Le but est assez mémorable pour qu’une vidéo y soit exclusivement consacrée sur YouTube. C’est déjà 1-0 pour la conférence Prince-de-Galles, après trois minutes au match des Étoiles de 1993, quand Ed Belfour sort de son filet pour intercepter un dégagement. Un jeu en apparence banal.

Sauf que Belfour passe tout droit. La rondelle aussi, au fait. Un jeu d’enfant pour Mike Gartner, qui évite Belfour et dépose la rondelle dans un filet désert. 2-0.

Gaétan Lefebvre, alors thérapeute en chef du Canadien, observait le tout du banc des joueurs.

« Je me retourne, je dis : « Il a l’air d’un gardien de ligue de garage. » Et on m’avait répondu : « Si tu savais dans quel état il est ! » », raconte-t-il en riant, au bout du fil.

Ça se passait le 6 février 1993, dans ce qui aura été le dernier match des Étoiles présenté au Forum de Montréal. La qualité des villes organisatrices variait d’une année à l’autre. Avec des matchs présentés notamment à Hartford, St. Louis et Edmonton, les Étoiles des années 1980 n’avaient pas été particulièrement gâtées. Tandis qu’en 1993, c’était le bonheur.

« Montréal est une bonne ville pour s’amuser et je pense que c’était la priorité des joueurs ! », témoigne Mike Keenan, malheureux entraîneur-chef de la conférence Clarence-Campbell.

Belfour était l’un d’eux. « Eddie Belfour avait connu une meilleure soirée la veille au Thursday’s et sur Crescent ! s’exclame Chris Chelios, en visioconférence. Mais c’était vraiment plaisant, surtout pour moi, puisque je revenais à Montréal. »

L’état dans lequel Belfour a disputé ce match demeure, à ce jour, une histoire aux contours indéfinis, qui nourrit les rumeurs les plus loufoques. En 30 ans, le téléphone arabe a sans doute contribué à faire gonfler ces histoires. Nous avons tenté de joindre l’ancien gardien, par l’entremise de son entreprise de spiritueux, pour confirmer ou infirmer certains de ces racontars ; notre courriel est resté sans réponse. Keenan a bien voulu nous consoler.

Même si tu joins Eddie, il ne se souviendra de rien de toute façon !

Mike Kennan, entraîneur-chef de l’équipe de la conférence Clarence-Campbell, en 1993

Comme c’était souvent le cas à l’époque du 5 contre 5, chaque gardien jouait une période. Belfour disputait la première période et quand la sirène s’est fait entendre, c’était 6-0. À sa défense, il avait été bombardé de 22 tirs.

Il n’était pas le seul, non plus, à aborder ce match avec légèreté. « Le plus gros défi était de motiver ces gars-là après leur soirée de la veille, se souvient Keenan. J’étais derrière le banc et je demandais aux joueurs : “Qui veut être le prochain à embarquer ?” Brett Hull se retourne : “Pas moi !” »

Gaétan Lefebvre se souvient d’Al Iafrate, gagnant au concours du tir le plus puissant la veille, surtout préoccupé par le fait de trouver un endroit où en griller une avant le match. « Il vient me voir à la clinique, il demande : “Est-ce que je peux fumer ici ?” Je lui dis : “Guy Lafleur n’avait pas le droit de fumer ici, tu ne fumeras pas ici !” »

Mais au moins un joueur avait décidé de prendre ce duel au sérieux : Patrick Roy. Le célèbre numéro 33 connaissait une saison tumultueuse. Sa moyenne (3,12) n’était pas catastrophique pour l’époque, mais sa fiche de 21-15-5 n’était pas à la hauteur de ses standards. Son adjoint, André Racicot, avec une pire moyenne (3,59), montrait un dossier de 12-3-0.

« Je n’avais pas été bon dans les compétitions d’habiletés et les gens me l’avaient laissé savoir, raconte Roy. Je n’avais pas une bonne saison, les choses n’allaient pas tellement bien au début. C’est sûr qu’un match des étoiles à domicile, ça a toujours un cachet particulier. À l’époque, avec Upper Deck, on avait fait une campagne publicitaire et le slogan était “Échange Roy”. Ça avait viré au cauchemar ! »

Le slogan était dans l’air du temps. Un mois plus tôt, dans La Presse du 9 janvier, Serge Savard devait démentir une rumeur d’une transaction qui envoyait Roy et Éric Desjardins à Los Angeles, en retour de Luc Robitaille et de Kelly Hrudey. En réaction à une déclaration de Roy qui disait alors connaître une des meilleures saisons de sa carrière, ce même Savard déclarait sur les ondes de CKAC : « Il est sûrement le seul à penser ça. »

PHOTO ARCHIVES LA PRESSE

La Presse, 9 février 1993, cahier H, page 3

Bref, ça chauffait en ville.

