Sortir de sa zone de confort. Encore et encore.

C’était il y a cinq ans à peine. Élizabeth Giguère terminait un fructueux parcours collégial avec les Titans du cégep de Limoilou, à Québec. Alors convoitée par les universités américaines, la jeune femme hésitait à poursuivre sa carrière au sud de la frontière.

« Je ne parlais pas anglais, donc je me disais : je ne peux pas aller aux États-Unis, ça n’a pas d’allure ! », se souvient-elle en entrevue avec La Presse.

La sympathique athlète de 25 ans sourit en racontant l’anecdote. C’est que cinq ans plus tard, cet épisode semble si lointain. En avril dernier, elle a terminé une prolifique carrière de cinq ans dans la NCAA. Et on ne fait pas dans la démesure avec le mot « prolifique » : la Québécoise a inscrit 295 points en 177 rencontres, s’établissant comme une des meilleures attaquantes de l’histoire de la NCAA.

Ce n’est pas tout. Au moment de notre entretien, la jeune femme était à la veille de disputer son premier match professionnel avec le Pride de Boston, dans la Premier Hockey Federation (PHF). Elle a finalement marqué deux buts et une aide à ses deux premiers matchs.

Ce n’est (encore) pas tout. Deux semaines plus tôt, elle était sélectionnée dans l’équipe nationale qui prendra part aux trois premiers matchs de la Série de la rivalité face aux États-Unis, du 15 au 20 novembre. Elle évoluera donc aux côtés de Marie-Philip Poulin et Ann-Renée Desbiens.

Sortir de sa zone de confort, disait-on.

Tout pour patiner

Puisque le thème des cinq ans est à l’honneur, reprenons-le. À l’âge de 5 ans, Élizabeth Giguère enviait sa cousine et son cousin de jouer au hockey. « J’avais demandé à mes parents d’apprendre à patiner, mais on n’avait pas vraiment d’argent dans le temps, alors ils m’avaient dit non. Je jouais déjà au soccer et je faisais plusieurs autres choses », raconte-t-elle.

Incapable de s’y résoudre, la fillette s’est mise à ramasser ses sous. « Ma mère m’avait demandé : ‟Qu’est-ce que tu fais avec cet argent-là ?‟ J’avais dit : ‟C’est pour acheter mon équipement !” »

L’année suivante, à l’âge de 6 ans, elle enfilait ses premiers patins. Et disons qu’il aurait été audacieux, à cette époque, de lui prédire une grande carrière…

« À ma première pratique, je suis embarquée sur la patinoire et ç’a l’air que je n’étais tellement pas bonne. Ma mère se disait : ‟Ça n’a pas d’allure, pauvre petite.” Je suis débarquée, je l’ai regardée et j’ai dit : ‟Je suis bonne, hein ?” » relate-t-elle en éclatant de rire.

« Elle a répondu : ‟Oui, t’es très bonne !” »

Si le talent n’y était pas encore, la passion, elle, était bel et bien là…

Dans le hockey mineur, Giguère a évolué avec des garçons jusqu’à ce qu’elle atteigne la catégorie bantam, après quoi elle a fait le saut chez les filles.

À ses trois saisons dans les rangs collégiaux québécois, la jeune femme a fait tourner les têtes ; elle a inscrit 169 points en 73 rencontres avec les Titans. Au fil des ans, elle a remporté de nombreux honneurs et décroché l’argent avec Équipe Canada au Championnat mondial des moins de 18 ans.

Naturellement, les offres en provenance des États-Unis sont arrivées. Giguère, d’abord réticente, a accepté d’aller visiter avec ses parents le campus de l’Université Clarkson, dans le nord de l’État de New York. Et elle a été convaincue.

Bonjour la NCAA

À l’école, l’adaptation a été difficile pour Giguère, qui ne parlait pas anglais. « J’ai passé beaucoup de soirées à essayer de faire mes devoirs jusqu’à minuit ou 1 h du matin », lance-t-elle. Au hockey, toutefois, elle s’épanouissait. « J’étais bien. J’avais du fun. C’était une petite école. Il y avait beaucoup de monde qui était là pour moi. Ma famille venait me visiter au moins une fois par mois. »

À sa première saison avec les Golden Knights de Clarkson, la Québécoise a enregistré 27 buts et 44 mentions d’aide en 41 matchs, en plus d’être nommée recrue de l’année au sein de la conférence ECAC. Elle a d’ailleurs inscrit le – superbe – but gagnant en prolongation en grande finale du championnat national.

PHOTO FOURNIE PAR L’UNIVERSITÉ CLARKSON

Élizabeth Giguère avec les Golden Knights de Clarkson en 2018

On pourrait énumérer un à un les exploits de Giguère dans les saisons qui ont suivi, mais ce serait très long. Ultimement, elle a terminé sa carrière au sixième rang de l’histoire de la division 1 pour le nombre de points.

« Il y a beaucoup de monde qui m’a aidée, dit-elle avec humilité. Sans eux, je n’aurais pas pu être la joueuse que j’ai été dans les cinq dernières années. »

J’ai été chanceuse, j’ai travaillé, j’ai eu confiance en moi et je me suis amusée.

Élizabeth Giguère

L’attaquante espérait que son parcours la conduirait aux Jeux olympiques de 2022, à Pékin, avec l’équipe canadienne. Elle a été invitée au camp de sélection, mais n’a pas eu suffisamment de temps pour se faire valoir, le Championnat mondial ayant été annulé en raison de la pandémie.

« Tout ce que je peux faire, c’est avoir confiance que je ne faisais pas partie de cette équipe-là pour une bonne raison », confie-t-elle avec sérénité.

PHOTO FOURNIE PAR HOCKEY CANADA

Élizabeth Giguère

Le passé est le passé. La Québécoise de 25 ans est surtout heureuse d’enfin avoir sa chance aujourd’hui, même si sa sélection pour la Série de la rivalité n’est qu’une étape vers son rêve olympique.

« Je suis stressée. Je suis contente. J’ai vraiment juste hâte de me prouver. Peu importe ce qu’il arrive, je vais être fière de moi. »

Vie de hockeyeuse

En terminant sa carrière dans la NCAA, en mai dernier, Élizabeth Giguère a pris la décision de s’engager avec le Pride de Boston, dans la PHF, pour une saison. Notons qu’à ce moment-là, la franchise montréalaise n’existait pas encore.

Avec le Pride, Giguère est payée pour jouer au hockey. Elle a également un deuxième emploi comme ambassadrice avec son équipe. « Je suis bien. Je suis capable de vivre », dit-elle.

On ne fait pas des millions, mais comparé à ce que n’importe qui au hockey féminin faisait comme argent dans les dernières années, c’est incroyable.

Élizabeth Giguère

Quand on lui demande si elle se met plus de pression après avoir excellé partout où elle est passée, l’attaquante répond du tac au tac. « Jamais. Jamais de pression… Jamais. Je tiens à le dire. Si je peux aider l’équipe à gagner, n’importe comment, points, pas de points, c’est ce que je veux. »

Qu’importe de quoi sera composée la suite de sa carrière, Élizabeth Giguère a déjà toutes les raisons d’être fière. Par ailleurs, son parcours aux États-Unis lui aura permis de rencontrer celle qui est aujourd’hui sa femme. Autrement dit, une grande partie de sa vie est désormais au sud de la frontière, même si elle vient souvent voir sa famille au Canada.

Parlant de sa famille, la hockeyeuse souligne tous les sacrifices que ses proches ont faits au cours des dernières années.

« Je leur dois pas mal. […] Je suis chanceuse, mettons ! »

Talentueuse, aussi.