« Il pue le foot, ce petit. »

Ces mots, de la bouche de Wilfried Nancy, se veulent bel et bien un compliment.

À l’endroit d’Ismaël Koné, jeune pépite du CF Montréal. Et son entraîneur-chef n’est pas le seul à l’encenser. Son talent, « on ne va pas se le cacher, ça saute aux yeux », dixit l’adjoint de Nancy, Laurent Ciman.

« C’est une belle histoire », estime Olivier Renard, directeur sportif du CF Montréal.

« J’ai vu tout de suite […] qu’il était un joueur vraiment spécial », lance Rocco Placentino, directeur technique du club formateur d’Ismaël Koné, le CS Saint-Laurent.

Ces éloges s’ajoutent à ceux qui viennent de toutes parts depuis février, lorsque le milieu de terrain de 19 ans a fait des débuts professionnels à tout casser avec le bleu-blanc-noir.

Parce que oui, le soleil brille fort sur Ismaël Koné en ce printemps morne. Attention de ne pas se brûler, prévient Laurent Ciman.

Il a un grand avenir devant lui. S’il arrive à garder les pieds sur terre et à travailler comme il le fait présentement, c’est certain qu’il ne va pas rester très longtemps avec nous.

Laurent Ciman au sujet d’Ismaël Koné

PHOTO KATIE STRATMAN, USA TODAY SPORTS

Ismaël Koné, le 2 avril dernier, contre le FC de Cincinnati

Ça tombe bien. Le principal intéressé prône le même réalisme.

« Si j’arrête de travailler, je ne serai plus aussi bon, philosophe Ismaël Koné lorsque nous le joignons par téléphone. Et si je ne suis plus aussi bon, on ne parlera plus de moi. Cette lumière, elle va s’éteindre. »

En entretien avec La Presse, le jeune milieu de terrain du CF Montréal peut déjà étaler certains de ses constats.

« Ce que je réalise quand tu te rends à ce niveau-là, c’est que tout le monde a des qualités. Tout le monde est peut-être aussi rapide que toi, aussi technique, aussi vif, aussi explosif. Mais à ce niveau-là, la différence, c’est le mental.

« Le mental, et le travail », ajoute-t-il, peut-être pour éviter de citer Les Boys trop directement.

Koné a joué son premier match chez les pros le 23 février au Stade olympique, contre Santos Laguna, en Ligue des champions. Une victoire de 3-0 au cours de laquelle il a marqué son premier but, en plus d’en être titulaire. En sept matchs MLS, il a inscrit un autre but et ajouté trois passes décisives. Puis il a été rappelé pour la première fois avec l’équipe canadienne, enregistrant 55 minutes en deux matchs de qualifications pour la Coupe du monde.

« C’est beaucoup pour un jeune de 19 ans », convient Rocco Placentino.

« C’est spécial parce que d’habitude, une fois que tu rentres dans le monde professionnel, ça prend du temps avant d’entrer dans le programme national, explique-t-il. Mais lui, tout s’est passé en 35 jours. Je pense qu’il a vraiment bien pris ça. Ce n’est vraiment pas facile, ce qu’il est en train de faire. »

Placentino envoie encore des textos « tous les jours » à Koné. Quelle en est la teneur ?

« Chaque fois que je finis mon texto, je lui dis : “N’arrête jamais de travailler” [do not stop grinding]. C’est là-dessus qu’il se concentre maintenant. Il va faire ça pour sa famille, pour ses proches. Il doit penser comme ça. »

« Tout ce que je connais, c’est le Canada »

PHOTO ARNULFO FRANCO, ASSOCIATED PRESS

Ismaël Koné (à gauche) est membre de l’équipe canadienne.

Ismaël Koné est arrivé à Montréal à l’âge de 7 ans, en 2010. « J’allais avoir 8 ans », tient-il à préciser.

Sa mère et lui ont quitté la Côte-d’Ivoire pour fuir la guerre civile. Deux membres de sa famille l’ont depuis rejoint, mais le reste de sa communauté y est restée.

« Ils sont tous là-bas. Mon père, ma grand-mère, mes oncles, mes cousins, mes tantes », énumère-t-il.

Au-delà du changement draconien de température entre Abidjan et Montréal, c’est surtout l’adaptation en ce qui concerne la distance avec ses proches qui a été « un peu compliquée ». « Mais au fur et à mesure que les années avançaient, je m’habituais. »

On sent donc que le lien avec son pays natal est encore fort. Assez pour décider de s’aligner avec la Côte-d’Ivoire plutôt que le Canada ? « C’est la question du moment, celle-là. En ce moment, je n’ai pas eu trop le temps d’y penser, avec mon retour au club et tout ça. »

Par rapport à ma famille, je sais qu’il y en a quelques-uns qui aimeraient bien que je retourne jouer en Côte-d’Ivoire. Mais après, le choix me revient.

Ismaël Koné

Parce que non, malgré ses deux participations dans la sélection de son pays d’adoption, il n’est pas encore lié définitivement au Canada pour sa carrière internationale. Règles de la FIFA concernant les joueurs de moins de 21 ans obligent. Théoriquement, Ismaël Koné pourrait donc encore porter les couleurs ivoiriennes. Il devrait toutefois attendre trois ans avant de le faire.

