À une époque pas si lointaine dans l'histoire de l'humanité, les duels au pistolet pouvaient encore se substituer à la justice.

Le dernier duel mortel au Québec, ou plutôt dans le Bas-Canada, a eu lieu le 22 mai 1838, dans un village qui deviendra Verdun quelques mois plus tard.

Robert Sweeney, avocat et écrivain, invite alors le major Henry Warde à répondre de ses actes. Monsieur Warde, un célibataire notoire, flirterait par écrit avec l'épouse de Monsieur Sweeney.

À l'aube, ce matin-là, Sweeney venge son affront en atteignant son rival sous la septième côte gauche. Warde perd beaucoup de sang, mais la chute au sol constitue le choc fatal.

Au terme d'un procès très couru, Robert Sweeney est exonéré de tout blâme: la justice ferme généralement les yeux lorsqu'il est question de laver son honneur, ou le défendre, dans un duel.

Après un court exil dans le Vermont, Sweeney décède deux ans plus tard, et madame, au coeur du triangle amoureux, se remarie en 1843 avec un avocat célèbre, John Rose.

Paul Byron n'a pas flirté avec la femme de MacKenzie Weegar comme Warde avec l'épouse de Sweeney. Mais le 15 janvier, au Centre Bell, lors d'un match entre le Canadien et les Panthers, Byron, qui n'est pourtant pas réputé comme un joueur vicieux, a asséné une sournoise mise en échec à Weegar derrière le filet adverse. Weegar, en position vulnérable, a encaissé un coup à la tête et subi une commotion cérébrale. Il a raté deux semaines d'activité.

La LNH n'a pas tardé à régler le dossier. La Ligue a suspendu Byron pour trois matchs. Celui-ci a reconnu ses torts et offert ses excuses publiquement.

On croyait le dossier clos et l'incident avait probablement été oublié par une majorité de fans, jusqu'à ce que Byron ne jette ses gants sur la glace après l'invitation de Weegar hier soir au Centre Bell.

Il s'agissait du premier affrontement entre les deux hommes depuis l'incident puisque ni un, ni l'autre n'était en uniforme le 17 février lors du match entre ces deux équipes en Floride.

Weegar venait d'inviter Byron à laver son honneur. Le monde du hockey a évolué ces dernières années, mais il reste encore des relents de la vieille culture machiste dominante.

Même s'il concédait une cinquantaine de livres à son adversaire et que la LNH avait elle-même rendu justice, Byron a senti le besoin de répondre à l'invitation de son adversaire.

Dans son esprit, il aurait sans doute perdu la face non seulement aux yeux de ses adversaires, mais aussi de ses propres coéquipiers, puisque le «code» du hockey est ainsi fait.

Weegar n'est pas un dur à cuire, mais il possédait un avantage que Byron ne soupçonnait sans doute pas, il était gaucher. Byron n'a jamais vu l'uppercut de gauche arriver. Il s'est écroulé sur la glace, en position assise, comme un pantin désarticulé. 

Byron a eu besoin des arbitres pour retraiter vers les vestiaires puisque ses jambes ne le supportaient plus. Il n'est pas revenu dans le match, victime d'une commotion cérébrale.

Weegar semblait penaud au banc des punitions. Il a déclaré après le match avoir invité Byron à régler ses comptes, mais pas à l'avoir obligé à se battre. «Je ne voulais pas le blesser, a-t-il déclaré aux journalistes après la rencontre. Je lui ai seulement demandé s'il voulait répondre de ses actes. C'est quelque chose de propre au hockey. J'espère qu'il est correct.»

Claude Julien a déploré la perte de Byron. «C'est quelque chose qui s'est produit, a-t-il répondu aux journalistes, et j'aurais préféré que ça ne se produise pas. Si j'ai à gérer quelque chose, je le fais à l'interne. Je n'ai pas aimé le voir tomber sur la glace. Le reste, je vais le gérer à l'interne.»

L'entraîneur du Canadien aurait-il préféré que le combat ne se produise pas ou que le coup fatal ne se produise pas? Difficile à décoder. Mais la plupart des joueurs du Canadien, Carey Price le premier, ont félicité Byron d'avoir accepté l'invitation de Weegar. Le code, le code...

Le Canadien perd néanmoins un joueur important pour un incident déjà réglé par les autorités officielles. Avec une suspension de trois matchs, Byron avait déjà payé pour ses actes.

Byron avait redonné vie au quatrième trio. Il avait marqué un but dans chacun des deux matchs précédents et jouait en moyenne 15 minutes par match. Il avait déjà 30 points, dont 15 buts, en 54 matchs.

Les effets des commotions cérébrales sont désormais connus. L'ancien agitateur Daniel Carcillo, qui n'a jamais manqué de défendre le code, dénonce d'ailleurs presque quotidiennement la situation sur Twitter. Il aurait sans doute réagi comme Andrew Shaw s'il avait encore été actif.

Au collègue Arpon Basu, Shaw a parlé de l'incident comme d'une malchance banale. «C'est une chose que les joueurs de hockey font», a-t-il dit.

Shaw est pourtant bien placé pour comprendre les effets dévastateurs des commotions cérébrales. Depuis qu'il use d'un style de jeu un peu plus en finesse, Shaw connaît ses meilleurs moments en carrière. Encore deux aides hier, pour un total de 42 points en 58 matchs.

Byron a lavé son honneur hier soir. Mais il a mal à la tête aujourd'hui et il ratera fort probablement les prochains matchs. Weegar s'est fait justice, mais il est penaud aujourd'hui. Ce combat a-t-il vraiment réglé quelque chose?

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