Félix Auger-Aliassime est entré la semaine dernière dans le top 30 mondial du tennis masculin, quelques jours plus tôt que Rafael Nadal ne l’avait fait en 2005. Un autre record de précocité pour le joueur de 18 ans qui est vite devenu l’une des vedettes du circuit. Mais autour de lui, toute une équipe s’assure qu’il reste bien concentré sur ses vrais objectifs et sur le processus qui pourrait l’amener un jour au sommet de la hiérarchie.

« Le plus important, c’est qu’il avance »

PHOTO VALÉRY HACHE, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

« Les résultats qu’il [Félix Auger-Aliassime] obtient présentement tiennent du fait qu’il commence lentement à trouver sa véritable identité de jeu », explique son entraîneur Guillaume Marx. 

Élevé à Québec, où son père Sam Aliassime est entraîneur professionnel de tennis, Félix Auger-Aliassime a commencé à jouer à l’âge de 5 ans et il est vite devenu l’un des meilleurs espoirs du pays. En 2012, il a remporté l’Open Super 12 d’Aurey, en France — un « championnat du monde » officieux des 12 ans et moins —, que Rafael Nadal, Andy Murray et Gaël Monfils avaient gagné avant lui.

Deux ans plus tard, à l’automne 2014, il débarquait au Centre national d’entraînement de Tennis Canada, au stade IGA. La création de ce centre, en 2007, a été un facteur important du développement de joueurs comme Milos Raonic, Eugenie Bouchard et Vasek Pospisil. C’est toutefois la génération des joueurs nés au tournant des années 2000, peut-être la plus « brillante », qui en a le plus profité jusqu’ici avec notamment Auger-Aliassime, Denis Shapovalov et Bianca Andreescu.

Des trois, toutefois, seul Félix a vraiment été « pensionnaire » à temps plein du Centre et il a bénéficié d’un plan de développement particulièrement ambitieux, préparé par le directeur Louis Borfiga avec l’accord des parents du joueur.

« Nous leur avons proposé un projet très fort, dès les tout débuts, explique Borfiga. Les parents de Félix sont des gens exceptionnels et ils lui ont inculqué des valeurs très fortes ainsi qu’une éthique de travail irréprochable. Ils nous ont fait entièrement confiance, en acceptant de laisser travailler Guillaume Marx et son équipe sur le terrain, sans s’en mêler. »

Le Français Frédéric Fontang, qui avait déjà collaboré avec Jérémy Chardy et Pospisil, entre autres, est venu épauler Marx en 2017 ; les deux entraîneurs se partagent les tournois de façon à toujours encadrer Auger-Aliassime sur la route. Le préparateur physique Nicolas Perrotte s’est greffé au duo, avec d’autres spécialistes qui interviennent sporadiquement selon les périodes de la saison.

« Félix a des dons physiques exceptionnels, un talent naturel et ses premiers entraîneurs, son père et Frédéric Niemeyer, ont fait du très bon travail. Mais il est encore très jeune et il a une très grosse marge de progression, dans tous les secteurs, aussi bien physiologique ou technique que tactique. » — Frédéric Fontang, entraîneur de Félix Auger-Aliassime

Guillaume Marx ajoute : « Contrairement à ce qu’on peut penser, physiquement, il n’est pas encore développé. Son corps va encore beaucoup changer au cours des deux ou trois prochaines années. Au niveau du jeu, on n’en est encore qu’au début. Les résultats qu’il obtient présentement tiennent du fait qu’il commence lentement à trouver sa véritable identité de jeu et il y a encore plein de points d’amélioration, car il ne faut surtout pas cesser de travailler en ce sens. »

Et le travail est très encadré. « Nous avons établi toute une série d’objectifs de développement et c’est pour nous la priorité absolue, explique Frédéric Fontang. Félix, lui, voit surtout le résultat, les victoires, le classement qui grimpe, mais pour nous, ce n’est pas l’essentiel en ce moment. En ce sens, nous sommes un peu les gardiens du processus. »

Des choix difficiles

C’est d’ailleurs en fonction du processus que l’équipe a géré le programme de Félix depuis ses débuts professionnels, avec des périodes spécifiques consacrées à l’entraînement, à la fin de l’année notamment, quand il n’y a pas de tournoi. En 2017, Auger-Aliassime et toute son équipe ont eu la chance d’être invités à Dubaï pour quelques jours de travail avec Roger Federer et son équipe. En décembre 2018, c’est plus simplement à l’Académie IMG de Bradenton, en Floride, qu’ils ont préparé la saison actuelle.

