Pris entre quatre murs, pendant quatre mois. Vassili Cremanzidis subissait à ce moment un troisième traitement pour combattre son cancer, un lymphome de Hodgkin. Seuls ses parents, le prêtre et le médecin pouvaient entrer dans sa chambre du Children’s. Pas même sa sœur ni ses amis. C’était en 2003. Il avait 14 ans.

« Mais il y avait une fenêtre, avec un téléphone et un micro pour parler avec eux », raconte Cremanzidis, esquissant l’un des nombreux sourires qui ponctueront son entretien avec La Presse.

À ce moment, Vassili Cremanzidis était bien loin de se douter que 20 ans plus tard, il serait assis dans une salle de conférence du centre d’entraînement du CF Montréal à titre d’adjoint au directeur sportif, occupant un poste névralgique au sein du club de son enfance.

Lisez « Avoir confiance en son adjoint »

Non, parce qu’à ce moment, « ils ont inventé les manettes sans fil » pour le GameCube. « Et ça marchait à travers la fenêtre ! »

« On jouait beaucoup à NHL 2004 à cette époque. C’était un bon jeu. Ça passait le temps. »

Même un de ses médecins se laissait prendre au jeu. Lui, il était attiré par Mario Golf, au Nintendo 64.

« Il disait : « OK, j’ai le temps pour six ou neuf trous ! » »

« C’est une des choses dont je me souviens le plus, souligne Cremanzidis. Parce que je ne pouvais pas sortir de là. »

Un habitué du centre Claude-Robillard

Vassili Cremanzidis est aujourd’hui le second d’Olivier Renard chez le CFM. Son mandat principal, c’est de gérer la masse salariale de l’équipe à travers les règles compliquées de la MLS. D’y penser à court, moyen et long terme. Ce qui fait qu’il est aussi impliqué dans les autres décisions sportives du club. Comme celui de l’embauche du prochain entraîneur-chef. Nous y reviendrons au prochain onglet.

La passion du soccer, Cremanzidis l’a depuis son plus jeune âge. Son père était l’entraîneur d’une équipe AAA dans la région de Bourassa.

« Ma famille a toujours été dans le foot, dit-il. J’allais à tous les matchs de l’Impact de Montréal au centre Claude-Robillard. »

Les Cremanzidis connaissaient bien les joueurs de l’époque, en l’occurrence Nick de Santis, Mauro Biello, Rocco Placentino et David Fronimadis. Ces deux derniers avaient d’ailleurs joué pour le père de Vassili auparavant. Les deux premiers joueront plus tard un rôle crucial dans le parcours de Vassili.

Notre interlocuteur désigne le mur derrière nous : le trophée de champions de la A-League, que l’Impact a remporté en 2004. Il y était. « C’était l’fun ! C’était différent de maintenant, mais c’était très bien. »

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Vassili Cremanzidis

Le jeune Vassili a joué, aussi. « Quand j’étais petit, j’étais un très bon joueur. Quand tu vas regarder les U8 ou U9, il y a toujours un ou deux joueurs qui peuvent dribbler tout le monde. C’était moi, à ce moment-là. »

Le cancer l’a frappé à ses 10 ans.

« Deux semaines à vivre »

« Je l’ai eu trois fois », explique-t-il.

La maladie n’a pas nécessairement mis un frein à son parcours de joueur, mais le cardio a été nettement affecté. « Je jouais quand même, mais c’était une compétition moins bonne. »

Le premier traitement n’a pas fonctionné. Le cancer est revenu « après huit, neuf mois ».

Le deuxième traitement, un peu plus expérimental, a été encore pire. « C’est revenu encore plus vite », dit-il.

Pour la troisième tentative, les médecins ont tenté un traitement plus novateur, mais aussi plus draconien : une greffe de la moelle osseuse. C’est à ce moment qu’il a dû être isolé pendant quatre mois, de novembre 2003 à février 2004.

Encore là, le premier essai a été infructueux.

« On ne l’a pas su avant l’année suivante, mais une personne en Allemagne a donné deux fois, parce que la première fois n’a pas marché. […] Elle pouvait dire non, mais bien sûr, elle a dit oui. Je l’ai remerciée pour ça. »

Il explique qu’en fonction de son jeune âge, les médecins passaient par ses parents pour expliquer sa situation.

Ils avaient dit à mes parents que j’avais deux semaines à vivre. Bien sûr, ils ne m’ont pas dit ça à moi, parce que j’aurais dit : « OK, on fait les valises, et on part ! »

Vassili Cremanzidis

Vassili Cremanzidis dit se souvenir de « plusieurs choses », dont certaines qu’il préférerait oublier. Mais le temps qu’il a passé avec sa famille, il le chérit encore. « Ça nous a rapprochés, tout ça. »

Cette épreuve lui a aussi permis de « voir la vie d’une autre perspective ».

