(Columbus) « Mon style de jeu, c’est une façon de vivre. » Et Wilfried Nancy n’en dérogera pas.

Surtout pas avec le succès qui lui colle à la peau depuis trois ans en tant qu’entraîneur-chef en MLS. Surtout pas avec un Crew de Columbus si explosif en 2023. Et surtout pas avec le regard attendri des analystes – américains – du circuit, qui lui font de l’œil particulièrement depuis qu’il a fait le saut aux États-Unis.

« Quand j’étais à Montréal, quand j’ai discuté avec Olivier [Renard], je lui ai dit : “Moi, je joue de cette façon-là. Je ne changerai pas. Je viens avec cette idée-là.” »

Au cours d’un long entretien avec La Presse au centre d’entraînement du Crew, à Columbus, Nancy a pris le temps d’expliquer les sources de ses idées de jeu.

« Il y a un ancrage issu de quand j’étais joueur professionnel, explique le Français, ancien défenseur. Je n’étais pas rapide. J’avais toujours besoin des autres joueurs autour de moi pour faire vivre le ballon, et pour avoir une connexion avec eux. Je n’étais pas le joueur qui prenait le ballon, qui driblait tout le monde et qui faisait la passe. Donc les relations entre mes partenaires à l’époque étaient très importantes dans le jeu. »

J’aime les buts extraordinaires, comme les bicyclettes. Mais je préfère le but où il y a une idée commune, à un instant présent.

Wilfried Nancy

On a vu se déployer le jeu de Nancy à Montréal en 2021 et en 2022. Le but est de construire le jeu soigneusement. Ça part souvent du gardien et des défenseurs, qui essaient de trouver les espaces entre les rideaux de joueurs adverses en effectuant des passes calculées, non pas en dégageant le ballon vers l’avant un peu aléatoirement. Ça force donc les joueurs à jouer avec leur tête autant qu’avec leurs pieds.

Mais ce n’est pas sans risque : si cette philosophie de jeu permet d’endormir l’adversaire et de ficeler de belles attaques, elle augmente aussi les chances de commettre une erreur à l’arrière, justement.

Un défi que Rudy Camacho a « toujours aimé ».

« Le style de jeu de Will, les gens ne se rendent pas compte, mais c’est beaucoup de pression, explique l’ancien du CFM à La Presse, dans la salle de conférence du Crew. Dans le sens où tu n’as pas le droit à l’erreur, et le jeu part de toi. Si tu n’analyses pas bien, si tu ne fais pas les bons choix ou la bonne passe, tu ne peux pas jouer avec Will. Mais c’est ce que j’ai toujours aimé, donc on se complète bien. »

Camacho sait de quoi il parle : il a lui-même été coupable d’une telle erreur, dans sa propre zone, à Montréal, trois semaines après son échange au Crew le 2 septembre dernier.

« C’était un match particulier pour moi, c’était encore tout frais. J’aurais préféré ne pas commettre cette erreur, c’est sûr. »

Une « surprise »

Camacho a porté les couleurs du Bleu-blanc-noir pendant six ans avant de passer au jaune et noir du Crew. Il a donc bien connu Nancy à Montréal, avant même que celui-ci ne soit entraîneur-chef.

Mais il ne savait pas qu’il avait ces qualités en lui.

« Ça m’a surpris un peu, comme tout le monde, explique le défenseur central. Je ne connaissais pas ses idées de jeu. Je ne connaissais pas du tout ce qu’il était en train de nous montrer. C’était une belle surprise. Et j’adhère totalement à son style de jeu, comme tous les joueurs qui sont passés sous Wilfried. »

PHOTO JULIE BENNETT, ARCHIVES USA TODAY SPORTS

Rudy Camacho (en jaune)

Il y en a un autre au sein du Crew qui a découvert ses talents dans les dernières années. Un certain Evan Bush.

« Honnêtement, je n’en savais rien », lâche le gardien, qui a porté le maillot de l’Impact pendant près de 10 ans.

« Tu sais qu’à Montréal, plusieurs entraîneurs arrivent et repartent », explique Bush, qui élabore ensuite son hypothèse.

« Will était un de ces gars qui ont vécu sous plusieurs entraîneurs-chefs. Il n’avait peut-être pas la plus grande voix, mais ce n’était pas de sa faute. C’était probablement parce que les entraîneurs-chefs en poste ne le lui ont pas permis autant que lui le fait aujourd’hui avec ses adjoints. Ses expériences en tant qu’adjoint lui ont probablement appris à comprendre aujourd’hui ce que vivent ses adjoints à lui. »

Bull’s eye.

Wilfried Nancy : « Je joue comme ça grâce à toutes les connaissances et tous les entraîneurs que j’ai eus, le fait que j’ai été assistant pendant longtemps, à perfectionner ma vision. C’est mon histoire.

« Mon projet de jeu, c’est mon sac à dos. Tout simplement, petit à petit, j’ai mis des idées dedans. »

Et l’Europe ?

Les idées de jeu de Nancy suscitent l’admiration de plusieurs commentateurs au sud de la frontière, dont Taylor Twellman, ancien joueur et animateur de la balado Offside pour Apple Podcasts. Ce dernier a consacré un épisode complet à la philosophie de jeu de Nancy et à la reconstruction du Crew dans les dernières années.

La MLS le découvre aujourd’hui « parce que ce sont les États-Unis et c’est Columbus », selon Camacho.

« Mais il a fait la même chose à Montréal pendant deux ans avec un groupe qui avait moins de qualité, sans manquer de respect à qui que ce soit. Il a réussi à faire sortir le meilleur de chaque joueur à Montréal. »

Aujourd’hui, il est sous les projecteurs un peu plus à Columbus, et c’est bien pour lui, c’est mérité.

Rudy Camacho

La MLS est-elle une finalité pour Nancy ? Ou envisage-t-il un éventuel retour en Europe ?

Les mots « confiance » et « humilité » sont toujours près de ses lèvres, tout au long de l’entretien, et encore une fois ici en guise de réponse.

« Je ne suis pas dans le futur, mais c’est sûr que j’ai de l’ambition, convient-il. C’est important d’avoir de l’ambition. Je n’ai pas de limite, je connais mes qualités, je sais que j’apprends tous les jours. J’ai confiance en moi, mais en même temps je suis très humble. Parce que dans le foot, ça va très, très vite. »