(Québec) La Cour d’appel se penche sur une question qui pourrait avoir un impact important sur la pratique du sport amateur au Québec : est-il discriminatoire de séparer les jeunes enfants en équipes féminines et masculines ?

« Je suis très intéressée par le jugement qui sera rendu dans ce dossier », indique en entrevue Isabelle Charest, ministre responsable du Sport.

« Quand je suis venue en politique, une de mes priorités était qu’il y ait plus de filles dans le sport, car le décrochage des filles dans le sport est un réel problème », dit-elle.

Le tribunal se penche sur le cas de cette mère de Montréal, qui ne comprend pas pourquoi en 2016 ses filles alors âgées de 4 et 5 ans n’ont pu jouer dans la même équipe de soccer que deux de leurs amis garçons.

La cause de la mère, Karine Bellemare, est défendue par la Commission des droits de la personne, qui estime que séparer les garçons et les filles de 4 à 8 ans est discriminatoire et contraire à la Charte des droits et libertés de la personne.

Les Braves d’Ahuntsic ont remporté un jugement de première instance. Le 21 mai 2021, le Tribunal des droits de la personne, présidé par le juge Luc Huppé, a rejeté le recours. Dans sa décision, le magistrat note que l’équipe offre des services similaires aux garçons et aux filles.

Les témoignages entendus par le Tribunal permettent de comprendre que la séparation des groupes en fonction du sexe des enfants ne repose clairement pas sur des stéréotypes à l’endroit des filles ou sur une attitude discriminatoire à leur endroit.

Extrait de la décision du juge Luc Huppé

La Cour d’appel a entendu la cause cette semaine. Elle tranchera dans les prochains mois.

Soccer Québec réagit

Soccer Québec indique qu’à l’heure actuelle, les clubs sont libres d’organiser des équipes mixtes ou non chez les moins de 8 ans. La mixité disparaît après cet âge, car les compétitions font leur apparition, et elles ne sont pas mixtes.

« Ce qu’on voit de plus en plus dans les clubs, c’est que la mixité est offerte de 4 à 8 ans », indique le directeur général de la fédération, Mathieu Chamberland.

Il reste que plusieurs clubs séparent les enfants selon leur sexe dès l’âge de 3 ans.

Certains clubs décident de séparer les gars et les filles, mais tous offrent les mêmes services aux garçons et aux filles.

Mathieu Chamberland, directeur général de Soccer Québec

La mère qui a porté la cause devant les tribunaux indique que lorsqu’elle s’est plainte au directeur technique du club, elle s’est fait répondre que les filles étaient « plus fragiles ».

« Ce que je peux dire, c’est que ce n’est pas ce qu’on pense à Soccer Québec et ce n’est pas ce qu’on apprend à nos membres », lâche son directeur général.

Une question complexe

En parallèle aux aspects légaux de la non-mixité, et de son caractère discriminatoire ou non, plusieurs chercheurs s’intéressent à son impact sur la persévérance des jeunes filles.

« Je pense que dans un monde idéal, on devrait séparer les enfants sur la base des compétences physiques ou tactiques », lance Guylaine Demers, professeure au département d’éducation physique de l’Université Laval.

La mixité est un bel endroit pour défaire des stéréotypes, de ne pas dire qu’on sépare les garçons des filles, car les garçons sont meilleurs.

Guylaine Demers, professeure au département d’éducation physique de l’Université Laval

Mais elle concède que ce scénario « idéal » est loin de la réalité du terrain. Les études montrent même que les filles sont « souvent défavorisées » dans un contexte de mixité.

« La mixité en soi, ce n’est pas bon ou mauvais. Ça dépend du contexte », nuance-t-elle.

« L’abandon du sport arrive plus tôt chez les filles. Et la mixité peut être un facteur qui les amène à abandonner », note celle qui est directrice du Laboratoire pour la progression des femmes dans les sports au Québec. « En soccer, on a des exemples de petites filles qui perdaient toute leur motivation parce que les garçons ne leur faisaient pas de passes. »

Inversement, la non-mixité peut être discriminatoire si, par exemple, les filles se retrouvent avec les mauvais terrains, les mauvaises cases horaires, un encadrement de moindre qualité…

La question est donc complexe. Le Laboratoire a commencé un important programme de recherche sur la mixité dans le sport, et plusieurs fédérations québécoises souhaitent y participer. La ministre responsable du Sport attend avec intérêt les résultats de ces travaux.

« Le but, c’est d’avoir un argumentaire pour dire : voici les meilleures pratiques. Parce qu’ultimement, mon objectif, c’est d’avoir plus de filles dans le sport, affirme Isabelle Charest. Je veux juste que les filles trouvent leur compte dans le sport. Je veux qu’elles accrochent et maintiennent ces habitudes toute leur vie. »

Le débat sur la mixité, dit-elle, doit se faire dans la nuance. « Il y a des arguments qui ont du sens, non des stéréotypes niaiseux sur le fait que les filles frappent moins fort ! »