« J’aime jouer à Brossard, car c’est ma ville. Je joue dans ce club depuis que j’ai 4 ans. […] Malheureusement nous ne pouvons pas continuer à jouer dans un club régional comme le nôtre. On veut donc avoir l’opportunité de continuer à jouer ensemble à un niveau supérieur. »

Cette requête de joueuses de soccer de 14 ans, exprimée dans une lettre récemment envoyée au Centre de règlement des différends sportifs du Canada (CRDSC), vient d’être exaucée. L’Association de soccer de Brossard (ASB) a obtenu gain de cause devant les tribunaux aux dépens de Canada Soccer, qui avait refusé de lui accorder la licence requise pour être admise dans la principale ligue de développement québécoise pour les joueurs de 13 à 17 ans.

Le dénouement – provisoire, il faut le préciser – de ce combat judiciaire, à la fin de février, ouvre la voie à la contestation par d’autres équipes de la province de refus similaires de la part de la fédération nationale.

La source du litige remonte à 2019, l’année où Canada Soccer a instauré un nouveau programme : la Reconnaissance nationale de club juvénile. Au Québec, le programme permet aux clubs reconnus d’évoluer en Première Ligue de soccer juvénile (PLSJQ), le plus haut niveau de compétition de soccer amateur dans la province pour les joueurs de 13 à 17 ans.

L’ASB a entrepris en août 2021 les démarches pour obtenir la licence, un processus qui comporte l’examen approfondi de 142 critères. Quinze mois plus tard, le 12 décembre 2022, le verdict de Canada Soccer est tombé : malgré une note globale de 90 % et une note parfaite pour 112 des 142 critères évalués, l’ASB échoue à obtenir la Reconnaissance nationale.

Un refus incompris

Sidérée, la présidente de l’ASB, Joulia Maistrenko, a écrit à Canada Soccer pour avoir plus d’explications. Ses demandes sont restées lettre morte, dit-elle.

Ça ne devrait pas être si difficile [de demander des explications]. Les associations devraient pouvoir questionner sans avoir peur de subir de l’intimidation ou des contrecoups.

Joulia Maistrenko, présidente de l’AS Brossard

Canada Soccer n’a pas répondu à nos multiples demandes d’entrevue.

Au moment du refus, il ne reste plus qu’un mois avant la date butoir pour l’inscription des clubs en PLSJQ. Mme Maistrenko sollicite un avis juridique. L’avocat Vincent Dubuc-Cusick en arrive à la conclusion que les critères de Canada Soccer ne sont pas conformes.

« Ce que la loi dit, ce que la jurisprudence du Centre de règlement des différends sportifs du Canada (CRDSC) dit, c’est que lorsque tu mets des exigences, elles doivent être claires, précises, transparentes, constantes et prévisibles, fait-il remarquer. Le club ou l’athlète doit savoir le jour un à quoi s’attendre. De cette façon, on peut savoir pourquoi on est refusé ou pourquoi on est accepté. Dans le dossier de Brossard, Canada Soccer ne respecte pas ces standards-là. On n’arrive pas à comprendre pourquoi ils ont échoué. »

Mais avant de traîner Canada Soccer devant le CRDSC, le club de Brossard devait faire une introspection.

« On s’est posé la question : est-ce que ça vaut l’argent qu’on dépense ? Eh bien, avec la Reconnaissance nationale de club juvénile, on peut attirer et garder les meilleurs joueurs et les meilleurs entraîneurs. Ce qui va même permettre d’élever le niveau de développement de tous nos jeunes », a conclu Mme Maistrenko.

Le CRDSC

Devant le CRDSC, Canada Soccer a fait valoir que les finances d’un club doivent être en ordre pour recevoir une Reconnaissance nationale de club juvénile. L’association nationale a ajouté qu’à la fin du processus d’évaluation, « tous les membres du personnel et membres des comités concernés de Canada Soccer et de Soccer Québec ont passé en revue la demande de l’ASB et conclu à l’unanimité qu’elle ne satisfaisait pas aux normes ». (Soccer Québec a refusé de commenter le dossier.)

