(Columbus) « J’ai tout simplement dit à ma femme : “Il y a des choses que j’accepte, des choses que je n’accepte pas, et peut-être qu’on sera au chômage.” »

Pour Wilfried Nancy, la décision était prise. Avant même que le Crew de Columbus n’arrive dans le portrait, l’entraîneur-chef du CF Montréal allait quitter son poste. Qu’il se retrouve sans emploi au terme de la saison, ou à la barre d’une nouvelle équipe.

« À la mi-saison, j’ai dit que je ne revenais pas », explique Nancy d’un ton posé, au cours d’un entretien de plus de 45 minutes avec votre représentant de La Presse. Nous sommes dans les locaux du Crew, à Columbus, à deux jours de l’affrontement ultime du calendrier entre son ancien et son nouveau club.

« Oui, il y avait une option [à mon contrat]. Mais à la fin de la journée, moi, je ne voulais pas rester. »

À l’extérieur, le temps est frisquet, le ciel est grisâtre. L’entraînement s’est terminé environ une heure plus tôt à l’OhioHealth Performance Center, inauguré en 2021 aux abords de l’ancien stade du Crew, à quelques kilomètres au nord du centre-ville.

Nancy est assis dans la salle de conférence de l’équipe, faisant dos aux grandes fenêtres donnant sur la rue tranquille menant aux installations. Avec La Presse, le technicien revient en détail sur les raisons qui l’ont poussé à quitter le CF Montréal l’an dernier.

Mais prenons avant tout un moment pour rappeler les faits. Nancy, dans l’organisation depuis 11 ans, est embauché à titre d’entraîneur-chef du CF Montréal après le départ précipité de Thierry Henry, tout juste avant la saison 2021. Il connaît un franc succès cette année-là, ratant les éliminatoires de justesse.

À sa deuxième année, son club bat tous les records et se hisse au deuxième rang de l’Association de l’Est. Mais entre-temps, un revers inopiné contre le Sporting Kansas City en juillet mène à une altercation entre Nancy et le propriétaire Joey Saputo en coulisses. Saputo sort en trombe dans la salle de presse, accoste son président Gabriel Gervais et lui signifie bruyamment que son « entraîneur n’a aucun respect » pour lui. La scène se déroule devant les yeux de l’auteur de ces lignes. Nous y reviendrons.

Au moment de l’embauche de Nancy par le Crew, en décembre dernier, La Presse révèle que l’entraîneur était prêt à quitter son poste ce soir-là. Mais les leaders de son vestiaire le convainquent quelques jours plus tard de rester jusqu’à la fin de la saison. Le groupe en sort galvanisé et enchaîne les bons résultats par la suite.

« On n’a jamais parlé d’argent »

On disait que la rue derrière était tranquille. Pas tout à fait. Un chat noir la traverse, à l’insu de notre interlocuteur. Qui continue.

« Ce que les gens ne savent pas, c’est que… »

Long silence.

« Vers le mois de mai, ou d’avril, mon agent a contacté le club. Pour demander c’était quoi, mon futur. Et pour le club, c’était trop tôt pour parler de ça. »

Il en parle dans ce contexte, aujourd’hui, parce que, à n’en pas douter, cette interaction entre son agent et le club a pesé lourd dans la balance. Pour Nancy, le travail qui avait été accompli méritait de toute évidence une certaine reconnaissance.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Wilfried Nancy avec le CF Montréal en mars 2021

« On n’a jamais parlé d’argent », souligne-t-il d’emblée, une version des faits qui vient contredire nos informations publiées l’hiver dernier indiquant que l’entraîneur avait commencé à être plus ambitieux financièrement à ce moment.

Son pacte avec le CFM arrivait à échéance à la fin de l’année, mais le club avait une option pour le prolonger d’une saison. Elle a finalement été enclenchée, notamment dans le but d’obtenir une compensation de la part du Crew, puisque Nancy restait ainsi à l’emploi de Montréal.

« Il ne me restait que très peu d’années de contrat, alors c’était de savoir ce qu’il en était », ajoute Nancy. Il fait référence à des entraîneurs, dans l’histoire récente de la MLS, dont le contrat a été renouvelé alors qu’il restait « encore deux ou trois ans » aux ententes.

Je ne dis pas que Montréal a mal fait les choses, comprenez-moi bien. Je ne suis pas en train de dire ça. Je ne dis pas que Montréal est le mauvais garçon. Je dis juste que j’ai été loyal avec Montréal. La loyauté, pour moi, c’est très important.

Wilfried Nancy

Il parle de la « fierté » qu’il retire de la façon dont il a « agi dans l’adversité ».

« On a prouvé des choses, et je peux vous dire que ce n’était pas facile », insiste-t-il, le « on » incluant son personnel d’entraîneurs. Personnel qui l’a majoritairement suivi à Columbus.

« Personne ne connaissait Djordje [Mihailovic]. C’était peut-être un joueur avec du talent, mais personne ne le connaissait. Ismaël [Koné], personne ne le connaissait. Alistair Johnston, personne ne le connaissait. »

Il cite ces joueurs en particulier, parce que les trois ont été transférés à fort prix, et à fort profit pour Montréal. « Je suis très fier qu’on ait pu rapporter beaucoup d’argent au club. »

Il ne le dit pas littéralement, mais on en déduit que c’est de là qu’est née sa volonté que le CFM reconnaisse plus tôt ce qu’il était en train de bâtir au Centre Nutrilait.

« Il faut savoir parler »

Nancy confirme qu’il a bel et bien eu maille à partir avec Saputo le 9 juillet 2022, dans les coulisses de l’enceinte montréalaise. Et lorsqu’on lui relate le scénario de la soirée et des jours suivants décrit un peu plus haut, il ne nie rien.

« Qu’il y ait une altercation avec le propriétaire, je vis bien avec ça. Je ne suis pas surpris, ou quoi que ce soit. Je ne suis pas quelqu’un qui me tais, mais je respecte les gens. Je n’ai rien fait de mal. Moi, mon job, c’est d’être coach, c’est de former les joueurs, c’est de rendre des comptes à mon propriétaire. Je suis mon propre boss sur le terrain, et pour le reste, je n’ai aucun problème à avoir une conversation avec quiconque. Aucun. Mais il faut savoir parler. »

Près d’un an après son départ, Nancy demeure reconnaissant envers Montréal de lui avoir donné sa chance au niveau professionnel, tout en mentionnant que son ardeur à l’ouvrage explique en partie cela.

Je serai respectueux de la façon dont moi, j’ai pu grandir dans le club. Ça ne s’est pas fini comme je voulais que ça se termine. Après, chacun fait comme il a envie de faire. Je suis très content de ça, et j’avance.

Wilfried Nancy

Il n’est « pas rancunier » non plus, dit-il. En entrevue au 98,5 FM en septembre, il avait révélé que le CFM avait empêché le Crew de s’entraîner sur le gazon du Centre Nutrilait – une norme dans la ligue –, forçant les visiteurs à le faire sur un terrain synthétique.

Si Montréal en a besoin, le gazon de l’OhioHealth Performance Center est à sa disposition.

« Mes joueurs ont donné la réponse [lors d’une victoire de 4-2 au stade Saputo], lance-t-il en souriant. Je ne suis pas un motivateur, leur disant : “Hey, guys, vous avez vu ce qu’ils ont fait ?” Je m’en fous de ça. Je souris, je rigole. Ils vont venir ici, et ils auront accès à tout. »