PHOTO FOURNIE PAR TENNIS CANADA

Avec l’équipe de Roger Federer, en décembre 2017, à Dubaï. De gauche à droite : Dani Tröxler, kinésiologue de Roger Federer, Severin Lüthi, capitaine de l’équipe suisse de Coupe Davis et entraîneur consultant pour Federer, Frédéric Fontang, Nicolas Perrotte, Roger Federer, Félix Auger-Aliassime, Guillaume Marx et Pierre Paganini, préparateur physique de Roger Federer.

« Programmer une saison, c’est un peu de l’alchimie, explique Frédéric Fontang. Un joueur peut disputer de 25 à 30 tournois dans une saison. »

« Au début, Félix devait jouer dans des tournois de catégorie Challenger, une bonne école, où il devait se frotter à des joueurs plus costauds que chez les juniors. Sa progression au classement lui a toutefois vite ouvert des portes… »

C’est encore au nom du processus que Borfiga, Marx et Fontang ont décidé de se concentrer sur le développement de Félix, en privilégiant souvent des tournois moins importants et des voyages dans des destinations moins prestigieuses que, disons, Monte-Carlo ou Miami.

Et il y a aussi eu cette décision de faire l’impasse sur le gazon et le prestigieux tournoi de Wimbledon, l’été dernier, afin de se concentrer sur la terre battue. « Ça n’a pas été une décision facile, avoue Louis Borfiga, mais ça me semblait une évidence et les parents de Félix nous ont appuyés. Tous ces matchs qu’il a dû jouer sur la terre, ils vont lui donner les armes qui l’aideront à gagner de gros matchs dans trois ou quatre ans sur cette surface. »

Frédéric Fontang ajoute : « La terre battue est une surface où on peut vraiment bâtir un athlète. C’est une surface exigeante où il faut se battre pour chaque point et Félix y a accompli des progrès remarquables l’année dernière. Cela a déjà donné de bons résultats cette saison, lors de la tournée en Amérique du Sud par exemple [Auger-Aliassime a atteint la finale du tournoi de Rio], mais c’est dans quelques années que ce travail va vraiment payer. »

18 ans…

On oublie souvent qu’Auger-Aliassime n’a que 18 ans. Ses entraîneurs, eux, ne l’oublient jamais.

« Il a déjà établi plusieurs records de précocité et ça revient souvent dans les entrevues, les présentations avant les matchs », rappelle Guillaume Marx.

« On dit qu’il est le plus jeune à avoir fait ci, fait ça, et je pense qu’il s’est un peu créé une sorte de défense contre ces compliments. Car ce n’est vraiment pas pour ça qu’il a envie d’être reconnu à long terme. »

Comparé aux plus grands, Félix Auger-Aliassime rêve d’une carrière semblable à la leur. Et là encore, il n’y a pas de « recette miracle », seul le travail assure le succès. « Les meilleurs joueurs font d’ailleurs souvent la différence de cette façon, raconte Marx. Même au sommet, ils continuent de travailler pour améliorer des aspects de leur jeu, car le tennis évolue sans cesse. Au plus haut niveau, il faut travailler encore plus fort, car il y a tellement de paramètres à contrôler parfaitement. »

Auger-Aliassime est évidemment encore loin de la « perfection » de Roger Federer ou de Rafael Nadal quand ils sont au sommet de leur forme, mais il subit déjà une pression comparable à celle qu’ils ont connue à leurs débuts.

« Il va y avoir des hauts et des bas dans la carrière de Félix, mais la volonté de s’améliorer, il faut toujours qu’elle reste, insiste Guillaume Marx. C’est vrai qu’il est un joueur doué de dons exceptionnels par rapport à d’autres, mais ça met aussi des exigences plus élevées. Je pense qu’il le comprend bien. »

« Le plus important, c’est qu’il avance. Si le joueur reste bien concentré sur son processus d’amélioration, les occasions vont finir par être là. Il va toujours y avoir du coaching à faire sur les tournois, c’est normal ; c’est si le processus est mis de côté que ça devient dangereux. »

Contre Shapovalov à Madrid

Ironie du sort, Félix Auger-Aliassime affrontera aujourd’hui son compatriote et ami Denis Shapovalov au premier tour du Masters de Madrid (à 13 h HAE). Le gagnant de cet affrontement tout canadien devra se mesurer par la suite à... Rafael Nadal, en deuxième ronde du tournoi espagnol.

Toute une équipe autour de lui

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Félix Auger-Aliassime

L’entourage de Félix Auger-Aliassime fait partie de la recette de son succès. En voici les membres les plus influents.