L’ASB a par ailleurs mentionné « ne jamais avoir reçu de proposition de plan d’action » pour pallier les lacunes de son dossier de candidature, « ni même pu discuter de cette possibilité ». Canada Soccer a simplement mentionné « que l’ASB ne l’a pas demandé ».

L’arbitre Robert Néron a conclu que « non seulement ce commentaire est inapproprié, mais Canada Soccer avait une obligation absolue d’envisager la possibilité d’un plan d’action en l’espèce, ce qu’elle n’a de toute évidence pas fait ».

Et de même pour les finances du club. Selon l’arbitre, Canada Soccer ne pouvait se contenter de dire que les finances du club étaient « fragiles ». Il fallait expliquer pourquoi elles l’étaient et comment l’ASB pourrait corriger le tir.

Le 7 janvier 2023, l’arbitre a ordonné à Canada Soccer d’accorder immédiatement la Reconnaissance nationale de club juvénile à l’ASB.

Une histoire pas encore réglée

Les décisions du CRDSC sont finales et exécutoires, mais Canada Soccer s’est pourvue en révision devant la Cour supérieure de l’Ontario. Canada Soccer a demandé de suspendre l’exécution de la sentence arbitrale en attendant un jugement de la Cour sur le fond du dossier. Sans succès : la Cour a rejeté la demande de sursis et ordonné que la décision de l’arbitre soit appliquée.

C’est donc dire que l’AS Brossard aura une licence pour 2023. Le club de la Rive-Sud sera donc la 11e formation du circuit pour cette saison ainsi que celle de 2024.

Même si l’ASB a eu gain de cause pour l’instant – le jugement au mérite sera rendu ultérieurement –, MDubuc-Cusick continue de s’interroger sur ce qui a pu motiver Canada Soccer à demander la révision judiciaire du dossier.

C’est un peu questionnable, le fondement même du recours. J’ai tous les éléments en ma possession pour me poser la question sur les intentions réelles de Canada Soccer.

Vincent Dubuc-Cusick, avocat

« C’est sûr qu’en apportant la décision devant la Cour supérieure, ils exercent une pression financière importante sur un club dont leurs ressources devraient aller aux joueurs. On dit aussi, “OK, vous avez peut-être gagné, mais on va mettre des bâtons dans les roues pour que vous ne puissiez pas en bénéficier”. Et puisque Canada Soccer est une association pancanadienne, ils pourraient vouloir envoyer un message aux autres clubs en disant : “Si vous vous attaquez à Canada Soccer, vous êtes mieux d’avoir les poches profondes, car on va vous apporter à la limite”. »

Bonne nouvelle pour l’ASB : dans une autre décision du CRDSC portant sur l’attribution des frais du processus d’arbitrage, l’ASB a été en mesure de recouvrer une partie de ses frais juridiques. Elle a obtenu 23 616,93 $, soit 60 % des frais d’avocats de 39 361,56 $.

Une décision lourde de sens

Sur le plan sportif, les dommages sont bien réels. Selon Mme Maistrenko, 87 joueurs ont quitté l’ASB en faveur d’une autre organisation pour aller évoluer au niveau de la PLSJQ. Un exode qui sera freiné, selon elle, maintenant que le club pourra évoluer dans cette ligue.

Le cas de l’ASB n’est pas passé inaperçu. D’autres clubs ont tenté d’amener Canada Soccer devant le CRDSC pour les mêmes raisons. C’est notamment le cas du Club de soccer Mont-Royal Outremont (CS MRO) et d’un autre club, dont l’identité n’a pas été dévoilée pour l’instant.

Toutefois, la demande du CS MRO devant le CRDSC a été temporairement suspendue jusqu’à ce que la Cour supérieure de l’Ontario rende sa décision sur la demande de révision dans le dossier de l’ASB. Selon l’arbitre Roger Bilodeau, « Canada Soccer pourrait subir des dommages irréparables en l’absence d’une clarification par la Cour quant à la mise en application de son programme de Reconnaissance nationale ».

D’ici là, les yeux seront rivés sur la Cour supérieure de l’Ontario, alors que l’ASB, le CS MRO et au moins un autre club sont tributaires de la décision.