« On a besoin d’histoires comme ça, qui vont faire comprendre au monde du hockey au Québec que c’est un marathon, pas un sprint. »

Jon Goyens s’enflamme quand il est question du parcours de Djibril Touré, son ancien protégé des Lions du Lac St-Louis. Des « histoires comme ça », c’est celle de Touré, défenseur format géant natif de Dorval, ignoré au repêchage de la LHJMQ, qui a attendu ses 19 ans avant de jouer dans le junior majeur, et qui détient maintenant un contrat de la Ligue nationale en bonne et due forme.

Touré était ce longiligne numéro 73 qui patinait à la ligne bleue des Sénateurs d’Ottawa mercredi soir, contre le Canadien, au Centre Bell. Les amateurs les plus mordus, qui avaient regardé le tournoi des recrues il y a deux semaines, se souviennent aussi peut-être de lui pour son combat contre Riley McKay, du Canadien.

À 6 pi 7 po, Touré fait tourner les têtes. Mercredi, à l’arrivée des joueurs des Sénateurs au Centre Bell, il n’était pas très dur à repérer dans le stationnement. Mais un tel gabarit vient aussi avec des inconvénients pour un hockeyeur, notamment sur le plan de la coordination. « Plus jeune, j’avais beaucoup de problèmes ! », convient-il, en entrevue avant la rencontre de mercredi.

« Souvent, quand on voit un grand comme lui, on sait que ça va être long avant qu’il soit à son aise dans son corps, mais on voyait qu’il n’avait pas fini de grandir. Et il était mince. Mais il était confiant avec la rondelle et tentait des jeux, au lieu de la dégager dans la baie vitrée », se souvient Goyens, entraîneur-chef au Lac St-Louis de 2009 à 2019.

Sauf qu’une fois venu le repêchage de la LHJMQ, tout le monde a passé son tour, ce que Goyens trouve « risible ». « J’entendais souvent le terme “projet”. J’ai du mal à croire que personne ne voulait d’un grand bonhomme, encore en croissance, qui vient d’une famille qui valorise le travail… On parle de deux jeunes qui travaillaient l’été pour aider à payer leur hockey. Ils ne sont pas nés au troisième but. Ils n’ont pas tout reçu dans la vie. »

Touré sourit quand on lui rapporte les commentaires de Goyens. « J’ai travaillé comme acteur [dans la version anglaise de 19-2], comme mannequin, j’ai travaillé chez IKEA, j’ai servi la crème glacée dans un dépanneur, ça, c’était super ! », énumère-t-il.

Cet été, mes parents m’ont dit que je pouvais arrêter de travailler et me concentrer sur le hockey. C’était la bonne décision ! Mais ils ont toujours insisté pour qu’on travaille fort, mon frère et moi.

Djibril Touré

C’est donc dire que pendant que les meilleurs de son âge étaient repêchés dans le junior majeur et pouvaient passer leurs étés à se concentrer sur le hockey, lui devait manger ses croûtes. A-t-il cessé d’y croire ?

« Pas vraiment, assure-t-il. Je savais que j’étais jeune et que la LHJMQ n’était pas la seule voie vers la LNH. C’était tôt dans mon développement. Je ne me connaissais pas encore beaucoup comme joueur. Ça m’a pris du temps à me développer, mais aujourd’hui, c’est formidable. »

La porte s’ouvre

Après une campagne 2020-2021 perdue en raison de la pandémie, Touré prend la direction de l’Ontario la saison suivante. À 18 ans, l’âge auquel il aurait pu être repêché dans la LNH, il se retrouve donc dans le junior A, à Carleton Place et à Hawkesbury.

Puis, à l’été 2022, les Wolves de Sudbury, de la ligue junior de l’Ontario (OHL), l’ajoutent à leur effectif. En août 2022, l’OHL place donc une « demande de joueur hors territoire », procédure qui permet à un joueur d’évoluer pour un autre circuit junior que celui de sa province. « Ce joueur n’était sur aucune liste de protection de la LHJMQ », confirme-t-on au circuit Cecchini.

Touré y amasse des statistiques offensives modestes (16 points en 57 matchs), mais Pierre Dorion, dont le fils a joué avec Touré à Hawkesbury, l’invite au camp de développement en juillet, puis au tournoi des recrues il y a deux semaines. C’est à l’issue de ce tournoi, le 21 septembre, que les Sénateurs lui font signer un contrat d’entrée de la LNH.

Son parcours n’est pas sans rappeler celui d’Arber Xhekaj. Les deux sont des défenseurs de très grande taille, jamais repêchés, qui ont décroché des contrats dans la LNH malgré des statistiques offensives modestes. « Mes coéquipiers blaguaient justement là-dessus, ils disaient que j’avais le même parcours que lui », reconnaît Touré.

C’est un très bon joueur et lui aussi m’inspire. Je suis heureux d’avoir reproduit son parcours à ma façon.

Djibril Touré, au sujet d’Arber Xhekaj

Xhekaj a toutefois accédé à la LNH en court-circuitant la Ligue américaine. Touré semble quant à lui destiné à passer par Belleville, si on se fie à son faible temps d’utilisation mercredi. N’empêche que son développement tardif devrait servir de leçon, estime Jon Goyens.

« Il faut se demander ce qu’on peut faire pour ne pas éliminer des jeunes trop rapidement dans le hockey mineur, fait remarquer Goyens. Il était grand, il semblait manquer de coordination. Ç’aurait été facile de dire qu’il n’est pas bon, qu’il patine comme Bambi.

« Il n’est pas le seul. Jonathan Marchessault, Yanni Gourde… Justin Hryckowian [Québécois jamais repêché, qui joue à Northeastern] s’en vient aussi. Ces gars-là n’ont jamais été repêchés, n’ont jamais joué dans les programmes U18, U20. On met des étiquettes sur des jeunes à 11 ans, dans le pee-wee AAA. Ça devient un sprint et il n’y a pas de freins sur le vélo. Malheureusement, les jeunes qui prennent plus leur temps sont laissés de côté. »