Son équipe

Louis Borfiga, directeur du Centre national d’entraînement

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Louis Borfiga, directeur du Centre national d’entraînement de Tennis Canada

Arrivé de France en 2007 pour créer le Centre national d’entraînement de Tennis Canada au stade IGA, Louis Borfiga avait déjà formé plusieurs champions : Jo-Wilfried Tsonga et Gaël Monfils, par exemple. Il n’a pas hésité à « débaucher » plusieurs de ses anciens collègues pour venir l’épauler à Montréal et trois d’entre eux travaillent directement avec Félix Auger-Aliassime.

Guillaume Marx, entraîneur

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Guillaume Marx, entraîneur de Félix Auger-Aliassime

Né en France, ancien 236e mondial, il est responsable du développement des garçons au Centre national d’entraînement de Tennis Canada et entraîne spécifiquement Félix Auger-Aliassime depuis l’arrivée de celui-ci sur le circuit masculin.

Frédéric Fontang, entraîneur

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Félix Auger-Aliassime en compagnie de Frédéric Fontang

Aussi d’origine française, excellent joueur junior, il a atteint le 59e rang mondial avant de devenir entraîneur. Après 12 saisons avec son compatriote Jérémy Chardy, il s’est joint à l’équipe de Tennis Canada et travaille avec Auger-Aliassime depuis 2017.

Nicolas Perrotte, préparateur physique

PHOTO TIRÉE DE TWITTER

Nicolas Perrotte (à gauche) en compagnie de de Guillaume Marx et de Frédéric Fontang

Lui aussi a travaillé près de 20 ans en France, pour la Fédération française de tennis, avant d’accepter l’invitation de Louis Borfiga en 2015. Spécialiste de la préparation physique, il travaille avec Auger-Aliassime depuis trois ans.

Ses proches

Sam Aliassime, son père

PHOTO JEAN-MARIE VILLENEUVE, ARCHIVES LE SOLEIL

Sam Aliassime, père de Félix

Natif du Togo, Sam Aliassime est propriétaire d’une académie de tennis à Québec. Félix a récemment raconté sur le site de l’ATP : « Mon père m’a texté l’autre jour en écrivant : “J’ai trois conseils pour toi : continue de travailler fort, reste la même personne et trouve-toi une école !” Je vais devoir me trouver des cours par correspondance. Avoir ce genre de personne à mes côtés m’aide à rester moi-même. »

Marie Auger, sa mère, Malika, sa sœur

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En mars 2019, à Indian Wells, avec, de gauche à droite, Frédéric Fontang, Nicolas Perrotte, la mère de Félix, Marie Auger, et sa sœur, Malika Auger-Aliassime

Marie Auger est professeure spécialisée en psychologie de l’enfance, alors que Malika excelle aussi au tennis. On les a vues récemment dans une vidéo préparée pour le site de l’ATP à Indian Wells.

« J’apprécie beaucoup ces moments en famille, y a confié Félix. Je peux gagner des matchs, gagner des tournois, mais à la fin de la journée, je suis toujours le petit garçon de ma mère, le petit frère de ma sœur. Ces moments m’aident à garder les pieds sur terre, tout en me permettant de me concentrer chaque jour sur ce que j’ai à faire pour devenir un meilleur joueur. »

Bernard Duchesneau, son agent

PHOTO FOURNIE

Bernard Duchesneau, agent de Félix Auger-Aliassime 

Il est l’avocat de la famille Auger-Aliassime depuis plusieurs années et veille aux intérêts de Félix. Comme il l’a récemment expliqué à mon collègue Philippe Cantin : « On s’est assis pour regarder comment on voulait faire les choses et j’ai proposé une façon en harmonie avec les valeurs de la famille, de Félix et des coachs. C’est ça, une équipe. Tout le monde doit être dans le même bateau. Et à partir du moment où il y a un plan, tout le monde le suit. »

Ses amis Denis Shapovalov, Benjamin Sigouin, Nicaise Muamba, Alexis Galarneau (et plusieurs autres…)

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Denis Shapovalov

Félix et Denis Shapovalov ont progressé pratiquement au même rythme, avec chacun un titre en Grand Chelem junior et une victoire commune en double à l’Omnium des États-Unis en 2015. Ils ont aussi gagné la Coupe Davis junior cette année-là, avec Benjamin Sigouin (qui poursuit sa carrière à l’Université de Caroline du Nord). Félix est aussi très proche de Nicaise Muamba (qui joue actuellement pour l’équipe de l’Université Liberty en Virginie). À leurs débuts dans les compétitions provinciales, on les surnommait les Monfils et Tsonga du tennis québécois. Alexis Galarneau (North Carolina State) affronte aussi Félix depuis leur enfance et ils sont restés en contact, même si leurs carrières ont pris des routes différentes.