Le directeur sportif du CF Montréal a beaucoup magasiné pendant l’entre-saison. À quelques semaines du début du calendrier, discussion sur le recrutement, la stabilité, l’exil et le camp d’entraînement.

« Tu pourrais poser la question à ma femme, elle va te dire que ça fait cinq, six ans que je ne regarde plus de films avec elle. » En soirée, sur sa tablette, Olivier Renard regarde des matchs. Beaucoup de matchs.

Normal pour un directeur sportif, pourrait-on croire. Pourtant, non. Pas nécessairement.

Il y a différents styles de DS, souligne Renard. L’un d’eux est plutôt de « type bureau ». Celui qui lit beaucoup de rapports de recrutement, puis se réunit avec son groupe de terrain.

« Peut-être que lui va avoir les cinq ou les deux dernier joueurs à regarder, qui vont avoir été décidés par le recruteur en chef. Moi, je ne fonctionne pas comme ça », explique le directeur sportif du CF Montréal.

Il faut dire que son équipe de recrutement, à Montréal, est très mince. Son adjoint Vassili Cremanzidis, le recruteur à temps plein Raffaele Frassetti, un statisticien et lui-même, qui fait office de recruteur en chef, en plus de son rôle de directeur sportif. C’est tout.

Au Standard de Liège, où il a été directeur sportif et directeur du recrutement, cinq personnes travaillaient avec lui.

Je pense qu’une équipe comme ça serait plus ou moins le minimum à avoir. [Trois], ce n’est pas beaucoup. Pas assez. Mais, en même temps, ce n’est pas la réalité parce qu’on a le scouting de Bologne aussi.

Olivier Renard

Avec les recruteurs du Bologne FC – également propriété de Saputo –, Olivier Renard compte indirectement sur une équipe plus imposante que celle dont il disposait au Standard.

Une équipe qui offre aussi l’avantage d’avoir la même philosophie de recrutement que celle du club montréalais, axée sur la jeunesse. Et qui a des yeux en Europe – évidemment – et en Amérique du Sud.

« Alors, pourquoi aller payer d’autres recruteurs quand tu as déjà une équipe à Bologne ? demande le Belge. Toutes leurs données, je les reçois. Donc, notre équipe scouting est quand même assez large. »

Donner la chance

Quel que soit le nombre de recruteurs, il y a d’abord la façon de faire. Et celle qu’Olivier Renard applique à Montréal est la même qu’il préconisait dans son pays d’origine. Bien sûr, sans pandémie et avec des distances à parcourir bien plus courtes qu’en MLS, il voyait davantage de matchs live.

Mais, en Europe ou ici, Renard est fidèle à ses habitudes. Les piles de rapports, très peu pour lui.

« J’ai besoin d’avoir des gens qui sont réactifs, qui connaissent le marché, qui connaissent la réalité de la MLS, des gens capables de me dire des choses en peu de temps. Par exemple, si on a besoin d’un défenseur pied droit, dans la demi-heure, je peux avoir une liste de cinq, six, sept joueurs.

Moi, avoir des rapports où c’est écrit : “Ce joueur n’est pas assez fort pour le CF Montréal’’, très honnêtement, je m’en fous. Parce que s’il n’est pas assez fort, ne perds pas ton temps à l’ordinateur à taper un texte de trois, quatre pages pour, à la fin, avoir comme bilan du joueur qu’il n’est pas assez bon. Ça ne m’intéresse pas.

Olivier Renard

Ce qui l’intéresse, on y revient toujours, c’est de visionner des matchs. Surtout pour trouver de jeunes joueurs qui ont devant eux une bonne « marge de progression ». Entre le contenu envoyé par les agents à celui transmis par des relations forgées au fil du temps, en passant par la deuxième division turque, il regarde tout.

« Je suis persuadé, et je l’ai déjà prouvé, que tu peux trouver de la qualité qui joue à un niveau inférieur, affirme l’ex-gardien de but, exemples à l’appui. Parfois, il faut seulement donner la chance à ces jeunes d’évoluer plus haut. Et moi, j’aime bien donner cette chance-là. »

Ce principe, il peut se vérifier dans tous les métiers, dit-il, évoquant au passage le monde étoilé de la restauration. Mais dans celui du football, la valeur d’un tel flair peut rapidement se traduire en millions.