Il reste que l’appel de la Coupe du monde dès cette année pourrait faire se dissiper tous les doutes assez rapidement.

« Vraiment, si je suis appelé [par le Canada], ce serait un rêve. Les coachs, les joueurs m’ont tellement bien accueilli, je me sens bien là-bas. J’ai grandiici. Tout ce que je connais, c’est le Canada. Représenter le Canada pour moi, ce serait un honneur. Aller à la Coupe du monde, ce serait parfait pour moi. »

Un parcours loin du CF Montréal

PHOTO DALE ZANINE, USA TODAY SPORTS

Le 19 mars dernier, Ismaël Koné a compté un but contre l’United d’Atlanta.

Ismaël Koné a commencé à jouer au soccer à son école de Notre-Dame-de-Grâce. Il a ensuite rejoint les moins de 17 ans au CS Saint-Laurent en 2019.

« Il était avec nous pour les nationaux U17, raconte Rocco Placentino. Il a fait un grand tournoi. Il a marqué de beaux buts, on a gagné la médaille de bronze. »

Placentino remarque dès lors le « respect » dont il fait preuve envers ses coéquipiers, ses entraîneurs et les parents. « Il est entré dans notre famille assez facilement. »

Koné rencontre ensuite son agent, qui l’envoie faire des essais en Belgique. Il s’entraîne avec deux clubs de la Jupiler Pro League, la première division, dont le KRC Genk. Mais la COVID-19 vient contrecarrer les plans, et il doit rentrer au Canada.

Jusque-là dans son parcours, vous remarquerez peut-être un absent de taille : le CF Montréal.

Selon Rocco Placentino, si Ismaël Koné était bel et bien « dans les yeux du CFM » à l’époque, il n’a toutefois pas pu s’inscrire à son programme de sports-études.

Ce sont plutôt les contacts d’Olivier Renard, directeur sportif du club, qui lui ont finalement permis de faire son arrivée dans le giron du bleu-blanc-noir.

« J’ai connu Ismaël Koné parce qu’il est parti en test en Belgique dans le club où mon fils jouait, explique Renard, au bout du fil. Via, via, j’ai entendu qu’il y avait un jeune Canadien qui avait des qualités. Puis la COVID-19 a explosé là-bas. J’ai pris contact avec son agent qui a plusieurs joueurs dans notre équipe, et je l’ai invité à faire un test.

« Moi, je n’ai pas eu de contact avec [les gens du CS St-Laurent]. Oui, ils ont certainement participé à l’évolution du garçon, et c’est tant mieux, mais il n’y a jamais personne qui me l’a proposé. C’est vraiment grâce à quelqu’un du club où mon fils jouait en Belgique que c’est remonté à la source du CF Montréal. Moi, je n’ai jamais eu de contact avec ce club. Rien du tout. »

« J’ai énormément appris avec lui »

PHOTO NATHAN RAY SEEBECK, USA TODAY SPORTS

Le 27 février, Ismaël Koné (28) jouait son deuxième match professionnel avec le CF Montréal contre Orlando City.

Koné s’entraîne donc avec le CF Montréal en 2021, sans contrat professionnel en vertu de certaines règles de la MLS. Olivier Renard peut finalement lui faire signer un pacte en août de cette année-là, bon jusqu’en décembre 2022.

Mais déjà en 2021, il transpirait le talent. Et faisait même cheminer son propre entraîneur.

« Je vais être honnête, je fais ce métier-là pour ça, explique Wilfried Nancy. Je ne le fais pas pour gagner ou perdre. […] Je le fais pour aider des personnes à évoluer et grandir. »

Ismaël, j’ai énormément appris avec lui. […] On a vu un potentiel super intéressant chez lui, mais il n’avait jamais été dans une Académie. Il a toujours été dans des clubs à Montréal et c’est bien pour lui, il s’est développé là-bas.

Wilfried Nancy

« La vérité, c’est que quand il est arrivé, il ne connaissait rien sur le plan d’une structure professionnelle. Du coup, moi, j’ai été obligé de mettre mon rôle de boss de côté et de faire de l’éducation avec lui. Attention, je ne remplace pas son papa ou sa maman. Je parle d’éducation footballistique. […] Je suis vraiment fier de lui parce que c’est une personne qui a évolué. Il avait confiance en lui, mais maintenant, il joue sur la confiance, son humilité et son ambition aussi. »

Oui, Koné est ambitieux.

« L’année passée, j’étais en voiture avec lui et je l’emmenais à un de ses premiers matchs avec le CFM, raconte Placentino. On discutait, je lui disais que j’étais content pour lui. Il a dit : “Oui, on commence ici, mais mon objectif, c’est de jouer dans un grand club en Europe.” C’est ça, sa vision, de jouer au plus haut niveau. Pour faire ça, il doit être discipliné. »

Le joueur est d’accord.

« C’est le travail qui va faire la différence, estime Koné. Ta manière de vivre, comment tu te comportes, comment tu vis en dehors du foot, c’est très important. […] Si tu ne travailles pas, c’est quoi ? »