En entrant dans Pretoria, Daniel, le chauffeur, n'avait pu se retenir. «Je n'aime pas cette ville et je ne l'ai jamais aimée. Dans le temps de l'apartheid...»

Il s'était arrêté là. Mais il n'avait pas besoin d'en dire plus. Dans le temps de l'apartheid, Pretoria, ville afrikaner par excellence, était le siège du gouvernement raciste qui opprimait la majorité noire.

Mais hier soir, avant le match entre l'Afrique du Sud et l'Uruguay, le passé de Pretoria ne comptait plus. Dans les gradins du stade Loftus Versfeld et dans les rues résidentielles ombragées qui entourent ce qui est d'ordinaire le domicile des Bulls, une équipe de rugby chère au coeur des Afrikaners, on était en plein dans le présent. Et le présent, c'était la fête des Bafana Bafana, avec les vuvuzelas, les drapeaux multicolores et 42 658 spectateurs qui chantent à l'unisson l'hymne national sud-africain.

L'occasion était belle. En plein congé national - le jour de la Jeunesse, qui commémore le soulèvement réprimé dans le sang de 20 000 élèves noirs de Soweto, le 16 juin 1976 - les Bafana pouvaient, avec une victoire, s'approcher sérieusement du deuxième tour de la Coupe du monde.

Ça ne s'est malheureusement pas passé comme ça. L'Uruguay a gagné 3-0. Et les Sud-Africains sont confrontés aujourd'hui à la très forte possibilité de devenir le premier pays hôte de l'histoire du Mondial à être éliminé en phase de groupe.

La foule espérait mieux, après le verdict nul de 1-1 contre le Mexique en ouverture du tournoi. Malheureusement, les hommes de l'entraîneur Carlos Alberto Parreira n'ont jamais vraiment semblé dans le coup, même avant que le héros du match, Diego Forlan, ne marque le premier de ses deux buts, à la 24e minute.

L'attaquant de l'Atletico Madrid, qui a passé la soirée en maraude à travers la défense sud-africaine, s'est élancé d'une distance de 25 mètres. Son tir a dévié légèrement sur le capitaine Aaron Mokoena et la trajectoire tombante du ballon, qui a frôlé la barre horizontale avant de pénétrer dans le filet, a complètement mystifié le gardien Itumeleng Khune.

Forlan a poursuivi son excellente soirée de travail en marquant sur un penalty à la 80e minute, après que Khune eut été expulsé pour avoir fauché les pieds de Luis Suarez, parvenu seul devant lui.

Forcés de se défendre à 10, leur leader Steven Pienaar rentré sur les lignes de touche pour faire de la place au gardien remplaçant Moneeb Josephs, les Bafana vivaient sur du temps emprunté. Dans les gradins, l'exode avait déjà commencé quand, dans la dernière minute des arrêts de jeu, Alvaro Pereira a redirigé de la tête une passe de Suarez pour enfoncer le troisième et dernier clou dans le cercueil sud-africain. Forlan, encore lui, a été à l'origine du but, sa longue passe en travers de la surface trouvant Suarez à la gauche du gardien.

Les Uruguayens ont pris une sérieuse option sur la qualification pour la ronde des 16. En attendant le résultat de l'affrontement France-Mexique, aujourd'hui, à Polokwane, les doubles champions du monde (1930 et 1950) trônent en tête du groupe A avec quatre points, trois de plus que leurs trois rivaux.

Le carton rouge à Khune signifie qu'il ne pourra affronter la France lors du dernier match de groupe, mardi, à Bloemfontein. Une très mauvaise nouvelle pour les Bafana, qui doivent impérativement vaincre les Bleus s'ils veulent poursuivre leur chemin dans le tournoi.

Si les Bafana sont éliminés hâtivement, la grande inconnue sera de savoir si la vague d'enthousiasme qui balaie le pays depuis une semaine survivra. On pourrait bientôt entrer en terrain inconnu.