« Pour ces matchs-là, c’est rare que les joueurs arrivent trois heures en avance, poursuit Lefebvre. Patrick était arrivé plus tôt qu’à l’habitude. Il était venu dans mon bureau et il avait sa game face. Il avait décidé qu’il allait fermer la porte. Pour beaucoup de joueurs, c’est plus un concours d’habiletés, il n’y a pas de gagnants ni de perdants. Patrick ne voulait pas perdre. Il disait : “Ma job, c’est une période, et ils ne scoreront pas.” »

Roy a tenu parole, bloquant les 11 tirs en première période. Son premier arrêt, contre Pavel Bure, a donné le ton.

« Je n’avais pas été très occupé, dit-il, humblement. Une dizaine de lancers. Les gars avaient bien joué devant moi. Mais je voulais bien jouer devant nos partisans. »

Les à-côtés

Propulsée par les quatre buts de Mike Gartner, la conférence Prince-de-Galles l’avait emporté 16-6.

Mais les meilleurs souvenirs de nos intervenants ne sont pas liés au match en soi. Keenan, qui avait été congédié par les Blackhawks quelques semaines plus tôt, avait invité sa conjointe et ses nièces à Montréal.

Luc Robitaille a plutôt retenu la rencontre avec les anciens joueurs. « Pour un Québécois, c’était incroyable. Mario Tremblay, Guy Lafleur, le Rocket étaient là. J’avais vu M. Béliveau. Yvan Cournoyer était là, c’était le joueur préféré de mon père. C’était le meilleur moment de la fin de semaine. »

Lefebvre, lui, se souvient d’un souper fastueux organisé au Pied-du-Courant, pour les médecins et thérapeutes des autres équipes de la LNH. « Les trois ou quatre années suivantes, chaque fois que j’arrivais dans une ville, les médecins adverses me remerciaient encore, c’était une expérience culinaire incroyable, avec le vin. Notre équipe, avec M. Savard et M. Corey, avait décidé de relever la barre. On ne soupera pas dans un hôtel, on va leur offrir une expérience. »

Nostalgiques

Le match des Étoiles 2023 a lieu samedi à Sunrise, et on peut se demander en quoi se compare l’engouement pour l’évènement, par rapport aux années 1980 et 1990.

Mike Keenan regrette une époque où ces rencontres étaient plus compétitives. En 1986 et en 1988, par exemple, les matchs s’étaient décidés en prolongation.

« En 1988, à Hartford, c’était très compétitif, Mike Ramsey avait pincé Wayne Gretzky, on pensait qu’on était en finale ! On arrive à Montréal, c’était comme si n’importe qui pouvait monter à tout moment et le prochain gars qui touche la rondelle va marquer ! »

Robitaille en était à un sixième match des Étoiles de suite, en 1993. « Quand j’étais invité, je me disais : “Je fais partie d’une ligue spéciale.” Dans le temps, personne n’avait de contrat de 8 ans et de 70 millions. Les gars ne parlaient pas de prendre soin d’eux-mêmes.

« Mais je comprends les gars d’aujourd’hui, enchaîne le président des Kings. Dans le temps, c’était extraordinaire. Aujourd’hui, c’est un match de plus dans leur horaire. »

Roy se rappelle être arrivé malade, mal en point, en 1997 à San José. On lui avait administré des médicaments pour le remettre sur pied. « Sérieux, aujourd’hui, les gars retourneraient chez eux ! C’était une autre époque. Moi, je voulais bien jouer. Je ne peux pas répondre pour les autres. Mais je pense que les gars voulaient bien jouer. »

Lefebvre rappelle quant à lui qu’il y avait jadis 21 équipes, 24 en 1993. « Aujourd’hui, avec 32 équipes et l’obligation d’avoir un joueur par équipe, tu as un Patrice Bergeron qui n’est pas là. En choisissant 40 joueurs dans un bassin de 32 équipes, plutôt que 24, tu laisses de côté des joueurs importants. Par contre, le concours d’habiletés aujourd’hui est meilleur, plus spectaculaire. C’est un meilleur show. »

Avec Mikaël Lalancette, Le Soleil