(Ann Arbor, Michigan) Samedi soir, fin novembre, on arrive à l’entrevue d’après-match avec Adam Fantilli avec quelques minutes de retard. Les autres entrevues de la soirée ont quelque peu débordé, et se retrouver dans les coulisses du Yost Ice Arena, de l’Université du Michigan, nécessite visiblement un diplôme de ladite Université du Michigan.

Malgré les 22 h qui approchent, il ne se formalise pas du retard et n’a pas l’air d’un gars parti pour compter ses minutes. Pressenti comme l’un des trois meilleurs espoirs du repêchage de 2023, ce jeune homme possède déjà un certain statut dans le monde du hockey. Certains joueurs de ce statut pourraient s’impatienter devant la situation. Pas lui.

On le taquine avec un mauvais coup que lui a fait la relationniste de l’équipe, qui a tenté de lui faire croire que La Presse avait exigé une entrevue entièrement en français.

« J’ai suivi des cours de français pendant huit ans à l’école, mais je n’étais pas très bon », admet-il.

« Je viens d’un milieu où même l’anglais était parfois cassé. La famille de mon père est italienne, celle de ma mère est polonaise.

– Tu parles italien ?

– Je le comprends un peu, environ un mot sur trois, donc j’ai une idée de ce qui se dit.

– Et le polonais ?

– Pas du tout… Il y a des caractères qui n’existent même pas en anglais ! »

Il faut dire que des recherches sommaires à son sujet annonçaient qu’on aurait devant nous un individu charismatique. Par exemple, une des photos qui apparaît sur sa page HockeyDB est, disons, particulière. C’est un clin d’œil à Brandon Tanev, du Kraken de Seattle, qui se fait un devoir d’écarquiller les yeux sur ses photos officielles.

PHOTO TIRÉE DU SITE HOCKEYDB

« On était à Pittsburgh pour un évènement de l’USHL, se souvient-il. J’en parlais avec mon coéquipier Jackson Blake, on se disait que ça serait drôle de faire ça. Puis le reste de l’équipe est arrivé et plusieurs joueurs étaient partants ! Donc six ou sept gars l’ont fait, les photos ont été relayées partout. Je ne pensais pas que la photo servirait tant que ça, je pensais que c’était une photo comme une autre ! »

Des regrets ? « Pas du tout, c’était juste drôle, ça a amusé les gens. Je l’aime, ma photo ! »

Cet Adam Fantilli, donc, n’est pas comme les autres. Étudiant en administration du sport, il affirme que si sa carrière prenait fin abruptement, il opterait pour la psychologie.

« Je constate combien la psychologie sportive peut aider les joueurs », croit-il. Lui-même, qui vient tout juste de fêter ses 18 ans, fait déjà appel à une psychologue sportive. « Ça varie d’une personne à l’autre. Moi, je le fais pour m’aider à rester dans le moment présent, pour ne pas trop penser à l’avenir. Ma psy est incroyable. »

Son idole ? Là encore, il va à contre-courant. « Marc Savard », répond-il du tac au tac. Son numéro 19 est d’ailleurs un clin d’œil au 91 que portait Savard. « J’ai toujours porté le 91, mais à Chicago (USHL), il fallait prendre un numéro inférieur à 30. »

Il importe ici de rappeler que Fantilli n’avait que 6 ans quand Savard a donné ses derniers coups de patin. « J’étais petit quand Matt Cooke lui a infligé une commotion cérébrale, mais j’étais vraiment triste, se souvient-il. Il a marqué un gros but en séries, à un moment crucial. J’étais sur mon divan et j’étais fou. Je portais le 33 pour Zdeno Chara et j’ai dit à mon père que je changeais de numéro. Sa vision du jeu était folle. »

Il nomme Patrice Bergeron comme un autre joueur qui l’inspire. Et c’est là qu’il crache le morceau : il est partisan des Bruins, l’équipe préférée de son père. « Ils jouent de la bonne façon, j’adore leur culture », détaille-t-il.

Un partisan des Bruins qui se respecte doit bien détester le Canadien, donc ? « C’est une très bonne rivalité, mais je suis assez bon ami avec Cole Caufield, on patine ensemble l’été et c’est un bon gars. Donc je n’ai rien contre le Canadien ! »

Sa personnalité est enthousiasmante, et ça tombe bien : son jeu aussi.

Après 16 matchs, il totalise déjà 11 buts et 15 aides pour 26 points. S’il maintient ce rythme, il sera dur à ignorer pour le Hobey-Baker, remis au joueur de l’année dans la NCAA. Ce trophée est généralement hors d’atteinte pour les joueurs, comme lui, en première année universitaire. Les deux seules recrues à l’avoir gagné ? Messieurs Jack Eichel et Paul Kariya.

Lors de notre passage, Fantilli avait l’air d’un gars capable de tout faire. Il a tenté — en vain — un but de style Michigan, un jeu qu’il a tout de même déjà réussi dans l’USHL.

L’Ontarien s’est toutefois repris en servant cette passe des ligues majeures à Mackie Samoskevich.

En plus d’obtenir une flopée de chances de marquer, il s’est impliqué physiquement. À plusieurs reprises, ses rivaux étaient sur son cas et il répliquait à tout coup. À 6 pi 2 po et 195 lb, il possède le gabarit pour aller là où ça chauffe.

Il faut dire que ça chauffait en ce samedi soir au Michigan. D’abord parce que c’était le deuxième duel en 24 heures contre Harvard.

Ensuite parce que le campus était survolté, quelques heures après la victoire des Wolverines, au football, contre Ohio State. En plein milieu de la deuxième période, pendant une pause, des membres de l’équipe de football sont venus sur la patinoire, certains faisant même l’accolade au gardien du Michigan. Et la foule s’est mise à entonner Mr. Brightside, des Killers, parce que c’est ce que les gens heureux font.

« T’as vu l’ambiance. C’est électrique et c’est facile de s’en nourrir, de s’investir émotionnellement », estime Fantilli.

C’est cet ensemble d’outils, pour un joueur de centre, en plus, qui fait en sorte que Fantilli est unanimement perçu comme un des trois meilleurs espoirs du repêchage 2023.

L’enthousiasme du monde du hockey est manifeste. Avant le match, on s’entretenait avec Ted Donato, entraîneur-chef de Harvard, qui affrontait donc Fantilli pour le deuxième soir de suite. Donato nous racontait que plusieurs de ses joueurs avaient joué avec Fantilli à Chicago dans l’USHL.

« Donc vous connaissez toutes ses tendances », lui soumet-on.

Donato se met à rire. « Bah, c’est comme dire que tu connais les tendances de… d’un excellent joueur. Ça ne t’aide pas vraiment ! » On sentait clairement la pudeur de ne pas nommer un gros nom de la LNH. Mais avec un gabarit nettement plus avantageux que Connor Bedard, il fera tourner des têtes.

Vise-t-il le premier rang au prochain repêchage ?

« Évidemment, c’est le rêve de tous les jeunes d’être le premier choix, et c’est mon but, je vais tout faire pour que ça arrive. Mais je n’en fais pas une obsession. Je me concentre à m’améliorer au quotidien, et quand ce sera le temps du repêchage, on verra ce qui arrivera. »