Depuis l'avenue Lafaiete Coutinho, la baie de Salvador est resplendissante avec ses différentes teintes de bleu et ses dizaines de bateaux de pêche. Dans ce décor de carte postale, rien ne trahit la présence de la favela de Gamboa de Baixo, en contrebas. Pour y accéder, il faut se glisser sous un viaduc afin d'emprunter des escaliers assez délabrés.

Quelques mètres plus loin, le contraste avec la ville est saisissant. À droite, des vendeurs de crack font leurs affaires, loin du regard de la police, qui ne patrouille pas dans ce coin de Salvador. À gauche, des enfants taquinent une perruche en cage alors que quelques gallinacés profitent d'une totale liberté.

Pour rejoindre le bord de l'eau, il faut descendre de larges marches peintes en vert, jaune et bleu. Dans la modeste cabine du coiffeur, un homme se fait couper les cheveux. À quelques mètres se trouve la cantine, où se sont regroupés quelques hommes et où la bière fraîche coule déjà, en ce milieu de matinée.

La vue y est magnifique et le calme de l'endroit est à mille lieues de l'effervescence du centre-ville. Seuls le bruit des vagues se fracassant sur les rochers et celui du vent sur les banderoles vertes et jaunes viennent troubler cette quiétude.

«C'est une initiative de la communauté, explique Franco à propos des décorations. Tout le monde a contribué en donnant un peu d'argent. On l'a fait pour la São João [la Saint-Jean], mais aussi pour la Coupe du monde.»

Rapidement, les discussions virent autour de la pertinence du Mondial et des contestations qui s'essoufflent dans le pays. La présence policière est telle que les débordements ont été extrêmement rares à Salvador. Pourtant, cela ne signifie pas que les Bahianais approuvent la tenue d'une Coupe du monde qui aura finalement coûté 13 milliards.

«Je suis d'accord avec les manifestations, répond l'un des hommes, en fixant l'horizon. Cela m'ennuie qu'ils aient dépensé autant d'argent pour des stades qui ne serviront plus après la Coupe du monde.» C'est notamment le cas de l'Arena Amazonia de Manaus, ville où le meilleur club, Nacional, se situe au quatrième échelon national.

Edimar est encore plus pessimiste en martelant que le Brésil n'avait pas les infrastructures nécessaires pour accueillir un tel événement. Surtout, il croit que cela se fait au détriment de la condition d'une population en proie à de graves difficultés économiques et sanitaires.

En mai dernier, une étude a ainsi montré que les risques de leptospirose, une maladie transmise par l'urine de rat, étaient élevés dans 34 quartiers de la ville. À Pau da Lima, 90% des rongeurs étaient porteurs de la bactérie qui, chez l'humain, peut entraîner une insuffisance rénale. L'accès aux soins de santé est ensuite une course à obstacles, regrette Edimar.

«Il n'y a pas assez de médecins. Aujourd'hui, nous n'avons qu'un seul hôpital pour nous servir et, en plus, il est situé dans un quartier assez éloigné. Les urgences sont pleines et les gens attendent dans les couloirs. Le reste, ce sont des cliniques qui accueillent seulement les gens avec assez de sous.

«Ils ont dépensé 800 millions de reais pour le stade (l'Arena Fonte Nova) alors qu'à un kilomètre, il y a un hôpital qui manque de médicaments et d'équipements. Ce n'est pas normal.»

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Pendant la discussion, Franco, la soixantaine, est allé chercher son bateau pour me montrer la pêche du jour: des crabes, de belles langoustes et des murènes franchement moins appétissantes. Puis, un tour de barque permet de saisir la dualité du Brésil moderne. Autour de ce quartier, où s'entassent près de 2000 familles, des immeubles luxueux ont poussé au cours des dernières décennies. Chaque bâtiment est relié à l'eau par des téléphériques qui se posent sur des pontons privés. Malgré le décalage financier et culturel entre ces deux mondes, l'entente est cordiale, nous dit-on. Franco, qui rame à contre-courant, avoue qu'il n'échangerait pas sa place pour rien au monde.

«J'ai déjà été peintre ou soudeur pour plusieurs entreprises. Je travaillais avec des produits chimiques, mais j'ai décidé de tout arrêter. Je me suis concentré sur la pêche et cela marche bien pour moi. Avant, je devais attendre la fin du mois pour être payé, alors que je touche de l'argent tous les jours, maintenant. Du stress? Pourquoi me stresser ici? Je suis mon propre patron.»

On l'aura deviné, le monde d'Edimar et de Franco ne ressemble en rien à celui de Neymar, la vedette de la Seleção par ailleurs présente dans une multitude de publicités. «C'est un joueur comme les autres, tranche Franco. Il n'est pas au même niveau que Lionel Messi et Cristiano Ronaldo. Pour moi, l'étoile est David Luiz, alors que Neymar est encore jeune. Il fait la ballerine.»

Avant de partir, l'heure est aux photos et aux poignées de main. Amigo do Coração («ami de coeur»), lance Edimar en ajoutant que je serai toujours le bienvenu dans le quartier.

Cette fois, c'est promis, je n'oublierai pas un maillot de bain que l'un des habitants m'a gentiment prêté.