« Je pars du principe que ça arrive tellement souvent qu’un joueur est acheté pour, je vais dire, 1 million de dollars et qu’un an plus tard, il est vendu pour 10 millions de dollars. Alors qu’on parle toujours du même joueur… Et quand tu vas chercher le joueur à 10 millions, c’est : “Wow, on a fait un gros effort, on est allés chercher ce joueur-là.” Mais si tu avais été le premier sur la balle l’année avant, tu le prenais à 1 million. Donc, c’est ça que j’aime bien faire. »

Un intérêt qui a mué en nécessité dans le contexte budgétaire actuel.

« Bien sûr, parfois, tu fais des erreurs. Mais à l’école, je n’avais pas 100 % et quand je rentrais à la maison et que j’avais 80 %, mes parents étaient contents », image-t-il, un sourire dans la voix.

« Rarement sous pression »

Un directeur sportif ne peut pas viser que les grands coups de ce genre. Il faut parfois ranger la boule de cristal.

Toute formation doit mettre la main sur des joueurs dont la contribution est immédiate, même s’ils ont déjà atteint leur plein potentiel. Dans le cas du CF Montréal, « de bons joueurs à prix raisonnable ». Des Bjørn Johnsen, par exemple.

« Parce que Cristiano Ronaldo ne viendra jamais au CF Montréal… », lâche Olivier Renard.

Ces légendes ne courent pas les rues. Montréal a eu la sienne, en 2015, avec Didier Drogba.

Mais de bons rapports qualité-prix, dans un sport que pratiquent presque toutes les nations du globe, il n’en manque pas. « C’est aussi pour ça que je suis très rarement sous pression, laisse tomber Renard, bien que calme à la base. Il y a tellement de joueurs et tellement qui sont libres, que je pars du principe que si ce n’est pas lui, ce sera un autre. »

Tu ne dois pas casser la tirelire ou devenir fou si tu rates un joueur. L’important, c’est d’être prêt. Et ne pas être prêt, ça ne fait pas partie de mon vocabulaire.

Olivier Renard

C’est pourquoi il a toujours sous la main une liste de quatre à six joueurs par position qui ont été vus, analysés et qui intéressent le club. En cas de blessures. Et, éventuellement, de transferts.

Parce qu’avoir le mandat de rajeunir l’équipe, de développer, ça implique la possibilité – voire le souhait – de parfois revendre un joueur à fort prix.

Mais, ultimement, que ce soit en mode vente ou achat, l’idée demeure la même : tenter de faire les bons choix. En mode acquisition, cela inclut celui de ne pas céder devant les joueurs trop gourmands.

« Oui, le salaire compte. Pour tout le monde. Mais je ne vais pas faire de folie et que le garçon vienne chez moi seulement parce qu’il a de gros chiffres sur le contrat. »

Et, pour Olivier Renard, c’est aussi d’aller au-delà de ce qu’il voit sur le terrain. En Europe, il ne se déplaçait pas seulement pour voir les matchs. Il voulait rencontrer, non seulement le joueur, mais aussi sa famille.

« Parce qu’il y a l’intelligence footballistique et celle, globale, de la vie. Et ça peut être deux choses vraiment différentes, souligne-t-il. Tu peux avoir des gens qui sont un peu fous en dehors du terrain, mais pour qui sur le terrain, tu ne remarques pas cette folie. Et ça, c’est le plus difficile. Prendre le maximum d’informations pour ne pas avoir un garçon qui va venir t’exploser le vestiaire parce que dans la vie de tous les jours, il est complètement fou. »

Rajeunir d’abord, stabiliser ensuite

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Le nombre de nouveaux joueurs est grand encore cette saison chez le CF Montréal.

L’effectif du CF Montréal n’a pas été d’une grande stabilité ces dernières années.

Cinq des onze partants du début de la saison 2020 sont partis. Que l’on utilise comme référence le match CONCACAF de février au Costa Rica ou bien le premier en MLS, au Stade olympique contre la Nouvelle-Angleterre, le chiffre est le même.

Évidemment, la pandémie a son mot à dire dans l’équation. Qui sait, Bojan, par exemple, aurait peut-être été de retour dans un contexte « normal ».

N’empêche, lors de l’entre-saison précédente, la COVID-19 n’était pas dans l’air. Malgré cela, du onze partant du lever de rideau 2019, le 2 mars à San Jose, six joueurs n’étaient plus de la formation montréalaise au début de l’année dernière.

