(Tokyo) « Euh… Vous êtes certain qu’il n’y a pas un zéro de trop ? »
Non. Il n’y avait pas de zéro de trop. La grappe de raisins verts que je reluquais à l’épicerie fine du quartier était bel et bien affichée à 10 000 yens. Soit environ 115 $.
J’ai compté 20 grains.
Ça revenait à 5,75 $ le grain…
Je n’étais pas au bout de mes surprises. Dans la rangée suivante, les pommes étaient vendues 9 $ l’unité. Un melon d’eau ? 22 $. Deux mangues ? 80 $. Une boîte de neuf mandarines ? 85 $. Puis je suis arrivé devant la table des cantaloups. Tous mis en valeur dans des écrins de bois. Comme de bonnes bouteilles de vin, ou des bijoux précieux.
Les prix ? 145 $. 170 $. 190 $. 220 $.
Mais qui achète ça ? Surtout quand juste à côté, à moins de trois mètres, il y a des pommes, des mangues, des mandarines et des cantaloups 20 fois moins chers ?
J’ai posé la question à Benoit Hardy-Chartrand. Professeur de sciences politiques et de relations internationales à l’Université Temple de Tokyo, il habite ici depuis maintenant cinq ans. Il connaît bien les mœurs locales. À son arrivée au Japon, lui aussi a été étonné par le prix exorbitant de certains fruits.
« En fait, ces fruits sont achetés uniquement pour être offerts en cadeau », explique-t-il.
« La culture du cadeau est fort développée ici. Il est donc relativement commun d’offrir des fruits en cadeau. D’ailleurs, vous avez vu ça dans les épiceries fines, mais il y a des boutiques spécialisées dans les fruits de luxe. »
C’est le cas du magasin Sembikiya, dans le centre-ville de Tokyo, qui expose les grappes de raisins et les poires dans des présentoirs vitrés, comme le sont les amulettes au musée du Louvre.
« Ces fruits sont généralement cultivés par des fermiers indépendants, plutôt que par de grandes fermes commerciales, poursuit Benoit Hardy-Chartrand. Ces fermiers indépendants se spécialisent dans les fruits de luxe, en mettant l’accent sur l’apparence et la méthode de culture particulière du fruit. Il y a d’ailleurs des concours du plus beau melon, de la plus belle pêche, etc. »
Les plus beaux fruits sont également mis en vente aux enchères. Ils peuvent atteindre des prix à vous faire tomber dans les pommes. En 2019, une grappe de raisins Ruby Roman – les plus prisés au Japon – a été vendue pour 1,2 million de yens. Soit 13 800 $. Calcul rapide : c’est plus de 400 $ par grain !
Pensez-vous qu’ils font des chips aux Ruby Roman ?