« Ils me disaient que je souriais tout le temps. Mais peut-être que c’est pour ça que je suis toujours content. »

Le coup du destin

Dans son lit d’hôpital, Vassili a reçu de la grande visite. Les joueurs de l’Impact sont venus à sa rencontre, munis de cartes à collectionner, son autre passion. Gabriel Gervais, Patrick Leduc, Nick de Santis et Mauro Biello, présents, les lui ont signées.

Lorsqu’il en parle, on aperçoit sa main qui pointe vers l’arrière. Vers son bureau. Sa collection de cartes, elle est là. Après l’entrevue, il nous amène dans cette sobre pièce à aire ouverte, qu’il partage avec Olivier Renard et Daniel Pozzi, directeur des opérations soccer de l’équipe sénior. Et il nous fait l’étalage de sa collection de cartes issues de toutes les époques du club.

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Les cartes de Vassili Cremanzidis

« Je suis collectionneur de cartes de hockey, de football, de plus ou moins tous les sports », explique-t-il. Il a aussi quelques maillots de l’Impact sur lesquels des autographes ont été apposés.

À 15 ans, Cremanzidis est finalement en rémission. Pour de bon. Il poursuit ses études et obtient son baccalauréat en commerce à Concordia. Il se dirige vers l’Université Georgetown, à Washington, pour y faire sa maîtrise en gestion de l’industrie du sport.

C’est à sa dernière session à Georgetown que le destin s’est joué. Nous sommes maintenant en 2013. N’ayant qu’un projet final à présenter en fin d’année et seulement quatre classes en présentiel entre-temps, il décide de passer ces mois à Montréal. Pour la semaine de la présentation, il se retrouve dans un hôtel de Washington. Le week-end où l’Impact affronte le D. C. United, là-bas.

« Et quand j’étais dans le hall, en train de pratiquer, je vois l’Impact de Montréal entrer dans mon hôtel ! […] Et Mauro était là, donc on a parlé. »

Ils s’échangent leurs numéros de téléphone. Après sa présentation, Cremanzidis prend un verre dans le hall avec Biello et Nick de Santis. Une semaine plus tard, à Montréal, les échanges se poursuivent.

Jusqu’à ce que l’Impact offre un stage à l’un de ses plus grands partisans.

Devenir un homme

Vassili Cremanzidis travaille chez l’Impact en tant qu’analyste de la performance jusqu’en 2015. Après deux ans chez l’IMFC, il sent le besoin d’ouvrir ses horizons, d’aller chercher des « connexions » et de l’« expérience » ailleurs dans la ligue.

Direction la côte Ouest, avec les Earthquakes de San Jose. Il y restera de 2016 à 2018, mais c’est à l’arrivée de l’Italien Jesse Fioranelli en tant que directeur général (2017-2021) que Cremanzidis obtient une vraie chance de se démarquer.

« Il est venu ici en ne connaissant aucune règle de la MLS. À ce moment-là, je comprenais tout, mais je n’avais pas l’occasion d’appliquer ce que je connaissais. Il m’a donné la chance de travailler avec lui. J’ai fait beaucoup d’erreurs, j’ai fait beaucoup de bonnes choses, mais j’étais heureux d’apprendre sur le terrain. »

En 2017, c’est lui qui menait les présentations des analyses vidéo auprès des joueurs et des entraîneurs. « On n’a pas fait une bonne saison, on était en dernière place. Mais je ne pense pas que c’est à cause des vidéos ! », ajoute-t-il en rigolant.

Vassili Cremanzidis revient à l’Impact de Montréal en décembre 2018, moins d’un an avant l’arrivée d’Olivier Renard. Il y occupe le même poste qu’à San José, c’est-à-dire responsable de l’analytique et directeur adjoint du personnel des joueurs.

On lui fait remarquer que sa parenthèse en Californie s’apparente à l’histoire d’un joueur parti en prêt pour parfaire son développement.

« Je donne parfois cet exemple aux jeunes », confirme-t-il. Certains ne veulent pas partir puisqu’ils ont le confort de leur maison et de la cuisine de leurs parents, dit-il.

« Mais à la fin, quand les joueurs partent, ils te remercient […]. Tu apprends beaucoup. Tu n’oublies pas les choses ici, mais tu deviens un homme à l’extérieur de la maison. »

Et dans son cas, un homme qui n’a jamais cessé de sourire, même au plus fort des épreuves de la vie.