Si l’on recule un an de plus, du onze inaugural de 2018, sept étaient du coup d’envoi en 2019. Moins de mouvement, sans surprise, puisque Rémi Garde était à la barre dans les deux cas.

Olivier Renard est arrivé comme directeur sportif du club montréalais en septembre 2019.

« C’est sûr », instaurer une plus grande stabilité est souhaitable, admet-il.

Mais, d’une part, « la stabilité ne vient qu’après des résultats », plaide logiquement le DS. Or, la dernière saison gagnante du CF Montréal remonte à 2015 (15-13-6). Avait suivi une campagne de ,500 (11-11-12).

D’autre part, en l’attirant vers le Québec, on lui a confié le mandat de rajeunir l’effectif, rappelle Renard. Tâche dont il s’est acquitté plutôt rapidement.

Maintenant, l’idée n’est pas de faire 10, 15 joueurs chaque mercato, de faire de l’import-export, mais d’avoir une équipe jeune et d’essayer de la garder ensemble le plus longtemps possible. Après, si tu as 10 demandes pour vendre 10 joueurs, ça veut dire que tu as eu de bons résultats…

Olivier Renard

Ce n’est pas l’objectif. Le chiffre est volontairement exagéré. Mais il illustre que la mobilité peut venir tant des succès que de l’inverse, finalement. Et on ne peut se priver d’un important rendement de l’investissement. Ça fait partie du sport.

« Dans le football, le joueur le plus important n’est pas celui que tu vends, c’est celui qui va arriver », souligne le directeur sportif. Dans un monde idéal, il fera oublier celui qui vient de partir.

Au bout du compte, l’atteinte d’une certaine stabilité de l’effectif est un but louable. Mais, en parallèle, celui de l’autofinancement l’est également.

« Tu dois vivre aussi de ce que tu vends, note Olivier Renard. Si, avec l’argent reçu d’un ou deux joueurs, tu peux aller en chercher quatre bons, dont, disons, un sera une déception et trois iront bien, et que de ces trois, tu en revends à nouveau deux, à la fin, la tirelire grossit et ça va te permettre des investissements plus grands. »

C’est ainsi qu’il a construit au KV Malines, puis au Standard de Liège, affirme-t-il.

« J’ai commencé avec un budget restreint, et après, tu vis avec la plus-value que tu génères. »

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

L’entraîneur-chef du CF de Montréal, Wilfried Nancy

Et le coach ?

Si le personnel a beaucoup bougé à l’intérieur de la surface, c’est aussi vrai sur les lignes de côté. Après Garde et Henry, Wilfried Nancy est devenu le troisième entraîneur-chef différent en trois débuts de saison. Sans oublier le bref passage de Wilmer Cabrera en 2019.

En Europe, il est rare qu’un coach reste cinq ou six ans avec le même club, indique Olivier Renard. Même plus de deux, en fait, ajoute-t-il.

Quoi qu’il en soit, plus de stabilité de ce côté semble également requise chez le CF Montréal.

À ce sujet, sans qu’on l’y invite, le directeur sportif explique sa philosophie contractuelle. À l’évidence, il n’a pas aimé entendre ou lire le fait que de n’accorder qu’un an de contrat ferme à Wilfried Nancy était d’abord le reflet d’une certaine appréhension envers l’inexpérience du nouveau pilote dans les souliers de chef.

De façon générale, que ce soit avec les joueurs ou les entraîneurs, il préfère les ententes à court terme, fait-il savoir. Par simple sens des responsabilités économiques.

C’est facile de dire des choses quand ce n’est pas ton argent. Mais mettre quelqu’un dehors deux ans avant le terme et continuer à le payer, ça fait mal.

Olivier Renard

En outre, il croit à l’élément motivation du court terme.

« Je l’ai connu dans ma carrière de joueur. Mon dernier contrat, qui était de cinq ans, automatiquement, et je ne suis pas gêné de le dire, je me suis retrouvé un peu dans une zone de confort, raconte-t-il. Et dans une zone de confort, tu n’es pas à 100 % dans ta tête. »

Le patron de Nancy le réitère. Évidemment, une participation aux séries serait la bienvenue, mais l’objectif est d’abord de faire progresser le club. Et, à ce chapitre, il a foi en son coach.

« Le fait de lui donner la place est déjà une grande marque de confiance. Ça vaut trois années, ça. Je trouve parfois un peu dommage qu’on rabaisse la signature de quelqu’un parce qu’elle n’est que d’un an. »