Les joueuses canadiennes ont remporté l’or aux Jeux olympiques de Tokyo et la formation masculine va prendre part à deux tournois consécutifs de la Coupe du monde pour la première fois de son histoire.

Pourtant, les disputes entre Canada Soccer et ses équipes féminine et masculine retiennent tout autant l’attention que les succès sur le terrain.

Ce qui nous mène à cette semaine. Les joueuses de l’équipe canadienne de soccer ont été en grève pendant moins de 24 heures. Pourquoi ? Comment une telle crise a-t-elle pu arriver ? Une résolution est-elle possible ? Quels seront les impacts ? Tour d’horizon sur le bras de fer entre l’équipe féminine et Canada Soccer.

Pourquoi ?

L’équité (ou plutôt le manque d’équité), des coupes financières dans le programme et l’approche à grands pas de la Coupe du monde ont permis de réunir tous les ingrédients pour un cocktail explosif.

Un document publié sur Twitter par la capitaine Christine Sinclair illustre un écart massif de six millions de dollars entre le financement de l’équipe masculine et celui de l’équipe féminine. En 2021, l’équipe masculine aurait eu droit à un budget de 11 millions de dollars alors que les femmes ont eu droit à 5,1 millions. Même si ce sont des hausses par rapport à 2020, ça demeure un budget inégal, en 2021 du moins.

La goutte qui a fait déborder le vase, c’est une coupe budgétaire alors que l’équipe canadienne est en pleine préparation pour la Coupe du monde. Et ce, cinq mois avant ledit Mondial disputé en Australie et en Nouvelle-Zélande.

« C’est assez dégoûtant de devoir demander d’être traitées sur un pied d’égalité. […] Nous en avons vraiment assez. Et c’est quelque chose qui ne me déçoit même plus. Je suis juste en colère. Parce qu’il est temps, nous sommes en 2023 », a lancé l’attaquante Janine Beckie, mardi, lors d’une visioconférence organisée par les joueuses.

PHOTO NEIL DAVIDSON, LA PRESSE CANADIENNE

Janine Beckie, Christine Sinclair et Quinn

Les joueuses auront moins de séances d’entraînement pour se préparer pour le Mondial que les hommes, un personnel d’entraîneurs réduit et pourront inviter moins de joueuses au camp d’entraînement. Des décisions qui pourraient avoir un impact sur le résultat sur le terrain.

« Nous avons gagné les satanés Jeux olympiques et nous sommes sur le point d’aller à la Coupe du monde avec une équipe qui pourrait triompher. Donc nous nous attendons à être préparées de la meilleure façon possible pour aller gagner une Coupe du monde », a-t-elle ajouté.

Comment en sommes-nous arrivés là ?

Exactement une semaine avant le coup d’envoi de la Coupe SheBelieves, qui s’entame ce jeudi contre les Américaines, les joueuses ont présenté leurs revendications à Canada Soccer, sans recevoir de réponse.

Vendredi, le syndicat de l’équipe féminine, la Canadian Players Association, a publié un communiqué pour annoncer qu’elles étaient en grève et prévoyaient boycotter la Coupe SheBelieves. Elles ont eu l’appui de la sélection masculine dans leur démarche.

À noter que la convention collective des femmes est échue depuis 2021 et que les hommes n’ont toujours pas de contrat de travail depuis la création de leur syndicat.

« On est passés par là, nous aussi », relate James Pantemis, gardien du CF Montréal et membre de l’équipe masculine canadienne. « Ça se règle maintenant entre nous et nos avocats, mais j’espère qu’ils vont trouver une solution rapidement puisque c’est une année très importante pour les femmes. »

De retour à notre imbroglio principal.

Vingt-quatre heures plus tard, Canada Soccer a annoncé avoir « forcé » la fin de la grève des joueuses. Le syndicat des représentantes de l’unifolié a affirmé que selon Canada Soccer, leur grève était « illégale » aux termes de la loi ontarienne et que les joueuses devaient immédiatement revenir sur le terrain pour éviter « des millions de dollars de dommages et intérêts ».

Fin de la grève. Pour l’instant.

