoient depuis le début de leur carrière et de leur développement. Dans une compétition en équipe comme celle-ci, leur grande complicité les a servis.

« Leur envie de faire équipe a fait la différence, croit Marx. Ensuite, dans le jeu, ce sont des jeunes qui peuvent être extrêmement performants. En termes de classement aujourd’hui, c’étaient des matchs à leur portée. Ils ont complètement bien assumé ce rôle en jouant à la fois sérieusement et de manière décontractée. »

Ils ont montré une grosse résilience cette semaine et je crois qu’ils se sont vraiment éclatés.

Guillaume Marx, chef de la performance chez Tennis Canada

Lapierre renchérit. « Ça n’arriverait pas si ce n’était pas deux personnes qui s’entendaient bien », souligne-t-il.

« Oui, ils s’amusent, ils s’aiment bien. Mais ça reste que c’est un sport individuel et quand ils se rencontrent les deux sur un même terrain l’un contre l’autre, ils ne se donnent absolument rien. Dans une rencontre d’équipe, quand Félix a perdu son match et qu’il a vu que l’autre avait gagné son match, ça peut créer des tensions. […] La pression peut venir de toutes les façons possibles. Mais eux font abstraction de ça et ils se sont appuyés. »

Marx parlait d’un jeu « décontracté ». C’est aussi ce que le vice-président de Tennis Canada a remarqué.

« C’est une belle leçon de comment le sport devrait être vécu, en les voyant se féliciter, s’amuser. Des fois, je les voyais, Félix regardait dans son coin avec le sourire après avoir manqué une balle. ‟Ben voyons donc, comment j’ai fait pour rater ça !” Tant mieux si c’est comme ça. C’est deux athlètes complètement différents sur le terrain, mais aussi du côté de la personnalité. Ils se complètent et ont une complicité. On va croiser les doigts pour que ça dure le plus longtemps possible. »

« C’est bon pour le tennis »

Auger-Aliassime, qui devrait se classer neuvième au monde ce lundi, est peut-être le meilleur joueur masculin de tennis actuel n’ayant pas encore remporté de titre ATP en simple.

Cette victoire est « un pas supplémentaire » vers cet objectif, selon Marx. « Le moment où il va gagner un titre, et un grand titre, ne fait que se rapprocher. Ces compétitions-là sont parfaites pour gagner en maturité et en confiance. »

Lapierre va encore plus loin.

« La prochaine étape, ça va être une victoire en Grand Chelem. Ils sont tellement jeunes, et c’est vrai que la compétition est féroce, mais on voit qu’ils ont le niveau pour être là. »

« À court terme, je veux les voir s’établir dans le top 10. Demain [ce lundi], Félix va être neuvième. Denis ne monte pas cette semaine, mais ça devrait lui donner un boost incroyable pour les Internationaux d’Australie. »

Eugène Lapierre souhaite voir les athlètes de sa fédération se retrouver dans les manchettes le plus régulièrement possible. Parce que des performances comme celle de dimanche, « c’est bon pour le tennis ».

« C’est bon pour la job qu’on fait, nous. L’idée de développer des joueurs de pointe, oui, c’est le fun, mais la mission de Tennis Canada, c’est de développer et promouvoir le sport, de faire en sorte qu’il y ait plus de Canadiens et Canadiennes qui sautent sur le terrain et qui adoptent la pratique du tennis. Et ça, on sait que ça passe par les jeunes. »

Il rappelle à quel point la pandémie a porté un dur coup à sa fédération, notamment sur le plan financier, dans les dernières années.

« On a dû couper 70 % des programmes en 2020, et on est loin de les avoir remis en place en 2021. On ne veut pas une génération sacrifiée au complet. Il y a des jeunes de 10, 12 et 14 ans qui sont là et pour qui on n’est pas capables d’offrir des compétitions, de les entraîner adéquatement. […] Des victoires comme celle-là, ça vient encourager tout le monde et aussi motiver les jeunes à adopter le sport du tennis.

« Le phénomène d’émulation ne marche jamais aussi bien que lorsqu’il y a des vedettes locales, conclut-il. On le voit au hockey ici. C’est beaucoup à ça que servent les joueurs de pointe : à faire rêver. »