Les pistes de solution

Selon le journaliste Rick Westhead de TSN, le syndicat des joueuses a demandé mardi un document leur permettant de ne « pas se rapporter au conseil d’administration » à un conciliateur nommé par le gouvernement. Le document déposé auprès du ministre du Travail de l’Ontario indique qu’il est impossible de parvenir à un accord avec Canada Soccer dans le cadre des négociations d’une convention collective pour 2023.

Quand les joueuses auront l’aval du ministre, elles pourront déclencher un compte à rebours de 17 jours avant que le syndicat ne soit habilité à lancer une grève légale, a déclaré une source à Westhead.

Ce qui veut dire que les Canadiennes pourraient rater leur match contre les Françaises lors de la prochaine pause internationale en avril, si grève il y a.

Ce qui pourrait contribuer à dénouer l’impasse, c’est la pression du monde politique, qui commence à s’accentuer sur Canada Soccer. Trois députés – un libéral, un conservateur et un néo-démocrate – qui siègent tous au comité de la Chambre sur le patrimoine canadien, ont déclaré au Globe and Mail mardi que la culture et les pratiques financières de Canada Soccer devraient être examinées de près et ont sollicité un témoignage de Canada Soccer.

Tombeurs des têtes dirigeantes de Hockey Canada, ils souhaitent que le comité se penche sur l’organisation. Ils ont dit qu’ils espéraient que cela se produirait en mars, avant une autre enquête du comité sur la sécurité du sport au Canada.

« Le comité du patrimoine est totalement indépendant et il fait un travail approfondi sur la gouvernance des organisations sportives nationales et s’il veut poser des questions à Canada Soccer, je pense que c’est une bonne chose », a dit la ministre fédérale des Sports, Pascale St-Onge, mardi, avant d’ajouter qu’elle aurait des discussions avec les joueuses de l’équipe.

PHOTO PATRICK DOYLE, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Pascale St-Onge, ministre fédérale des Sports

Si jamais aucune solution n’est trouvée, les équipes féminine et masculine ont demandé la tête des dirigeants de Canada Soccer. La formation masculine a été encore plus loin en exhortant la ministre Pascale St-Onge à « intervenir pour remplacer les dirigeants de Canada Soccer ».

Toutefois, ce qui peut venir compliquer la tâche des deux parties, c’est la présence du Canada Soccer Business (CBS), organisation tierce chargée de gérer les droits de diffusion des équipes nationales et des contrats des commanditaires. Cet organisme, qui sera en fonction jusqu’en 2027, lie les mains des dirigeants de Canada Soccer.

De son côté, CBS a tenu à mentionner qu’elle était prête à bonifier les fonds pour l’équipe féminine, sans avancer de proposition concrète.

Des répercussions réelles

Outre les mines déconfites et le moral bas, il y a d’autres conséquences tangibles à cette longue guerre.

Sinclair a dit mardi qu’elle et ses coéquipières étaient « au bout du rouleau ». Le cas de la vétérane Sophie Schmidt en témoigne.

Schmidt a annoncé sa retraite internationale mardi lors de la visioconférence des joueuses. Elle disputera la Coupe du monde en juillet, mais elle accrochera ensuite ses crampons.

En fait, elle a confié samedi à l’entraîneuse-chef Bev Priestman qu’elle prenait sa retraite internationale et voulait rentrer à la maison sur-le-champ, mais cette dernière lui a demandé de repousser sa décision. Finalement, Sinclair l’a convaincue de représenter le Canada jusqu’au Mondial.

Schmidt a été « ébranlée par les situations » dans lesquelles les joueuses canadiennes se trouvent en ce moment.

Bev Priestman elle-même s’est retrouvée au cœur de rumeurs de départ. Selon le quotidien britannique The Guardian, elle intéresse plusieurs clubs. La principale intéressée a confirmé mercredi avoir eu « plusieurs occasions après les Jeux olympiques », mais qu’elle demeure « engagée auprès du groupe ».

La plus évidente répercussion pourrait être sur le terrain. Avec moins de ressources et potentiellement moins d’entraînements, il faut être optimiste pour croire que les Canadiennes pourront émuler leur succès survenu aux Jeux de Tokyo en 2021.

Avec des informations de La Presse Canadienne